Duel TV Merkel-Schulz : jusqu'au bout de l'ennui ?
Le duel télévisé entre la chancelière Angela Merkel et son rival Martin Schulz a également été très suivi hors des frontières de l'Allemagne. Si la plupart des commentateurs allemands ont trouvé le débat profondément ennuyeux, les éditorialistes d'autres pays en tirent pour leur part d'autres enseignements.
De la vertu de l'ennui
Politiken loue la qualité du duel :
«L'objectivité de la discussion et le format du débat montrent clairement que la bataille pour la chancellerie est une joute civilisée et adulte, qui se déroule dans le cadre d'une démocratie mature. Si l'on songe à la campagne électorale américaine entre Hillary Clinton et Donald Trump il y a un an, le contraste est criant. D'aucuns taxeront d''ennuyeuse' cette manière allemande de faire campagne. Mais 'ennuyeux' est synonyme ici de discussions nuancées, menées par deux rivaux politiques sur des thématiques complexes. ... Ainsi, si les politiques et les médias allemands décidaient de nous envoyer un peu 'd'ennui' par delà la frontière danoise, nous ne dirions pas non !»
La question migratoire ne laisse rien présager de bon
Il est symptomatique que les discussions aient tourné principalement autour de la question des réfugiés, commente Jerzy Haszczyński, ex-correspondant à Berlin du journal Rzeczpospolita :
«Il n'y a visiblement rien de plus important pour l'Allemagne que la question migratoire. Et s'il en est ainsi pour l'Allemagne, il en est ainsi pour l'ensemble de l'UE. Cela ne présage rien de bon. Le conflit portant sur les migrants extra-communautaires déterminera l'avenir de l'UE. Certains politiques allemands, comme Schulz, veulent conditionner l'octroi des fonds européens à la prise en charge des réfugiés. ... Berlin veut par ailleurs introduire un mécanisme de répartition et durablement contraindre les Etats membres de l'UE à accueillir un certain nombre de réfugiés. Tout cela sous le mot d'ordre de la solidarité.»
Une réédition de la grande coalition ?
L'une des rares choses que le débat a montré, c'est que le SPD et la CDU étaient prêts à reformer une grande coalition, analyse Il Sole 24 Ore :
«Même s'il ne s'agit pas de la première option de Merkel, qui préférerait un pacte avec le FDP ou avec les Verts, ni de celle de Schulz, qui avait été choisi par le SPD en janvier dernier pour incarner l'alternative à une grande coalition. ... Le désastre des élections régionales du printemps, qui ont montré l'aversion de l'électorat à l'éventualité d'une alliance du SPD avec Die Linke et les Verts, a éliminé cette option. ... Après le 24 septembre, les négociations de coalition risquent d'être longues, même si l'on sait déjà qui dirigera le gouvernement ; en 2013, alors qu'il n'y avait qu'une seule issue envisageable, les négociations avaient déjà duré 90 jours.»
Un débat sans relief ni émotion
Die Welt est déçu par la qualité globale du débat :
«Quel gâchis, quelle bouillie verbale insipide, sans relief notable et sans émotion. Angela Merkel a fini par remporter ce duel assez soporifique, et Martin Schulz l'a perdu après une entame assez impressionnante. … Aucun des deux n'a vraiment su susciter l'enthousiasme. La communication s'est faite sur un mode dénué de toute sensualité, de tout charme et de toute élégance. Espérons que cet échange n'ait pas découragé les jeunes électeurs qui commencent tout juste à s'intéresser à la politique. Merkel peut toujours faire valoir qu'elle préfère gouverner que faire campagne. Schulz en revanche, qui est en campagne à temps plein, a fourni une prestation insuffisante.»
L'ennui serait-il le prix de la stabilité ?
Le débat a été ennuyeux, mais pour De Tidj, ce n'est pas forcément un inconvénient :
«Il ne faut pas attendre une joute oratoire d'un débat opposant deux candidats de partis ayant formé une coalition pendant quatre ans. ... Merkel l'emportera une fois de plus, mais si le score du FDP n'est pas assez bon, inévitablement, elle devra encore composer avec Schulz et son SPD. Et le ton se corserait, contrairement à celui du duel télévisé. Dans le multipartisme, il devient de plus en plus difficile de faire des compromis. L'Allemagne a un grand avantage : la sobriété mortellement ennuyeuse de débats animés par des forces bien molles. Cela paraît soporifique de prime abord, mais au final, cela aboutit à un gouvernement stable.»
La droite et la gauche allemandes intervertissent les rôles
La chancelière a pu se poser en protectrice des droits humains, pointe Protagon :
«Le candidat social-démocrate a joué les 'vrais durs' en matière d'immigration, en revendiquant une législation européenne, tandis que la chancelière a fait figure d'avocate des droits humains. … Elle est apparue bien plus sereine, pro-européenne et peut-être plus à gauche que son adversaire social-démocrate, à l'aune des règles de la communication politique. A la question du regroupement familial, Schulz a répondu que chaque cas devait faire l'objet d'un examen individuel, tandis que Merkel s'en est remise à la convention de Genève sur les réfugiés. Ceci illustre combien nous connaissons mal les Allemands en les classant à droite ou à gauche, selon nos stéréotypes.»