Législatives anticipées : quel cap pour la France ?
Le premier tour des législatives anticipées aura lieu ce dimanche en France. Emmanuel Macron avait dissous l'Assemblée nationale dès l'annonce du résultat des européennes, lors desquelles sa majorité a enregistré de lourdes pertes et le parti d'extrême droite RN a fortement progressé. A gauche, l'alliance électorale NFP est en lice. La presse européenne suit ce scrutin de près.
Une polarisation dangereuse
Deux blocs populistes s'affrontent lors de ce scrutin, croit savoir Corriere della Sera :
«Le NFP, un bloc de gauche plutôt hétérogène (qui englobe à la fois des politiques pro-russes et pros-ukrainiens) et le RN, cimenté par une idéologie souverainiste et xénophobe. Ces deux blocs gagnent en soutien aux dépens du centre, sans pouvoir assurer une alternance démocratique entre droite et gauche. Au contraire, il existe le risque d'une opposition violente dans les rues. Les deux blocs sont déterminés à séduire la population à coup de promesses interchangeables sur les plans sociaux et fiscaux, comme la suppression de la réforme des retraites engagée par Macron et le renforcement de la sécurité sociale. Mais celles-ci resteront à l'état de rêves ou de programmes qui ne feront qu'accroître l'énorme déficit public du pays.»
Macron victime de son narcissisme
Dans l'hypothèse d'une victoire électorale du RN ou du NFP, Emmanuel Macron a évoqué un risque de guerre civile. Pour Jerôme Fenoglio, directeur du journal Le Monde, ce n'est pas la première fois que le président joue les pyromanes :
«Propos ahurissants pour un chef de l'Etat, qui ne font que prolonger la façon dont il n'a cessé de créer de la tension. Reconstruire l'espace politique français en ruine, ... en commençant par son centre, aurait demandé une humilité, une attention aux autres de tous les instants. Mais Emmanuel Macron ne dispose visiblement d'aucune de ces vertus, et son entourage n'a jamais été pensé pour compenser ses défauts. Son narcissisme a fini par l'exposer à un rejet supérieur à celui qui l'avait placé au pouvoir et par menacer tout le bloc central de sa majorité d'effondrement.»
Un risque de paralysie
Financial Times déroule des scénarios pour la suite :
«Il y a deux principales issues possibles aux élections qui vont bientôt se tenir. La première serait une majorité absolue pour l'extrême droite, résultat qui obligerait Macron à nommer un Premier ministre RN (il nourrit l'espoir que cela révèle au grand jour l'incompétence du parti, dans l'optique de l'élection présidentielle de 2027). La seconde, plus probable, serait l'absence de majorité à l'Assemblée nationale, pour les extrêmes comme pour le centre. Dans ce second cas de figure, il est difficile de s'imaginer comment une administration majoritaire pourrait être formée. Un nouveau gouvernement constitué dans ces circonstances serait incapable de faire grand chose. Ironiquement, la soif de changement des électeurs aurait pour résultat la paralysie.»
Des référendums pour gouverner
La tenue de référendums sur des questions politiques majeures pourrait être une issue à une potentielle ingouvernabilité, estime l'historien Raphaël Doan dans Le Figaro :
«Une assemblée ingouvernable, avec un gouvernement technique et un président en fin de mandat, donnerait précisément l'occasion de refaire du référendum une véritable consultation de la volonté majoritaire des Français sur une série d'enjeux. … L'idéal serait de réviser la Constitution pour élargir le champ des sujets pouvant être soumis à référendum. … Il est possible, bien sûr, qu'une majorité absolue sorte du prochain scrutin législatif. Mais si ce n'était pas le cas, le président et les nouveaux députés gagneraient à se tourner franchement vers le référendum, non pas comme une énième manière de tester la légitimité du chef de l'Etat, mais comme une méthode de gouvernement.»
Des électeurs sur le pont
Ukraïnska Pravda observe une forte mobilisation électorale :
«Il semblerait que ni la chaleur estivale, ni le football, ni les JO de Paris n'aient d'impact sur l'intérêt des électeurs. Ce scrutin a déjà établi un record : 2,1 millions de demandes de vote par procuration ont été faites. C'est plus de cinq fois plus que lors du précédent scrutin. Le président Macron a donc accompli une partie de son plan, à savoir 'réveiller' les électeurs. Mais cela suffira-t-il à atteindre l'objectif principal, à savoir empêcher que le RN d'extrême droite n'arrive au pouvoir ?»
