Zapad : quelle est la stratégie de Moscou ?
La Russie et la Biélorussie ont lancé ce jeudi l'exercice militaire conjoint Zapad 17, qui signifie 'Ouest' en russe. Selon des informations officielles, cette opération devrait mobiliser près de 13.000 soldats venant des deux pays et durer sept jours. Certains commentateurs craignent que des troupes russes ne restent en Biélorussie à l'issue de l'exercice et réclament que l'OTAN montre à la fois sa force et son ouverture au dialogue.
Que cachent ces exercices militaires ?
En menant son opération militaire Zapad 17, la Russie poursuit des objectifs bien précis, analyse Jutarnji list :
«Un des objectifs consiste à montrer à l’OTAN, l’UE et à Minsk que la Biélorussie revêt un intérêt stratégique pour Moscou et que tous les moyens déployés lors de l’exercice serviront à maintenir le pays dans le pré carré de la Russie. ... L’exercice se déroule au point géostratégique extrêmement sensible où l’OTAN confine aux satellites russes : à proximité du passage de Suwałki, d'une largeur de 104 km, permettant à la Russie de séparer les pays baltes du reste de l’OTAN et relier l’enclave de Kaliningrad au territoire biélorusse. Tout le monde comprend que l’exercice 'Zapad 17' a vocation à démontrer que l’armée russe est prête, au besoin, à réaliser une telle opération en peu de temps.»
Moscou se méfie de Minsk
L'exercice Zapad n'est pas sans susciter la préoccupation des Biélorusses, explique l’opposant biélorusse Aleś Łahviniec dans Le Monde :
«Les 'petits hommes verts', tristement célèbres depuis l’annexion de la Crimée, qui ne sont rattachés ni au ministère de l’intérieur, ni au FSB le service fédéral de sécurité, ni à la garde nationale, participeront à 'une série d’exercices tactiques de nature antiterroriste', d’après le vice-ministre de la défense russe. Ce qui laisse craindre que des militaires russes restent sur le territoire biélorusse après cette opération. Au Kremlin, on comprend très bien qu’un pays indépendant – même si cette indépendance n’est que formelle –, à la frontière d’une Union européenne aujourd’hui timide et repliée sur elle-même, pourrait tout de même à moyen terme s’européaniser et s’émanciper de l’ancien Empire.»
Poutine ne montre pas les crocs pour le plaisir
Les grandes manœuvres de la Russie aux portes de l’OTAN et de l’UE ne laissent rien présager de bon, écrit aussi Hospodářské noviny :
«Zapad 2017 a un 'caractère purement défensif' et n’est 'dirigé contre aucun Etat étranger', nous dit-on. Au printemps 2014, la Russie avait profité d’un grand exercice militaire pour souffler la Crimée à l’Ukraine et pour engager une guerre dans le Donbass. ... Poutine ne montre jamais les crocs pour le plaisir. L’OTAN ferait bien de s’assurer qu’après les exercices, tous les contingents quittent le terrain. C’est bien connu, l’appétit vient en mangeant. Poutine a toujours misé sur l’armée, d’abord en Tchétchénie, puis en Géorgie et maintenant en Ukraine et en Syrie. Et demain ? Et après-demain ? Ce serait un leurre de penser qu'il s'arrêtera là.»
Miser sur la dissuasion et le dialogue
Il faut maintenant envoyer deux signaux forts, commente le Handelsblatt :
«Premièrement, l’Ouest doit tout miser sur sa défense, y compris dans les pays baltes. Personne ne devrait cautionner les protestations des prétendus pacifistes, qui affirment que les quatre unités de l’OTAN présentes à l’Est réunies sous le nom d’Enhanced Forward Presence constituent une agression à l’encontre de la Russie. Elles sont simplement le signal fort que l’Ouest ne montre aucune faiblesse. Elles ont été la base indispensable à la réussite de la décision à deux volets de l’OTAN et de la 'Ostpolitik' de Willy Brandt : une politique de défense déterminée, mais ouverte au dialogue. C’est justement la deuxième composante dont nous avons de nouveau besoin : la disposition à se concerter avec Moscou sur une architecture commune en matière de sécurité pour ce continent baptisé à l’époque par Gorbatchev la 'maison commune européenne', ainsi qu’une dynamique de contrôle de l’armement et de désarmement.»
De simples exercices militaires
Il faut se garder de surestimer la portée de Zapad, préconise Keskisuomalainen :
«Un débat anxiogène a déjà été mené sur ces manœuvres. Celles-ci ont été qualifiées d'actions belliqueuses et de premier pas vers la guerre. Il s'agit là d'interprétations simplistes et irresponsables, d'exagérations propagandistes. La manœuvre russe n'est qu'un simple exercice militaire. On peut comprendre qu'un grand Etat entraîne régulièrement ses troupes. La Suède, les Etats-Unis et la Finlande procèdent à des exercices similaires en Suède, afin de parfaire leur coopération. L'ampleur et la fréquence de ce phénomène permet seulement de déduire l'importance que la politique attribue à l'armée.»
