S'inspirer de la méthode sécuritaire israélien
Les attaques terroristes imposent à l'Europe de revoir sa conception de la sécurité, écrit le philosophe Carlo Strenger dans le journal Neue Zürcher Zeitung, évoquant un modèle dont pourrait s'inspirer le Vieux Continent :
«Israël vit depuis des décennies avec le terrorisme, et l'Europe devra tirer les enseignements de l'expérience israélienne. Il est irresponsable qu'à l'occasion d'un grand évènement comme le 14-Juillet, la principale artère de Nice n'ait pas été interdite à la circulation [sic], comme on le fait en Israël pour tout évènement majeur. Malheureusement, il sera peut-être bientôt nécessaire en Europe aussi de pourvoir les entrées de bâtiments publics de dispositifs de contrôle. Je sais, de notre point de vue européen, cela fait considérablement songer à un Etat policier. Ceci dit, et bien que je récuse vivement certains aspects de la politique israélienne, il faut souligner que l'Etat hébreu, en dépit de services de sécurité tournant à plein régime, abrite une démocratie libérale viable et vivace - du moins sur le territoire défini par les frontières de 1967.»
Israël ne saurait être un modèle sécuritaire
Sur le site Mediapart, les politologues Géraldine Casutt, Joan Deas et Damien Simonneau appellent de leur côté à ne pas suivre le 'modèle israélien' :
«Sous le prétexte de 'contrôler', des gens sont humiliés et tués. Ce régime se maintient sans perspective de pacification durable. Le recours à des modes d’action violent devient alors une forme personnelle ou organisée de réponse à cet état de fait politique. La 'menace' d’attentats est quant à elle normalisée par la population israélienne. Cette matrice sécuritaire privilégie donc des solutions tactiques à court terme. … Appliqué à la situation française, le discours d’un 'modèle israélien' est dangereux, à moins de vouloir maintenir notre société dans un État de guerre permanent et de miser sur la surenchère sécuritaire sans développer de réflexion autour des politiques ambitieuses et courageuses nécessaires afin de faire échec au recours à l’acte terroriste.»
Paris ferait mieux d'améliorer sa politique intérieure
En réponse à l'attentat de Nice, le Président François Hollande a annoncé vouloir intensifier les attaques aériennes contre les positions djihadistes en Syrie, en Irak et au Mali. La France ferait mieux de se concentrer sur ses problèmes internes, préconise l’historienne Chloé Maurel dans Le Monde :
«Ce n’est pas à la France de faire le gendarme du monde. Il existe une organisation internationale depuis plus de 70 ans, l’Organisation des Nations Unies, créée pour éviter que de telles dérives se produisent. … Au lieu de dépenser des sommes colossales dans l’armement et dans ces frappes meurtrières à l’étranger, la France devrait consacrer son argent à financer davantage les services publics comme la santé, l’éducation, la culture, l’aide à l’emploi. … Ainsi, cela réduirait la fracture au sein de la société, le sentiment de beaucoup de Français de se sentir exclu, la frustration et l’amertume qui conduit bien des jeunes à se réfugier dans la radicalisation islamiste, et d’autres à adopter des réflexes xénophobes et à écouter les sirènes fascistes.»
Les Français n'ont plus confiance en l'Etat
Le débat sur les failles du dispositif de sécurité avant l’attentat du 14-Juillet s'intensifie. Une policière de Nice affirme avoir été sommée de modifier son rapport sur le déploiement des forces de l’ordre et de supprimer des vidéos. Les Français sont en train de perdre totalement la confiance qu’ils accordaient à leur gouvernement, observe Corriere della Sera :
«Le massacre de Nice marquera un après et un avant dans la sensibilité collective envers le terrorisme, ainsi qu'envers ses racines à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Les Français vivent une crise de l’Etat, dans lequel ils avaient toujours cru, dont ils étaient fiers et auquel ils accordaient leur confiance. … Ils sont aujourd’hui face à un Etat qui rogne les prestations sociales, perd de son efficacité, et qui n’offre plus de protection contre les menaces quotidiennes. … Pour les Français, l’Etat protecteur avait toujours été omniprésent, il était au-dessus de toute autre valeur. Sans cette assurance, les Français sont perdus.»
