Comment expliquer la réussite de Wilders aux Pays-Bas ?
Après le vote sur le Brexit et la victoire électorale de Donald Trump, tous les regards sont rivés sur Geert Wilders et son parti xénophobe PVV avant les législatives du 15 mars aux Pays-Bas. Si le leader d’extrême droite a caracolé en tête des sondages pendant plusieurs mois, le parti libéral de droite du Premier ministre Mark Rutte reprend l’avantage. Quel choix feront les électeurs dans ce scrutin – le premier de plusieurs votes décisifs pour l’Europe ?
L'austérité a nourri la colère
La casse sociale de ces dernières années n’est pas étrangère à l’essor de Wilders, fait valoir De Morgen :
«La réussite de Geert Wilders ne se nourrit pas uniquement de la colère ou de la peur de la déculturation, mais aussi du sentiment qu’ont beaucoup de Néerlandais de ne pas goûter aux fruits de la bonne conjoncture économique. Le gouvernement de Rutte récolte lui-même ce qu’il a semé pendant sa politique de gestion de crise. Au plus fort de la crise, l'Etat néerlandais a infligé à la population des mesures extrêmement douloureuses. Beaucoup de gens ont dû se serrer la ceinture pendant des années. La colère que ces mesures ont suscité explique en partie la popularité de Wilders.»
Etre à l'écoute de la peur de l'immigration
Il est possible de mettre le holà à Wilders et à ses acolytes en prenant au sérieux les préoccupations des citoyens lambda par rapport à l’immigration, lit-on sur le portail Delfi :
«S’il est vrai que la xénophobie est indéfendable, la xénophilie n’est pas non plus une alternative. Beaucoup de citoyens honnêtes ont de bonnes raisons de vouloir vivre avec leurs compatriotes et de vouloir limiter l’immigration. ... L’élite vit dans des quartiers riches, où elle ne rencontre des réfugiés que comme serviteurs ou dans le cadre de quelque gala. Si Rutte et d’autres politiques de l’UE se mettaient plus souvent à la place des petites gens - et pas seulement avant les élections - on pourrait trouver une solution plus efficace et empêcher la montée en puissance de partis radicaux qui propagent la haine et le racisme.»
L'inanité du populisme
Aux Pays-Bas, tous les partis ont imputé à l'UE la responsabilité des problèmes du pays, ce qui a pavé la voie à Wilders, lit-on dans El Mundo :
«Cette attitude a détruit le soutien à l’Union ce qui, conjugué à la lassitude généralisée à l’endroit des partis traditionnels, fait le lit des formations eurosceptiques et populistes. Wilders brandit cet étendard et canalise par ailleurs une grande partie de l’insatisfaction de la population en présentant les étrangers, et spécialement les musulmans, en boucs émissaires. Cela lui suffit. Car en réalité, il n’a aucun véritable programme. Personne ne sait ce qu’il ferait s’il arrivait au pouvoir. C’est la victoire de la vacuité du populisme.»
La politique de la colère
Même s'il n'arrivera probablement pas au pouvoir, Wilders a déjà changé les Pays-Bas, analyse l’écrivain anglo-néerlandais Ian Buruma dans une tribune à la Repubblica :
«Comme le font partout les populistes, Wilders promet aux Néerlandais de leur rendre leur pays et de défendre l’identité nationale - contre l’Islam bien sûr, mais aussi contre Bruxelles, capitale de l’UE. ... Wilders, ex-membre d’un groupe punk, d'origine indonésienne côté maternel, ne semble pas vraiment présenter le profil pour épurer l’identité d’une nation commerciale, majoritairement protestante, et dont la tradition permet à des personnes de confessions et de convictions différentes de vivre en bonne intelligence. Or il partage avec ses partisans une colère envers tous ceux qu’il soupçonne de présumer de leur valeur. Si ses qualifications sont insuffisantes pour le poste de Premier ministre, sa politique de la colère a d'ores et déjà fait assez de dégâts.»
