Les puissances s'opposent sur la question syrienne
Après la rupture par Washington des négociations sur la Syrie et le veto de Moscou contre une résolution de l'ONU, les relations russo-américaines sont au plus mal. Les ministres des Affaires étrangères des deux pays, John Kerry et Sergueï Lavrov, veulent se rencontrer samedi à Lausanne pour enrayer l'escalade. Les commentateurs s'interrogent sur les chances de détente et sur la perspective d'un cessez-le-feu en Syrie.
La conférence dépendra de ses participants
La liste des participants aux négociations sera déterminante pour l'issue de la conférence sur la Syrie, souligne le journal progouvernemental Star :
«La Turquie, l'Arabie saoudite et le Qatar sont considérés comme les soutiens de l'opposition sunnite en Syrie et en Irak ; or Damas et Bagdad voient en eux des indésirables et du point de vue américain, ils sont des alliés a minima. Si les participants se limitent à ces pays-là, la conférence peut évoluer dans différentes directions. Premièrement, il est possible que sur les questions litigieuses, la Russie assure une médiation entre les Etats-Unis et les pays évoqués précédemment. ... D'un autre côté, on peut douter qu'un dégel soit possible entre les deux grandes puissances si l'Iran, puissance régionale, n'est pas invitée. Il faut reconnaître que l'on ne peut attendre de solution à la conférence de Lausanne si l'Iran et Israël ne sont pas présents.»
L'intérêt pour les victimes, reflet de notre défaitisme
L'importance accordée aux victimes civils en Syrie est révélatrice de la perception de la guerre par chacun, analyse Le Jeudi :
«Il faut dire les choses en face : si en 'Occident', on parle plus des victimes que de stratégie, c’est surtout parce que 'nous' sommes en train de perdre cette guerre. Preuve en est que nous n’abordons quasiment pas le sort des civils yéménites, qui souffrent tout autant. Nous perdons la guerre sur le terrain, mais avons quelque part l’impression de la gagner aussi, en étant plus 'humains' que la Russie et Bachar al-Assad. Les Russes, quant à eux, ont réussi à remettre un pied au Moyen-Orient et sont déterminés à y rester. Le Kremlin ne reculera pas devant ce massacre de civils qui rappelle la politique russe de terre brûlée à Grozny. C’est parce que la bataille d’Alep est si prometteuse géopolitiquement que le sort des civils n’intéresse pas trop le régime russe.»
Une guerre imputable aux difficultés économiques russes ?
Le faible prix du pétrole pourrait être une des raisons de l'engagement militaire russe en Syrie, selon Kaleva :
«Les relations russo-américaines se sont dégradées de façon rapide et inquiétante. En moins de quelques mois, les deux pays se sont replongés dans la période la plus tendue de la guerre froide. ... Le pétrole est le mot-clé, car l'évolution de son cours dessert la Russie. Il est possible que Poutine tente, par son immixtion, de tirer vers le haut le marché mondial des prix du pétrole. Outre la chute des cours pétroliers, la Russie est également mise en difficulté par les sanctions économiques prises par l'Occident en réaction à l'annexion par Moscou de la péninsule de Crimée. La Russie connaît un déficit budgétaire considérable, qui entraîne une remise en cause des fonds de retraite et des fonds sociaux. Le gel des relations avec l'Ouest est donc d'abord lié à des raisons de politique intérieure.»
En Syrie, plus aucune règle ne vaut
Les alliances entre belligérants en Syrie peuvent évoluer rapidement et en fonction des différents champs de bataille, observe le quotidien progouvernemental Yeni Şafak :
«Il est quasiment impossible de comprendre les incroyables transformations survenues au Proche-Orient ces cinq dernières années. On ne peut plus résoudre la situation par des moyens politiques conventionnels. Le terrain politique est si glissant, si variable et si dangereux que des règles diplomatiques ancestrales, des accords et des alliances internationaux n'ont subitement plus cours. ... Il suffit de regarder la situation en Syrie. A l'ouest de l'Euphrate, nous sommes les rivaux des Etats-Unis et les alliés de la Russie ; à l'est de l'Euphrate, nous sommes les rivaux de la Russie et en partie les alliés des Etats-Unis. ... En Syrie, les différents pays forment une alliance dans tel ou tel quartier d'une ville, pour mieux se combattre dans un autre. Une situation extrêmement confuse et à haut risque.»