La folie sécuritaire ne viendra pas à bout du terrorisme
Depuis l’attentat de Nice, la droite française appelle à renforcer encore le dispositif de sécurité antiterroriste. Mais la sécurité a ses limites, rappelle Le Quotidien :
«Les réponses de la droite décomplexée sont simplistes et ont prouvé leur inefficacité. Toutes les caméras du monde ne pourront arrêter quelqu’un de déterminé et prêt au massacre. Le tout-sécuritaire n’est pas la solution à ce problème bien plus complexe qu’il n’y paraît. Pour l’instant, tout ce que le gouvernement français propose, c’est de prolonger l’état d’urgence avec des forces de l’ordre qui sont déjà à bout. Et de bombarder la Syrie et l’Irak avec leur lot de civils qui vont continuer à fuir la guerre… Et chercher à venir trouver refuge en Europe.»
Des vertus de la transparence
Si le gouvernement affirme que l’accès à la Promenade des Anglais à Nice était bloquée par des véhicules de police le soir du 14 juillet, Libération a néanmoins dévoilé qu’il ne s’agissait pas de fourgons mais de simples barrières métalliques. Le quotidien préconise la plus grande transparence :
«Le problème n’est pas le dispositif, qu’il est bien aisé de critiquer une fois le drame arrivé. Ce qui nous interroge, ce sont les arrangements avec la réalité, l’absence de transparence et donc de responsabilité des services de l’Etat. Ne rien cacher des erreurs commises, pour ne plus les commettre à nouveau, est un devoir. Et une nécessité démocratique : mettre un couvercle sur ce qui s’est passé à Nice - pour ne pas dire cacher - n’est guère rassurant. Cela génère fantasmes, rumeurs et théories du complot. … qu’on ne fasse pas toute la lumière sur l’échec de Nice serait une erreur politique, éthique, et entamerait durablement la confiance dans ceux chargés de protéger le pays, à commencer par le sommet de l’Etat.»
La démagogie mine la cohésion
Si après chaque attentat, les politiques engagent des querelles de pouvoir, il sera pratiquement impossible de mener le double défi d’apaiser la société tout en combattant le terrorisme, critique El Paìs :
«Les principaux candidats de la droite à la présidentielle, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, ont pointé les insuffisances des mesures de sécurité prises par le gouvernement socialiste. Sans parler du discours de l’extrême droite contre les réfugiés et les migrants. … Face à la menace djihadiste en Europe, il est inutile d’éveiller et de diffuser de faux espoirs laissant entendre que l’on peut remporter le combat en faisant de tous les musulmans des suspects. Croire que l'Europe puisse être épargné par les guerres du Proche-Orient n'est que le fruit de la démagogie de politiques irresponsables. Ils veulent tirer profit d’une situation qui requiert précisément l'attitude opposée : ils devraient rechercher l’unité au lieu de succomber à la tentation de la haine, et prendre conscience que la société européenne a devant elle un combat de longue haleine.»
Et si Bouhlel n'était qu'un dépressif ?
Dans le quotidien Jutarnji List, l’auteur croate Miljenko Jergović remet en cause les motivations politiques et religieuses du kamikaze de Nice :
«L’assassin de Nice souffrait de dépression, tout comme Andreas Lubitz, le pilote qui avait délibérément provoqué le crash de son avion plein de passagers l’an dernier. Or Lubitz n’était pas musulman, il était simplement malade. Le plus terrible, c’est de constater que Bouhlel n’était ni croyant, ni fervent partisan de Daech et que pourtant, il a assassiné toutes ces personnes. Quand un être humain perd tout espoir, que sa vie lui semble insupportable - tout dans la biographie de l’assassin de Nice va dans ce sens : perte d'emploi, dettes et séquelles d’un drame familial - le suicide est un dénouement habituel du drame. … Mais la variante, à savoir que Bouhlel aurait agi sur ordre d’une cellule fantôme de Daech, a un fan club bien plus vaste - elle plaît au président français et au califat de Daech.»