Privilégier la modération
Voilà comment Wilders parvient à impacter la politique de son pays sans même avoir à remporter les législatives, explique Göteborgs-Posten :
«Wilders est dangereux parce que d’autres partis lui donnent la possibilité d’exploiter des questions qui taraudent de nombreux électeurs. Les Pays-Bas ont les mêmes problèmes que d’autres pays d’Europe occidentale. Malgré l'essor de l'économie, de nombreuses personnes - notamment les électeurs les plus âgés - n'en profitent pas. ... En raison de ce succès, les partis traditionnels tentent eux-aussi de surfer sur l'islamophobie. Le Premier ministre et chef de file du VVD, Mark Rutte, a récemment indiqué dans une lettre ouverte que ceux qui s'en prenaient aux homosexuels, aux filles en mini-jupe ou qualifiaent de racistes les Néerlandais moyens n'avaient qu'à faire leurs valises. Il était tabou jusque-là d'évoquer de telles évidences. ... Les Néerlandais doivent aborder les problèmes. Mais en faisant preuve de sagesse et de modération - des vertus étrangères à la politique de Wilders.»
Les Néerlandais se sont habitués au racisme de Wilders
Les reportages des médias étrangers sur Geert Wilders ouvrent les yeux des citoyens néerlandais, juge la chroniqueuse Sheila Sitalsing dans De Volkskrant :
«Les médias étrangers sont peut-être encore plus obsédés par le grand leader blond que nous le sommes nous-mêmes. … Les commentateurs ont manifestement fait l’impasse sur les 15 dernières années de la politique batave. Ce n'est que maintenant qu'ils comprennent que l’on peut dire beaucoup de choses sur les musulmans et les migrants dans notre pays. Les reporters entendent pour la première fois les points de vue de Wilders et se montrent choqués – provoquant chez nous un sourire las. Nous sommes tellement habitués à l’impudence, aux atteintes à la Constitution, au racisme décomplexé, à la haine et au dénigrement, que nous tendons l’oreille dès qu’un reporter étranger s’étonne du mépris des limites dans notre débat national.»
Il n'y pas que Wilders
L'écologiste Jesse Klaver, le social-démocrate Alexander Pechtold et le chrétien-démocrate Sybrand Buma enregistrent eux aussi de bons résultats dans les sondages. Or les médias étrangers ne s'intéressent qu'au candidat d'extrême droite Geert Wilders, déplore Tom-Jan Meeus, chroniqueur de NRC Handelsblad :
«Dans un langage électoral simple, on pourrait dire que Klaver est trop naïf, Pechtold trop vague, Buma trop conservateur. Je pense moi-même que ces trois candidats illustrent avant tout la beauté de notre démocratie. Mais les médias du monde entier viennent ici pour parler de Wilders, tandis que les médias néerlandais, depuis des mois déjà, veulent parler des citoyens en colère. La progression de ces trois candidats tend toutefois plutôt à montrer que la plupart des Néerlandais veulent rester constructifs - au lieu de propager la haine.»
Un scrutin déterminant pour l'Europe
En cette année d’élections cruciales dans de nombreux Etats de l’UE, le scrutin du 15 mars sera un jalon déterminant, analyse Hürriyet Daily News :
«Les élections aux Pays-Bas seront un indicateur précoce de la capacité de l’extrême droite à poursuivre son essor en Europe. Le PVV de Geert Wilders étant en tête dans les sondages, c’est lui qui façonne le débat politique. … On observe la même chose en France, où la candidate d’extrême droite marine Le Pen est en tête des sondages pour les présidentielles, du moins pour le premier tour. … La décision électorale que prendront les citoyens de différents Etats de l'UE déterminera la forme future de l’UE, mais aussi le rôle de l’Europe dans le monde. Le résultat aura indubitablement des répercussions sur l’avenir de la planète - car les deux guerres mondiales étaient toutes deux, au départ, des guerres européennes.»
Le Nexit n'est pas une option
Si les partis populistes ont le vent en poupe aux Pays-Bas depuis des années, une sortie du pays de l'UE n'est pas à craindre, analyse Jutarnji list :
«L'économie tourne, le chômage diminue et de telles tendances sont plus importantes aux yeux de la plupart des citoyens que les propos populistes. Les Pays-Bas sont conscients des problèmes du pays, liés à la société multiethnique, mais ils n'en attribuent pas la responsabilité aux seuls musulmans, comme aimeraient le faire les populistes. Le pays jadis le plus libéral du monde occidental a néanmoins changé. L'intégration des étrangers est de plus en plus lente et il y a longtemps que le Premier ministre ne peut plus aller seul au travail à vélo. La société néerlandaise en a assez des politiques traditionnels et c'est la raison pour laquelle l'incertitude domine avant les élections. Mais il n'y aura pas de Nexit. L'UE peut survivre sans la Grande-Bretagne, pas sans les Pays-Bas. Les élections de mercredi sont peut-être donc le scrutin national le plus important de l'UE cette année.»