Dix ans de crise financière - quelles leçons ?
Début août 2007, la bulle immobilière américaine éclatait, mettant en difficulté les banques dans le monde entier. La crise financière devait atteindre son apogée l’année suivante, avec la faillite de Lehman Brothers. Le monde a-t-il su tirer des enseignements de la crise ? Les commentateurs sont sceptiques.
Les géants numériques, un nouveau risque
Aujourd'hui comme avant la crise financière, trop de pouvoir décisionnaire repose entre les mains d'une minorité, critique The Times :
«Avant, c’étaient les banquiers. Aujourd’hui, c’est Google, Facebook et quelques autres acteurs qui concentrent trop de pouvoir et pourraient peut-être par mégarde conduire à l’effondrement de notre économie. Nous devons nous attendre à une autre sorte de crise. Tôt ou tard, nous devrons choisir comment dompter ces géants, comment les démanteler et comment assurer qu’ils respectent les règles fixées à notre demande par des gouvernements démocratiques. C’est la seule manière de garantir que nous maîtrisions la technologie, et non que la technologie et ses propriétaires nous dictent leur loi.»
Les banques évitent les Pays-Bas - et c’est tant mieux
Dix ans après la crise bancaire, sous l’effet du Brexit, la Royal Bank of Scotland reviendra s'implanter aux Pays-Bas. Heureusement, il s’agit d’une exception, estime NRC Handelsblad :
«Une des leçons que l’on peut tirer de cette crise est qu’il n’est pas forcément toujours une bonne chose d’avoir un secteur financier important. Plus l’économie est tributaire des transactions d’argent et de capital, plus elle tombe de haut quand les choses tournent mal. ... Oui, on a fait de nets progrès en matière de contrôle du secteur financier. ... Mais comme c’est souvent le cas, les régulations et les mécanismes de surveillance sont à la traîne en termes de pratique, d’innovation et de taille. ... Les Pays-Bas ont perdu de leur attractivité aux yeux des établissements financiers en raison du durcissement des règles d'octroi des boni. Dix ans après la crise, on se demande s’il faut le regretter.»
Une baisse conjoncturelle ne dure pas dix ans
Pour pouvoir faire face aux conséquences de la crise, il faut des changements au niveau du système, conclut El Periódico de Catalunya :
«L'effet domino a fait tomber les uns après les autres banques, caisses d’épargne, le marché de la construction de la moitié de la planète et enfin des pays étranglés par l’endettement. ... Les mesures d’aide exceptionnelles ont certes permis d’arrêter l’hémorragie, mais pas de rétablir la prospérité et la sécurité que nous connaissions il y a dix ans. Une crise qui perdure pendant dix ans est plus qu’une baisse conjoncturelle. ... [Pour de nombreuses victimes de la crise], celle-ci n’est pas une parenthèse, mais une réalité quotidienne. Ils fondent leurs espoirs non pas dans une reprise, mais dans un changement du système.»
A quand la prise de conscience ?
Dix ans plus tard, ni les gouvernements, ni le monde des finances n’ont vraiment tiré de leçons, craint Jyllands-Posten :
«De nouveau, les patrons des grandes banques de Wall Street perçoivent des salaires annuels de plusieurs centaines de millions. ... En Europe, le taux de chômage est toujours supérieur à celui d’il y a dix ans, et dans de nombreux pays européens, le chômage des jeunes reste toujours très élevé. ... De nombreuses réformes politico-économiques qui s’imposaient sont restées de vaines promesses, notamment en Italie et en France. ... Nous pouvons nous réjouir de la croissance économique et de l'amélioration des possibilités de réaction en cas de crise. Mais les cours des actions, excessivement élevés, cachent peut-être l’amorce de la prochaine crise – avant même que les factures de la précédente n'aient été réglées.»
L’avidité a fait perdre de vue les limites
Corriere del Ticino rappelle les causes de la crise :
«Il y a dix ans, la mondialisation semblait être un phénomène sans limites. Les nouveaux produits financiers qui dissimulaient le risque de l’acheteur sous des noms exotiques illustraient le phénomène. Dans cet immense lacis de titrisations, l'identité du véritable débiteur disparaissait. La fin de la distinction entre banque commerciale et banque d’investissement a encouragé les pratiques les plus téméraires. ... Aux yeux des courtiers financiers, les grandes liquidités et le niveau bas des taux d'intérêts ont ouvert d’immenses marges de bénéfices. Mais l’argent ne tombe pas du ciel - ni hier, ni aujourd’hui. Et le plus sophistiqué des algorythmes ne saurait générer de l'argent à partir du néant.»
Une décennie d’erreurs
Dans Corriere della Sera, les experts économiques Alberto Alesina et Francesco Giavazzi analysent les lourdes fautes politiques commises dans la gestion de la crise :
«La réponse à la crise donnée par le gouvernement de Barack Obama aurait été beaucoup plus efficace si au lieu de grands projets d’infrastructure, il avait misé sur une réduction plus résolue des impôts. En Europe, la politique d’austérité aurait été beaucoup moins coûteuse si on s’était concentré sur des restrictions budgétaires, comme en Irlande ou au Royaume-Uni, au lieu d’augmenter la pression fiscale comme on l'a fait en Italie dans les années 2011-2012. Sans parler de la lenteur avec laquelle certains pays, notamment l’Italie, ont compris la nécessité d’intervenir pour stabiliser les banques. Enfin, on aurait dû tout de suite accepter l'insolvabilité de la Grèce au lieu de faire durer pendant des années une farce incompréhensible dont l'unique but était d'aider les banques allemandes et françaises.»
Le lobby financier parvient toujours à s’imposer
Dans l’Europe politique, personne ne veut se rappeler les leçons tirées de la crise financière, déplore Le Soir :
«Les règles prudentielles plus sévères [pour les banques] sont désormais remises en cause au motif qu’elles risquent de freiner l’octroi de crédit et de désavantager nos 'champions' (lisez : les grandes banques françaises et allemandes) face à leurs concurrents extra-européens. Pire : la Commission souhaite relancer la titrisation, cette technique qui permet aux banques de refiler les crédits (et donc le risque) à d’autres investisseurs et qui avait contribué à répandre le poison des crédits hypothécaires 'subprime' américain dans le monde entier. Comme si la crise de 2008 ne nous avait pas enseigné que ce qui est bon pour les grandes institutions financières n’est pas nécessairement bon pour nos économies.»
La redistribution fonctionne mal
La reprise ne peut pas encore s'appuyer sur une base solide, rappelle La Vanguardia :
«La croissance actuelle repose sur un endettement public et privé excessif, présentant le risque permanent d’une rechute économique. Mais le monde s’est habitué à danser sur ce volcan, du moins pour le moment. ... Le problème jusqu’à présent irrésolu est le suivant : compte tenu des quantités gigantesques d’argent que l'économie dépense pratiquement à taux zéro, l’économie devrait afficher une croissance bien supérieure et créer beaucoup plus d’emplois qu’elle ne le fait actuellement. Parallèlement, on devrait intensifier la redistribution des richesses afin de combattre les inégalités croissantes. Un objectif dont le monde, y compris l’Espagne, a du mal à se rapprocher.»