L'attentat, résultat d'une trop grande indulgence
La négligence de la France dans sa lutte antiterroriste est responsable de l’attentat, écrit le quotidien conservateur Rzeczpospolita :
«Vu de Pologne, cet état d’urgence qui n’a même pas empêché les nombreuses grèves et manifestations - par exemple la contestation contre la réforme du code du travail - est bien étrange. On ne l’a pas du tout ressenti lors de manifestations culturelles ou sportives, comme récemment l’Euro 2016. Une telle acception de l’état d’urgence explique qu’un immense camion n’ait eu aucun problème à pénétrer dans le centre historique de Nice sans que personne ne lui barre la route. Et il a fallu attendre que le conducteur ait écrasé les badauds pour que la police réagisse. On comprend donc que dès les premières heures qui ont suivi l’attentat, des voix critiques se soient élevées à Nice.»
La France perd espoir
Venus rendre hommage aux victimes de l'attentat de Nice, le Premier ministre Manuel Valls et certains membres de son cabinet ont été hués lundi. Il ne reste plus grand-chose de l’unité nationale perceptible en France après les attentats de janvier et de novembre 2015, déplore La Croix :
«Comme un boomerang, le regain de confiance pour l’exécutif après les premiers attentats lui est revenu sous forme de défiance augmentée quand l’horreur s’est répétée. L’espérance spontanée des Français encourageant les responsables politiques à trouver ensemble les réponses à ces agressions a été déçue : les petits calculs ont engendré un profond scepticisme sur leur capacité collective à écarter la menace. … Tout le monde aurait beaucoup à perdre à une montée aux extrêmes. Sauf à vouloir en finir avec le respect du droit et ajouter ainsi des tensions sur le territoire national. C’est là le piège que tendent – à répétition – les terroristes aux démocraties.»
Les sociétés modernes vulnérables au fanatisme
Le cruel attentat de Nice, qui a fait 84 morts à ce jour, est la manifestation de la funeste vacuité de nos sociétés modernes, analyse le philosophe Michel Terestchenko dans le journal Libération :
«Nos sociétés, encastrées dans la rationalité économique du marché, avec toutes les conséquences socialement et même spirituellement dévastatrices qui accompagnent cette hégémonie – et elle est sans précédent dans l’histoire des sociétés humaines – ne savent plus produire de l’espérance, sont incapables de donner à leurs valeurs rationnelles, tolérantes, humanistes, ce caractère de grandeur et de noblesse sans lequel elles ne sont que des coquilles creuses. Un vide qui ouvre la porte au retour de Dieu sous son visage humainement le plus mortifère.»
Daech s'approprie les gestes de fous
Peut-être l’attentat de Nice en dit-il plus long sur Daech que sur l’auteur des faits, conjecture Der Standard :
«Le profil de l’attaquant de Nice, qui ne s’est jamais intéressé à l’islam, illustre parfaitement la nature de Daech quand l'organisation frappe en Occident : elle se veut la négation absolue et la destruction de tout ce qui, dans nos sociétés, est considéré comme la 'vie'. L’idéologie de Daech est la seule à proposer un pareil programme. On peut décrocher une place dans l'histoire en mettant ses actes de folie au service de l’'Etat islamique' - des actes pour lesquels on serait autrement passé pour fou furieux, solitaire et aliéné.»