Les pacifistes rendent service au Kremlin
L'exercice militaire Aurora, qui se déroule simultanément, est critiquée par le mouvement pacifiste. Celui-ci fait le jeu de Poutine, fulmine Expressen :
«Il est surprenant de voir les Verts du Gotland mentir et présenter l'exercice de défense suédois comme une manœuvre guerrière de l'OTAN, faisant écho à l'image relayée par Moscou. La Russie de Poutine fait beaucoup d'efforts pour influencer l'opinion publique occidentale. Et comme à l'époque soviétique, le Kremlin trouve un appui dans le mouvement pacifiste - qui attire députés et membres du gouvernement. On est tout à fait en droit de parler d'un risque sécuritaire.»
La Russie devient-elle une seconde Corée du Nord ?
La Russie est en train de s'isoler de plus en plus sur la scène internationale, selon le ministre letton de la Défense, Artis Pabriks, sur le portail Tvnet :
«La Russie peut naturellement prétendre que ces exercices militaires ne sont pas organisés dans le but d'attaquer ou d'occuper un Etat voisin. ... Mais le caractère agressif de ces manœuvres suscite la crainte que cette rhétorique ne soit malheureusement pas en adéquation avec les véritables desseins du Kremlin. ... En Russie, la propagande qualifiant l'Occident d'ennemi extérieur se fait de plus en plus virulente. Moscou entend ainsi maintenir à l'avenir aussi des relations pugnaces avec l'Ouest. En procédant ainsi, le Kremlin accroît son isolement et se prive de la possibilité de renoncer à cette position. Avec une telle politique, la Russie risque d'emprunter la voie de la Corée du Nord, laquelle vit dans l'isolement et soumet ses voisins à un chantage militaire.»
Zapad, un nom qui en dit long
Le nom de l'opération est très révélateur, explique Vytautas Landsbergis, premier chef d'Etat de la Lituanie indépendante après 1990, dans Lietuvos žinios :
«Cette grande manœuvre militaire, qui suscite l'inquiétude, se nomme 'Occident'. C'est le nom de l'ennemi global et celui sous lequel nous sommes listés - ce n'est pas le cas de l'Ukraine, car on espère la détruire avant qu'elle ne se tourne vers l'Ouest. ... Comme notre rival raisonne de façon globale et idéologique (un héritage du communisme), il espère pouvoir rallier à sa cause toutes les forces possibles à l'Est. C'est ainsi que l'alliance [des pays émergents] BRICS a été conçue, comme un contrepoids à l'alliance atlantique. A l'intention de ses citoyens, qui subissent ce lavage de cerveau depuis longtemps déjà, le Kremlin, souligne la cible de cette offensive : l'Occident malveillant, qu'il faut anéantir.»
On aurait tort de titiller la Russie
Le ministre finlandais de la Défense, Jussi Niinistö, a proposé le déroulement en Finlande d’un exercice militaire avec l’OTAN, bien que le pays ne soit pas membre de l’organisation. Savon Sanomat fait part de son scepticisme :
«C’est une décision à double-tranchant. D’une part, une grande manœuvre militaire signifierait à la Russie que la Finlande fait partie du monde occidental, qu’elle est bien préparée et jouit du soutien des membres de l'OTAN. Il ne fait aucun doute qu’une manœuvre commune sur son territoire rendrait en outre l'armée finlandaise encore plus opérationnelle. De l’autre cependant, une zone de flou persisterait pour nous, car la manœuvre ne nous donnerait pas droit aux garanties de sécurité dont jouissent les membres de l’OTAN. La Russie pourrait prendre les manœuvres comme prétexte à des contre-mesures désagréables.»
Il ne faut pas avoir peur de Moscou
Les pays baltes n’ont pas à craindre une agression russe en réponse à une manœuvre, assure le portail 15min :
«Les pays baltes ont été ravalés au rang 6 de la liste des priorités de la Russie. Le Proche-Orient (qui ne se limite pas à la Syrie) occupe aujourd’hui la première place. L’Arctique est en seconde position, les pays des Balkans et de la mer Noire se disputent la troisième et la quatrième place, sans oublier que la guerre en Ukraine n’est pas encore finie. Nous ne sommes donc que la sixième priorité de l’agenda du Kremlin. C’est pourquoi nous aurions tort de nous attendre au pire. Et il ne faut pas oublier que même si la Russie a une armée forte, ce n’est pas une super-puissance ; elle ne gaspillerait donc pas ses ressources. Et l’OTAN accorde davantage d’attention à notre région.»
La défense militaire suédoise est tout à fait légitime
L’armée suédoise a elle aussi lancé lundi une manœuvre de grande envergure, Aurora 17. Ses détracteurs condamnent ce qu'ils considèrent comme une provocation inutile - argument que récuse Svenska Dagbladet :
«Il n’y a rien de bizarre à ce qu’un pays s’entraîne pour garantir sa défense – ou du moins cela ne devrait pas être sujet à caution. Et pourtant, depuis qu’Aurora 17 a été rendue publique, la critique et les condamnations n’y vont pas avec le dos de la cuillère. Rappelons que pratiquement personne ne s'est ému de Zapad 17, l’exercice de l’armée russe, presque cinq fois plus important. Le site Internet 'Stoppez Aurora' reprend la version du Kremlin, à savoir que la Russie ne fait que réagir à une provocation de l’extérieur pour assurer sa défense – bien que depuis les années 1970, Zapad ait été répété à plusieurs reprises. Qualifier la manœuvre russe de riposte à une agression suédoise est une ineptie qui fait fi des réalités.»