Pourquoi Obama ne combat qu'en Irak
Si Barack Obama a renforcé la présence militaire américaine en Irak avant l'offensive visant à reprendre Mossoul à Daech, il refuse néanmoins toute intervention en Syrie. Un paradoxe que tente d'expliquer Le Vif/L'Express :
«Dans le camp des démocraties, où la moindre initiative militaire fait débat, une question légitime se pose : peut-on se satisfaire du fait que Barack Obama a décidé de réagir militairement avant l'élection présidentielle américaine, alors qu'il s'est obstinément refusé jusque-là à agir de manière significative en Syrie ? Au point que l'on assiste à la constitution de deux fronts, assez différenciés. En Syrie, la réticence invariable des Etats-Unis à s'engager militairement finit par laisser penser que leur dessein est de contrer les Russes plus que de renverser le régime de Damas. En Irak, tout montre que l'administration Obama a ardemment besoin d'une victoire retentissante contre le califat autoproclamé de Mossoul.»
L'Occident n'est pas irréprochable au Proche-Orient
Il y a trois ans, l’Occident a omis d'établir une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Syrie, ce dont on ressent les répercussions aujourd’hui, critique Handelsblatt :
«Une pareille mesure n’est plus possible maintenant, étant donné que la Russie défendrait becs et ongles sa souveraineté aérienne au-dessus du territoire syrien. Poutine a su revenir sur le ring international et il profite au plan intérieur de sa rivalité avec les Etats-Unis, au détriment des autres, tandis qu’Assad reste le garant des seules bases militaires russes en Méditerranée et au Proche-Orient. L’Occident a lui aussi sa part de responsabilité. L’invasion de l’Irak par les Etats-Unis sous la direction de George W. Bush, intervention catastrophique et contraire au droit international - soutenue par Angela Merkel, à l’époque leader de l’opposition - a pavé la voie de Daech. … Enfin, c’était une erreur que de négocier si longtemps avec la Russie pour trouver une solution en Syrie, jusqu’à ce qu’Assad ait été tellement affaibli par les rebelles et par Daech que Moscou a dû intervenir.»
Obama dans l'impasse
Les Etats-Unis ne sont actuellement pas en mesure d'agir au Proche-Orient, analyse Milliyet :
«En Irak et en Syrie, la situation est de plus en plus bloquée. D’autant plus que des opérations sont prévues à Mossoul et Alep. … En ce qui concerne le début des opérations, les dirigeants américains sont soumis à une importante pression du temps. Selon l’avis dominant, elles devraient démarrer avant les présidentielles. Elles sont risquées et comportent une certaine incertitude, mais c’est la nature de la guerre qui le veut. La règle d’or pour gérer l’incertitude c’est une bonne direction et la capacité à prendre des décisions rapidement. Or en période de campagne électorale, les réponses à des situations militaires et politiques de guerre peuvent être temporisées. Par ailleurs, la promesse d'Obama de ne pas déployer de troupes au sol a limité la marge de manœuvre des généraux sur le terrain. Cette restriction réduit l’envergure de la guerre et empêche d’autres alliances.»
Cesser la confrontation avec la Russie
Suite au veto russe contre la résolution proposée par la France et l'Espagne à l'ONU, François Hollande envisage d’annuler la visite de Poutine prévue la semaine prochaine à Paris. Le Figaro préconise davantage de pragmatisme :
«Attitude bien légère - déplacée, même - pour un chef de l'Etat, que d'étaler ainsi ses doutes et ses états d'âme diplomatiques sur la place publique. On connaissait le penchant de François Hollande pour le commentaire de l'actualité - bien plus que pour l'action présidentielle -, on le découvre désormais commentateur de sa propre indécision! ... Cette salade russe ridiculise l'image de la France sur la scène internationale. Elle ne peut qu'affaiblir notre voix dans un conflit très compliqué, où nous peinons à nous faire entendre. Ce n'est pas en traitant la Russie en ennemie que la France trouvera les solutions pour anéantir l'Etat islamique et organiser la relève à Damas. Aux considérations morales, la France doit préférer le pragmatisme.»
Vers un conflit ouvert entre les Etats-Unis et la Russie
La réunion du Conseil de sécurité de l'ONU a probablement été l'ultime étape avant une confrontation ouverte entre l'Amérique et la Russie, redoute Novosti, journal de la minorité serbe :
«Au Conseil de sécurité, la Russie n'a pas encore empêché de mettre fin à la guerre civile, comme le prétendent les analystes occidentaux. On a plutôt constaté que l'objectif de l'Ouest était de renverser Assad et de porter 'ses' acteurs au pouvoir. Toutes les histoires de 'lutte contre le terrorisme islamiste' ne sont justement rien d'autre que des histoires. ... Les stratèges de Washington veulent ramener la Russie au statut de puissance de seconde zone, de simple puissance régionale, comme le disait jadis en plaisantant le président américain. ... Si cette séance malheureuse n'était que le prologue, alors le premier acte fracassant devrait voir les avions russes abattre les jets de combat américains dans le ciel d'Alep.»
