Données : la CJUE invalide le 'Safe Harbor' américain
De l'avis de la Cour de justice de l'UE, les données personnelles des internautes européens ne sont pas suffisamment protégées aux Etats-Unis. La CJUE a invalidé mardi l'accord "Safe Harbor", qui régit l'échange de données entre l'UE et les Etats-Unis. Si certains commentateurs se réjouissent que la justice européenne protège la vie privée des citoyens, d'autres y voient une menace pour la liberté du Web.
L'Europe prend au sérieux la vie privée de ses citoyens
La justice européenne défend les droits de ses citoyens, se réjouit le journal économique conservateur Expansión : "La CJUE établit clairement que dans le dilemme entre la sécurité et la protection de la vie privée, l'Union accorde plus d'importance à la seconde. Certes, le verdict n'oblige pas le réseau social à cesser immédiatement d'exploiter les données de ses clients européens. Dans une prise de position, Facebook a demandé la signature d'un accord à ce sujet entre l'UE et les Etats-Unis, ce qui est une réaction approprié. Mais par son verdict, la CJUE a clairement montré que l'UE prenait au sérieux la séparation des pouvoirs et l'Etat de droit."
La liberté d'Internet en danger
Suite à l'invalidation de "Safe Harbor" par la CJUE, les Etats-Unis et l'UE doivent de toute urgence définir un nouvel accord, exige le quotidien de centre-gauche Tages-Anzeiger : "Il fut un temps où Internet était synonyme de liberté sans limite. Entre-temps, le Web a perdu sa candeur initiale. Il est menacé de fragmentation et de perversion. De la Chine à la Russie, il y a longtemps qu'Internet et les médias sociaux sont devenus des instruments de pouvoir et de contrôle des masses. Des acceptions culturellement différentes de la notion de protection des données occasionnent actuellement d'inquiétantes fractures dans le monde numérique entre l'Europe et les Etats-Unis. Les Etats du monde libre ont tout intérêt à défendre les acquis d'Internet et le potentiel de l'économie numérique. Ceci implique un accord rapide entre l'UE et les Etats-Unis sur un nouveau 'Safe Harbor' digne de ce nom. Si les Européens et les Américains ne sont pas capables de se mettre d'accord sur des normes communes de protection des données personnelles, seuls les ennemis de la liberté - de Moscou à Pékin - s'en réjouiront."
L'UE pourrait briser le pouvoir des grands groupes
S'il est louable de protéger les internautes, l'idéal serait cependant d'établir une législation européenne commune en matière de protection des données. C'est l'avis du quotidien catholique Avvenire après le verdict de la CJUE : "Quand un verdict oblige les Etats à veiller à la vie privée des citoyens, c'est toujours une bonne nouvelle. Or l'un des risques qui découlent de ce genre de décisions, c'est que l'UE ne parvienne pas à générer une politique commune de protection des données numériques, et que chacun des Etats européens n'en fasse qu'à sa tête, mettant les autres en difficulté. Bien que ceci relève de la science-fiction, essayons d'imaginer ce qui se produirait si l'Europe décidait d'interdire à Google, Facebook, Twitter et aux autres entreprises qui contrôlent le Web d'utiliser à des fins commerciales les données que nous laissons chaque jour sur Internet, de façon consciente et (trop souvent) inconsciente. Dans l'actuel empire numérique, dirigé par une oligarchie toute-puissante, ce serait une révolution avec des conséquences multiples et inimaginables. Car sur la Toile, les véritables richesses sont les données. Privées de ces dernières, de nombreux géants ne le seront plus."
Le dilemme de l'Irlande
Dublin doit d'un côté aller dans le sens des nombreuses entreprises Internet américaines installées dans le pays, à l'image de Facebook et Google, mais elle est tenue de l'autre de respecter les règles de protection des données établies par l'UE, analyse le quotidien de centre-gauche The Irish Times : "Le verdict de la CJUE place Irlande dans un dilemme moral et légal. Il a généré un débat que le pays avait longtemps évité de mener, et dans lequel on établit des parallèles avec les questions de neutralité et de souveraineté qui se posent quand les avions de combat américains atterrissent à Shannon [aéroport de l'ouest de l'Irlande] pour y faire le plein de carburant. Envers qui Irlande doit-elle être loyale ? Face à Facebook et aux autres géants technologiques basés à Dublin, l'Etat irlandais se considère-t-il comme le premier défenseur des droits à la vie privée des citoyens irlandais et européens ? Ou bien comme un avant-poste des services de renseignements américains à l'ère du numérique ?"