2027 sera une année charnière
C'est en 2027 que tout se jouera pour le RN, écrit Göteborgs-Posten :
«Les législatives aboutiront probablement à un gouvernement de gauche ou de centre-gauche, difficile à définir avec précision, même si le RN obtiendra son meilleur score de tous les temps. ... Au Parlement, c'est le rôle d'une opposition forte qui incomberait au RN, Macron serait affaibli et un gouvernement de gauche, le cas échéant, aurait tout le mal du monde à gouverner en cohabitation avec le président. C'est peut-être exactement ce que Jordan Bardella, 28 ans à peine, et sa mentore Marine Le Pen, espèrent en secret. Depuis le début, c'est la présidentielle de 2027 qu'ils visaient. Le nouveau président aura le pouvoir - dont Macron a fait usage - de dissoudre l'Assemblée et de convoquer des élections anticipées.»
Macron a ouvert les portes du pouvoir à l'extrême droite
Interia pense que le calcul de Macron ne se vérifiera pas :
«Le président français part du principe qu'il révélera l'ineptie des gouvernements d'extrême droite si l'on devait en arriver à un tel cas de figure. Suite à quoi, grâce à son action, ses compatriotes n'éliront pas Le Pen président en 2027. Le seul problème, c'est que c'est lui, désormais, qui assumera la responsabilité si l'extrême droite arrivait au pouvoir. Comment peut-on ouvrir grand les portes d'une forteresse, tout en mettant en garde, la mine grave, contre les ennemis qui approchent ? Tout cela ressemble à une déconnexion totale des réalités.»
Il n'existe pas d'Europe 'à la carte'
Les promesses du RN de réduire le pouvoir de l'Europe ne reposent sur rien, souligne Le Soir:
«[C]ontrôle de la migration, diminution de la TVA sur l'énergie, réduction du 'chèque' français au budget communautaire, supériorité de la Constitution sur les normes européennes, etc. ... Il reste une semaine pour démonter cette rhétorique électorale aussi mensongère que délétère. L'Europe à la carte ne peut exister, la solidarité entre les Etats ... n'a rien d'optionnel, la défense des valeurs fondamentales ne peut être négociée. Et donc non, Jordan Bardella, s'il entre à Matignon, ne pourra réduire unilatéralement la participation de la France aux finances européennes, pas plus qu'il ne pourra s'exonérer de ses obligations en matière de régime TVA, de politique migratoire ou de gouvernance budgétaire.»
Un programme irréaliste
Le journal Les Echos critique lui aussi les promesses électorales de Bardella :
«On n'avait jamais vu un parti politique revendiquant le poste de Premier ministre avec un programme à ce point non chiffré. Le seul, on dit bien le seul, élément précis est le coût de la baisse de la TVA sur les prix de l'énergie ... , qui serait financée entre autres par une diminution de la contribution au budget européen et une taxation du transport maritime. Et le reste ? 'Dès l'automne' sont promis une exonération de la hausse des cotisations sociales découlant d'une revalorisation salariale de dix pour cent, la poursuite de la suppression des impôts de production, l'abrogation de la réforme des retraites, la baisse des droits de succession etc. etc. ... Jordan Bardella est sévère sur la dérive de la dette depuis sept ans, mais comment financerait-il ses mesures ?»
Le 'moment Cameron' de Macron
Eco écrit :
«Certains parlent d'un 'moment David Cameron' pour Emmanuel Macron et comparent les répercussions du référendum sur le Brexit au Royaume-Uni aux conséquences que pourraient avoir ces élections anticipées sur la France et sur l'UE. Après le 7 juillet, date du second tour des législatives, un pays fondamental pour le projet européen, un pilier de l'OTAN qui dispose d'un siège au Conseil de sécurité de l'ONU, pourrait avoir un gouvernement dirigé par un parti d'extrême droite eurosceptique et qui sympathise avec Vladimir Poutine.»
Une période difficile pour l'UE
Corriere del Ticino se penche sur les conséquences qu'aurait un gouvernement RN sur l'Europe :
«Cela signifie, en premier lieu, la fin de la capacité du tandem franco-allemand à piloter la politique européenne. ... Deuxièmement, la France fera pression sur Bruxelles pour assouplir les règles relatives aux déficits publics, lesquelles affectent aussi d'autres pays, mais aussi pour faire valoir la souveraineté française dans différents domaines où la compétence est désormais dévolue à l'Union. Il y aura par ailleurs de forts stimuli dans le sens d'une politique commerciale protectionniste. ... Bref, un gouvernement Bardella tentera d'imposer une politique économique qui est exactement le contraire de ce que Bruxelles a suivi jusque-là.»