Paris et Berlin peuvent-elles reprendre les livraisons d'armes à la Turquie ?
Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdoğan ont signé vendredi à Paris un accord sur un développement commun de systèmes de défense aérienne. Un jour plus tard, le ministre des Affaires étrangères allemand Sigmar Gabriel a laissé entrevoir à son homologue turc Ahmet Çavuşoğlu une reprise des livraisons d'armes allemandes. Levée de bouclier dans la presse.
Une critique du bout des lèvres
Les affaires que la France fait avec la Turquie en matière d'armement infirment toute critique relative aux déficits démocratiques du pays, s'indigne Hürriyet Daily News :
«Il n'est pas surprenant que la priorité de Macron - la vente de techniques et d'équipements de défense - ait prévalu sur ses préoccupations quant à la démocratie en Turquie. ... En effet, ceci conforte le président Erdoğan et différents dirigeants non-occidentaux dans la croyance qu'ils peuvent impunément suspendre les libertés et les droits dits universels tout en continuant de travailler avec les Occidentaux, qui se veulent être les champions de ces principes. C'est un fait : les armes et l'argent sont prioritaires. Si l'on rappelle des principes politiques du bout des lèvres, c'est uniquement pour sauver les apparences.»
Se garder de toute compromission
Frankfurter Rundschau trouverait révoltant que la reprise des livraisons d'armes allemandes à la Turquie soit conditionnée à la libération du journaliste allemand en détention Deniz Yücel :
«Une chose est claire : Yücel doit être libéré, au même titre que tous les détenus en Turquie, qui sont écroués pour la seule raison qu'ils ont fait leur travail, comme Yücel, ou qu'ils sont des adversaires politiques du président Recep Tayyip Erdoğan. Ce ne sont pas là des délits. C'est précisément pour cette raison que la libération des détenus n'est pas négociable. Ce serait un accord répréhensible que de récompenser Erdoğan par la livraison de biens d'armement en contrepartie d'une bonne conduite - une compromission qu'Erdoğan n'hésiterait pas à exploiter.»
La carotte et le bâton, un expédient valable face aux autocrates ?
Malgré l'accord d'armement conclu avec Ankara, Macron a pointé les entorses à l'Etat de droit perpétrées par Erdoğan et rejeté une poursuite des pourparlers avec l'UE en vue d'une adhésion turque. Le président français a mis au point une méthode pour gérer les politiques autocrates, constate Le Monde :
«Elle consiste à recevoir avec tous les honneurs les autocrates de haut rang, ou à aller leur rendre visite en grande pompe, mais à se servir de la rituelle conférence de presse conjointe pour désamorcer, par quelques vérités assénées la tête haute, les critiques de ceux qui l'accusent de se compromettre. ... La question, bien sûr, est la contrepartie espérée. Sortir de ces rencontres la tête haute est une chose, en tirer les bénéfices attendus en est une autre. L'avenir dira si l'accueil de M. Poutine et de M. Erdoğan permet d'avancer, notamment, sur le déblocage du dossier syrien.»