Le terroristes veulent annihiler la France
Tout comme pour les attentats de Paris, l’auteur de l’attentat de Nice s'était radicalisé dans la banlieue, écrit le quotidien 24 Chasa, qui met en garde contre le danger émanant de ces zones :
«Que les terroristes aient été organisés ou qu’ils aient agi en loups solitaires, ce sont les symboles de la France qu’ils avaient dans le collimateur. Ils voulaient s’en prendre à la liberté d’opinion ('Charlie Hebdo'), à l’esprit de la fête ('Bataclan') et, dans le cas de Nice, à des personnes qui voulaient fêter la journée nationale. Dans les trois attentats, les meurtriers de masse étaient issus des ghettos de l’immigration. Qu’ils aient appartenu à la première ou à la deuxième génération, il semblerait que les autorités françaises n’aient pratiquement eu aucun renseignement sur leur compte. Une erreur monumentale qui a coûté la vie à tant de personnes. Par ces attentats, les terroristes veulent dire au monde que la France n’est pas leur pays et qu’ils veulent la faire s'agenouiller devant leurs règles et valeurs.»
Une attaque contre l'esprit national français
L'attentat de Nice le jour de la fête nationale française revêt une grande importante symbolique, écrit The Irish Independent :
«Bien qu'elle puise ses origines dans la violence de la Révolution, cette commémoration entend surtout symboliser la paix. Choisir les festivités du 14 juillet pour commettre un attentat revient à s'attaquer délibérément à l'esprit de la France. Le pays venait d'organiser avec succès l'Euro 2016 de football, où la seule menace pour la sécurité a émané des hooligans. La France avait mis sur pied une opération de sécurité qui a permis d'éviter les troubles, alors qu'elle était sous les feux des projecteurs. La violente attaque de Nice rappellera immédiatement aux citoyens français l'existence de l'état d'urgence, en vigueur dans le pays depuis les attentats de Paris en novembre dernier. Si l'on pouvait penser à un 'retour à la normale', cet espoir vient d'être annihilé.»
Le terrorisme peut frapper partout à tout moment
Le président François Hollande a fait état d'une attaque "à caractère terroriste". Cet attentat est un avertissement lancé au monde entier, juge La Libre Belgique :
«La symbolique de cette attaque sanglante est forte. Les terroristes ont frappé la France le 14 juillet, jour de sa fête nationale, alors que le feu d’artifice venait de se terminer. Ironie du sort : le président français, François Hollande avait, dans sa traditionnelle intervention télévisée du 14 juillet, souligné l’efficacité des mesures prises. Et la France s’apprêtait à abandonner l’état d’urgence à la fin de ce mois. On savait la France visée. Plusieurs projets d’attentats avaient été déjoués sur le sol français et à l’étranger. … L’attentat de Nice vient rappeler au monde que le terrorisme peut encore et toujours frapper là où on ne l’attend pas.»
Un funeste attentisme européen
La multiplication des attentats terroristes est imputable à la passivité des politiques européens, gronde To Vima :
«Si les gouvernements européens se comportent comme s'il était normal que la moindre vermine assassine en masse leurs propres citoyens, et si les politiques attendent seulement de voir où aura lieu la prochaine attaque, cette guerre est perdue d'avance. Si l'Europe, qui n'a visiblement rien d'autre à faire que de s'entredéchirer, refuse de comprendre qu'il lui faut engager toutes ses forces dans la bataille au lieu de se perdre en querelles intestines, alors cette guerre est déjà perdue. Au lendemain de la tragédie du Bataclan, la France avait demandé à l'Europe d'accroître ses moyens antiterroristes. Mais l'Europe n'a pas vraiment réagi. On est d'avis, à Bruxelles et Berlin, qu'il y a d'autres priorités.»
Résister aux provocations
On ignore encore qui est derrière cet attentat et s'il s'agit d'un acte terroriste islamiste. Si cette hypothèse se confirme, l'Occident devra impérativement garder son calme, prévient le philosophe Jan Hartman sur son blog hébergé par le site du magazine Polityka :
«Nous sommes blessés et nos ennemis sont de plus en plus agressifs. Mais leur objectif consiste à semer la peur et la haine pour que nous répondions à la violence par la violence. Ils veulent nous plonger dans un cercle vicieux, qui ne fait que produire de nouveaux groupes islamistes. Brisons cette spirale ! Si nous cédons aux provocations, les attentats et les troubles seraient monnaie courante. L'Europe deviendrait les Balkans, pour ne pas dire un second Proche-Orient.»
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