L'accord UE-Turquie n’arrête pas les migrants
L’accord conclu entre Bruxelles et Ankara, qui prévoit de renvoyer vers la Turquie les migrants entrés clandestinement en Europe, est entré en vigueur dimanche. Or, des milliers de migrants continuent d’arriver quotidiennement en Grèce via la mer Egée. Cet accord est susceptible de mettre fin à l'exode clandestin vers l’Europe, affirment certains commentateurs. D’autres soulignent qu’il ne fera qu’inciter les migrants à trouver d’autres routes.
Les réfugiés doivent rester près de leur pays d'origine
Il faut se féliciter de l’accord conclu entre l’UE et la Turquie, notamment en vue de la période d'après-guerre en Syrie, estime le journaliste et poète jordanien Amjad Nasser dans le quotidien qatari Al-Arabi Al-Jadid, paraissant à Londres :
«Pour la Turquie, cet accord signifie de nouvelles négociations d’adhésion à l’UE et des aides financières de plusieurs milliards. ... Nonobstant les intentions des différents partenaires de négociation, nous voyons néanmoins ce pacte prévoyant de renvoyer les réfugiés d'Europe vers la Turquie d’un bon œil. Car le principe des 'portes ouvertes' n’est pas une solution, même si c'est dur à entendre. Ne pas fermer l’accès à l’Europe signifierait qu’encore plus de jeunes Syriens quitteraient leur pays. Les réfugiés qui s'installent en Turquie, en Jordanie ou au Liban retourneront très probablement dans leur pays lorsque la phase de transition politique commencera après l’armistice. Mais ceux qui arrivent en Europe retrouveront difficilement le chemin du retour.»
Un fardeau que la Grèce ne pourra pas assumer
L’accord conclu entre l’UE et la Turquie prévoit entre autres que les Etats membres de l’UE envoient 2 300 experts migratoires en Grèce. Pour le journal en ligne libéral To Vima, c’est le signe que le pays est dépassé par la situation :
«La Grèce est en train de se transformer en un 'Ellis Island' moderne. Avec des infrastructures insuffisantes, une administration publique inefficace, nous attendons l’aide des employés que sont censés dépêcher les pays européens, afin de voir quand et si le 'système d’échange' convenu pourra fonctionner. … La solidarité véritablement impressionnante dont font preuve jusqu’à maintenant les citoyens grecs ne pourra surmonter les problèmes des réfugiés qui se retrouvent maintenant bloqués dans notre pays. Sans oublier que la plupart d’entre eux refusent de séjourner dans des centres d’hébergement disséminés un peu partout dans le pays et offrant pour la plupart des conditions insuffisantes.»
Les réfugiés subissent la désorganisation de l’UE
L’accord sur les réfugiés montre de nouveau l’incapacité de l’UE à agir dans le long terme et de manière efficace, critique le journal de centre-gauche Le Quotidien :
«[L'accord] ferme la voie égéenne aux migrants, qui en trouveront d’autres, plus risquées pour eux, plus lucratives pour les passeurs. ... Mais face à cette situation devenue incontrôlable, l’UE ne fait que composer dans l’urgence, comme à son habitude. Sans plan sur le long terme, sans effort pour prouver à ces migrants qu’ils peuvent aussi avoir un avenir chez eux, l’Europe affiche sans aucune gêne l’étendue de ses limites aux yeux du monde. Les migrants sont maintenant repoussés vers la Turquie, comme si cela allait changer quelque chose à leur volonté de passer, coûte que coûte, vers cet horizon meilleur que l’Europe leur a fait miroiter. C’était il y a un an à peine.»
Les réfugiés recommenceront à passer par la Libye
Si la Turquie devait empêcher le passage de migrants vers l’Europe, ceux-ci pourraient être tentés de passer par l’Afrique du Nord, prévient le quotidien libéral-conservateur The Malta Independent :
«Le Premier ministre maltais, Joseph Muscat, a souligné que la route libyenne n’avait pas été très empruntée ces derniers temps. Mais ceci pourrait changer très rapidement, et il ne faut pas que l’Europe se retrouve encore prise de court. … Si la Turquie s’attaque aux voies de migration sur son territoire, nous pourrions à nouveau être les témoins d’une réorientation des flux vers l’Afrique du Nord. Dans ce contexte, on ne tient pas assez compte du recul des ventes de pétrole effectuées par Daech. Le groupe terroriste sera contraint de trouver d’autres sources de revenus, et le trafic d’êtres humains pourrait en être une. Une activité qui pourrait s’avérer particulièrement lucrative. Nous savons tous ce dont Daech est capable.»