Les impérialistes détruisent le Proche-Orient
L’échec de la résolution de l’ONU constitue pour le journal Hürriyet une preuve amère de la déliquescence de la politique occidentale :
«Le monde est devenu ingouvernable. Si l’un des cinq pays siégeant au Conseil de sécurité oppose son véto, l’ONU est paralysée. Comme il n’y a pas d’intérêts communs entre les Etats-Unis et la Russie, il n’y a jamais de décision à l’ONU. En Syrie, des centaines de milliers de personnes sont en situation d’urgence humanitaire ; la Palestine souffre depuis des années ; l’Afrique est devenue une honte pour l’humanité. Les conflits reprennent de plus belle dans le monde. Bref, l’appétit de ceux qui tentent depuis des centaines d’années de redéfinir les frontières internationales est insatiable, et il grandit de génération en génération.»
Une escalade dangereuse
Il Sole 24 Ore juge l'actuelle confrontation russo-américaine plus dangereuse encore que celle de la guerre froide :
«L'histoire ne se répète jamais systématiquement, mais presque : dans le cas de Poutine, le populisme autoritaire s'est substitué à l'idéologie marxiste. ... Les menaces potentielles sont celles de toujours : seule la conscience de ne pas pouvoir anéantir l'autre sans être soi-même anéanti par la suite empêche le désastre. Or la situation s'est considérablement dégradée : depuis la fin du partenariat Russie-OTAN en 2014, il manque un canal de liaison qui permettrait d'éviter incidents et malentendus. Les cieux et la mer Baltique n'avaient jamais été aussi saturés d'avions et de navires de guerre. En Syrie, où Russes et Américains sont présents physiquement sur le champ de bataille, la situation est plus périlleuse encore. Il serait désastreux que le populisme cherche à simplifier également cette délicate période politique.»
La nostalgie russe mène le monde au désastre
La Russie aspire à retrouver l'hégémonie et la grandeur de son passé et ne recule devant rien pour parvenir au but, commente Dnevnik avec inquiétude :
«On prétend ça et là que la Russie s'appauvrit en raison de la chute des prix du pétrole et que sa force économique correspondrait grosso modo à celle de l'Espagne. Des assertions erronées et dangereuses. Poutine applique une tactique qui rappelle celle de Daech, dont le budget, inférieur à celui de l'Albanie, ne l'empêche pas de semer la peur et la terreur dans le monde entier. La Russie est prisonnière d'une conception erronée, à savoir que le mythe de sa grandeur passée définit automatiquement son avenir. C'est une nostalgie semblable, celle d'une puissance et d'une grandeur passées, qui avait mené à la Seconde Guerre mondiale. A l'époque aussi, l'Europe avait réagi trop tardivement et avait dû payer le prix fort - un prix qu'elle continue à payer aujourd'hui.»
Prendre de nouvelles sanctions contre Moscou
On ne peut pas négocier avec la Russie, estime Dagens Nyheter, qui préconise plutôt le recours aux sanctions, comme dans le cas de l’Ukraine :
«Tout une série de pays, de l’Italie à la Hongrie, veulent atténuer les sanctions, voire même leur mettre un terme. … Mais les sanctions ont été provoquées par la crise en Ukraine. Sur ce plan, rien n’a changé. De plus, nul ne peut ignorer les crimes de guerre russes en Syrie. … La conséquence en est que la Russie de Poutine n’est pas un partenaire envisageable. C’est un saboteur avec lequel on est obligé de parler, mais qu’il ne faudra jamais récompenser par des concessions. Au contraire, les terribles atrocités commises en Syrie sont une raison suffisante pour les Etats-Unis et l’Union européenne d’étendre les sanctions. … En Ukraine, le problème était la Russie. Et en Syrie, la Russie ne sera malheureusement pas une partie de la solution.»
Obama laisse derrière lui un champ de ruines
Quelle que soit l'identité du nouveau président américain, il ou elle devra mettre de l'ordre, analyse Neue Zürcher Zeitung :
«Les Etats-Unis ne disposent plus que d'un nombre d'options à nouveau très limité en Syrie. L'interruption des négociations avec la Russie et les âpres accusations mutuelles marquent un nouvel abîme dans les relations avec Moscou. Quel que soit le vainqueur de la présidentielle américaine, Obama lui laissera un immense champ de ruines. Pour y remédier, il faudra adopter une politique plus réaliste vis-à-vis de la Russie, mais la prochaine administration américaine devra aussi et surtout réparer le tort causé à la crédibilité des Etats-Unis.»
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