Panama papers : un tour de force journalistique ?
Il s'agit du volume de données le plus important que des journalistes aient jamais eu à traiter : les Panama papers, documents relatifs à des sociétés écran dans lesquelles des grands de ce monde ont blanchi leur argent, représentent quelque 2,6 To. Si certains éditorialistes évoquent l'heure de gloire du journalisme d'investigation, d'autres s'interrogent sur l'origine des données.
Derrière les divulgations, l'action de Washington
Washington est à l'origine de la fuite des Panama Papers, assure le quotidien Novinar, qui interpelle les journalistes du Consortium international de journalistes (ICIJ), qui a révélé les documents au public :
«C’est vous qu’il faudrait regarder à la loupe. Le mieux serait que vous le fassiez vous mêmes, car dans cette histoire, vous vous faites avoir - par naïveté ou par calcul. Espérons que ce soit par naïveté, bien que cela soit sans importance pour les conséquences. Avez-vous seulement réfléchi aux conséquences, ou cela ne faisait-il pas partie du deal ? … Félicitations pour votre première réussite, la chute du gouvernement islandais. Il est en effet inadmissible qu'un gnome insulaire ait l’impudence de proposer l’asile à cette grande gueule d’Edward Snowden. Mais vous, vous n’êtes pas des traîtres faisant cavalier seul, comme Snowden, vous êtes tout un consortium d’investigation.»
La presse bulgare se montre bien indulgente
Le quotidien 24 Chasa est l’unique journal bulgare à avoir eu accès aux Panama papers. Le quotidien Sega émet des doutes quant à la rigueur du travail d’épluchage des données fait par leurs collègues de 24 Chasa :
«Les titres de 24 Chasa n’ont pas laissé plané l’ombre d’un doute : aucun politique bulgare ne détient d’entreprise écran. … Est-ce là vraiment l’essentiel, ce que les lecteurs bulgares veulent savoir ? N’importe quel étudiant en première année de journalisme vous le dira : une info relaie les faits, et non l'absence de faits. Les recherches n’ont pas abouti au nom de politiques bulgares. Pareillement, si le nom de Vladimir Poutine n’apparaît pas dans les Panama papers, les journalistes qui ont passé au peigne fin les données sont indirectement tombés sur Poutine par le biais du violoncelliste Sergueï Roldugin. Si aucun politique n'est cité nommément, faut-il en conclure qu'ils sont tous hors de cause ?»
La presse, quatrième pouvoir de la communauté mondiale
Les révélations du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) pourraient jeter la base d’une nouvelle opinion publique mondiale, avance le quotidien de gauche taz :
«Cette révélation n’est pas la première réussite de ce réseau, mais il s’agit probablement de la plus complexe que le journalisme d'investigation ait jamais produite. Des rédactions isolées ne seraient jamais en mesure de relever le défi de décrypter une telle quantité de données replacées dans leur contexte international. Depuis quelques années - et c’est réjouissant - des journalistes trouvent les moyens de devenir le quatrième pouvoir dans une communauté mondiale. D’autant plus que les trois autres pouvoirs ne sont guère présents. Il n’y a pas d’Etat mondial et les institutions qui le simulent, l’ONU ou le G20, ne parviennent pas à maîtriser l’évasion fiscale qui s’opère à l’échelle planétaire. … Ne serait-ce que pour quelques jours, le problème des paradis fiscaux sera à l’ordre du jour dans le monde entier. Un laps de temps au cours duquel l'opinion publique mondiale, par trop souvent simulée, s’émancipera brièvement, autrement dit dénoncera elle-même les problèmes et exigera des conséquences.»
Les journaux, pierre angulaire du journalisme d'investigation
S’il est vrai que la presse écrite est soumise à une pression économique importante, sans elle, la société serait bien mal lotie, assure le quotidien de centre-gauche Novi list :
«Ceux qui sont visés par ces examens ne sont autres que des politiques de haute volée qui ne jurent que par la lutte anticorruption. Ceci montre clairement que sans médias indépendants, cette révélation n’aurait jamais eu lieu. Et c'est principalement à des journalistes de la presse écrite que l’on doit ce travail d’investigation du siècle, bien que le secteur traverse une crise majeure. La presse écrite a donc, une fois de plus, fourni la preuve de son dynamisme et de son importance. Et ce à une époque où elle lutte pour sa survie, dans un monde numérique qui ne se préoccupe que de stars et de gloriole. Cette affaire nous adresse à tous un message important : dans un Etat sans médias libres et sans journalistes libres, nos politiques survivraient probablement, mais pour ses citoyens, il ne ferait pas bon y vivre.»
Des révélations biaisées
Les révélations journalistiques ne servent que rarement à se rapprocher de la vérité, fait valoir le quotidien libéral La Stampa :
«Bienvenue dans une nouvelle guerre, la guerre de l’information, où l'on se bat à coup de 'leaks'. Avec leur ampleur inédite - 1500 fois supérieure au nombre de documents divulgués par Wikileaks il y a six ans - les Panama Papers sont l’offensive parfaite. Mais comment expliquer que cette gigantesque fuite suscite une telle fascination ? … En grande partie parce que les révélations étant portées à l’opinion publique sans intermédiaire, on s'imagine qu’elles possèdent un autre degré de pureté, et qu’elles ne poursuivent pas d’intentions inavouées. … Or ce n’est pas le cas. … Il se peut que les lanceurs d’alerte agissent généralement en toute bonne foi et qu’il faille les protéger parce qu’ils peuvent nous rendre de grands services. Et pourtant, il faut prendre ces révélations avec précaution. Car bien que la véracité des sources ait été attestée, elles n’éclairent qu’un aspect du scénario. Peut-être celui-là même que d’aucuns avaient intérêt à mettre en avant.»
Et si les documents étaient des faux ?
Le quotidien de gauche Douma émet des doutes quant à l’authenticité des documents exploités :
«Comment peut-on savoir si ces millions de documents sont authentiques ? C’est une question de confiance, nous ne pouvons pas le vérifier. … Mais une règle générale veut que dans n’importe quel mensonge, il y ait une grande part de vérité. Il est impossible de falsifier complètement une quantité de données aussi importante, mais pour des personnes qui ont les connaissances et les compétences requises, c’est un jeu d’enfant que d’ajouter à un immense amas de documents authentiques et inoffensifs quelques centaines d’e-mails, de contrats, factures et autres documents. En théorie, c’est tout à fait possible. Que s'est-il véritablement produit ? C’est une question de foi.»
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