L'avancée de Merkel
L’accord UE-Turquie est susceptible de transformer un exode clandestin en une immigration légale, selon le quotidien libéral Sme :
«Ce n’est rien moins que l'objectif stratégique d'Angela Merkel et la pierre angulaire d’une solution européenne, qu’elle a fait accepter à l’opinion allemande. L’accord, qui prévoit de renvoyer en Turquie tous les clandestins, est une avancée car il rend absurde toute velléité de risquer une traversée de l’Egée et de payer des passeurs. … Bravo ! La grande interrogation qui subsiste, c’est de savoir si la Grèce parviendra à gérer la tâche difficile des expulsions. Il est certain que les réfugiés chercheront des itinéraires alternatifs, plus dangereux. Le pacte avec la Turquie ne met donc pas fin à la crise. Mais le fait est qu’avec cet accord, Merkel a survécu à sa mort clinique.»
Un accord susceptible de mettre fin à la crise
Si tous les points de l’accord UE-Turquie sont mis en œuvre, celui-ci pourrait marquer la fin de la crise des réfugiés en Europe, commente le journal économique conservateur Naftemporiki :
«Ce qui est important, c’est que les réfugiés comprennent qu’il n’existe pas de perspectives d’asile au sein de l’UE et qu'il ne vaut pas la peine de risquer des traversées imprévisibles pour rejoindre la Grèce. … Pour qu’Ankara puisse faire cesser les flux de réfugiés en direction de l’Europe, il faudra redéfinir le système sécuritaire du pays et démanteler le business extrêmement profitable des passeurs. … Pour que la Grèce soit en mesure de contrôler les réfugiés qui affluent vers les îles et les expulser vers la Turquie, il faudra revoir entièrement le système d’asile, bien que l’UE n’apporte pas encore assez de soutien et de ressources.»
L'Europe est méconnaissable
Pour le quotidien de centre-gauche Libération, l’accord passé avec la Turquie porte un grave coup à l’UE :
«L’Union, comme le souhaitaient les Etats d’Europe de l’Est, devient une forteresse fermée aux migrants économiques et aux réfugiés priés de rester près du pays qu’ils fuient. Le couple franco-allemand a sombré, Berlin étant désormais la seule puissance qui compte en Europe, un leadership inacceptable à court terme pour beaucoup de pays. Au passage, les institutions communautaires (Commission, Conseil) ont été court-circuitées, au point que l’on se demande à quoi elles servent encore. La Turquie, au prix de son nouveau rôle de garde-frontière, obtient un blanc-seing des Européens.»
Une entrée régulière presque impossible
Le pacte sur les réfugiés scellé entre l’UE et la Turquie donne à un nombre trop limité de Syriens la chance d’entrer sur le territoire de façon légale, critique le quotidien de centre-gauche Der Standard :
«Selon le texte, cette grande action d’échange de Syriens ne serait 'faisable qu'avec un plafond de 72.000' personnes. ... Au cas où plus de 72.000 personnes immigreraient 'de façon irrégulière', les déplacements auraient lieu 'sur une base volontaire'. Pour rendre cette action faisable, la Grèce et la Turquie devront tout d’abord adapter leurs lois, afin que la Turquie puisse être reconnue comme 'pays sûr' pour accueillir les réfugiés. Rappelons-nous les débats et discussions qu’on a eus sur les plafonds, limites, variables pour réguler les flux de migrants. La Commission a même menacé d’intenter une procédure à l’encontre de l’Autriche. Elle emploie désormais des feintes juridiques pour contourner la double-morale prévalant dans la politique européenne en matière de migrants. Il serait plus honnête de dire : il faut des limites, mais nous devons accueillir le plus grand nombre possible de réfugiés Syriens. Au vu des 500 millions de citoyens européens, le chiffre des 72.000 personnes devrait plutôt être un seuil qu'un plafond.»
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