L'affaire Selmayr ébranle Bruxelles
Le Parlement européen s'est penchée lundi sur la nomination controversée de Martin Selmayr au poste de secrétaire général de la Commission européenne. Auparavant chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, Selmayr occupe désormais le poste le plus élevé au sein de l'administration de l'institution. Les modalités de cette nomination nuisent un peu plus à l'image de l'UE, déplorent les commentateurs.
Du grain à moudre pour les eurosceptiques
Les dégâts collatéraux provoqués par l'affaire Selmayr sont d'ores et déjà considérables, estime Frankfurter Allgemeine Zeitung :
«Ceux pour lesquels Bruxelles est un repaire de bien-pensants, d'apparatchiks nombrilistes, se voient confortés dans leurs convictions. Alors que l'euroscepticisme ne fléchit pas, il serait judicieux de ne pas l'alimenter. Sous l'effet du vote sur le Brexit, on s'était engagé à privilégier dorénavant la transparence et la proximité des citoyens - on serait bien avisé de ne pas oublier ces promesses. Un projet de résolution du Parlement européen parle d'une 'action digne d'un coup d'Etat'. Verbalement, c'est tiré par les cheveux. Mais il est certain que l'affaire n'améliore en rien l'image Bruxelles.»
Bruxelles minée par le clientélisme
Le clientélisme prévaut donc aussi bien à l'Ouest qu'à l'Est, constate le quotidien Troud :
«Depuis plusieurs semaines, le nom Selmayr est source de tensions dans les antichambres de Bruxelles. ... Dans tout écosystème fermé, comme celui de Bruxelles, il y a des prédateurs et des proies. Martin Selmayr, que les employés de la Commission surnomment 'Raspoutine', ou encore 'la bête de Berlaymont', fait clairement partie des premiers. Il figure au sommet de la chaîne alimentaire de l'administration européenne. Mais la voie choisie pour y parvenir rappelle davantage des pratiques que l'on observe habituellement à l'est de Vienne, et pas tellement au sein des 'démocraties occidentales'. Et l'on voudrait nous faire croire que la situation n'est pas la même partout ?»
Halte au jeu tronqué des nominations
L'affaire Selmayr porte atteinte à la crédibilité du président de la Commission Juncker, déplore tagesschau.de :
«L'UE se rend particulièrement vulnérable face aux eurosceptiques et populistes en tous genres. C'est une évolution très dangereuse, en particulier à une époque où les partis anti-européens et de droite dure sont de plus en plus nombreux à entrer dans les gouvernements, comme en Autriche. Et les populistes ont le vent en poupe, comme l'ont montré les récentes élections en Italie. Sans compter que de tels parachutages font tomber l'UE en disgrâce auprès de nombreux citoyens. Il ne faut pas s'étonner du désaveu politique généralisé. La Commission européenne doit changer ses procédures de nomination. Tous les postes à pourvoir, notamment les postes clés, doivent faire l'objet d'un appel à candidatures plurielles et sérieuses. La commission Juncker pourra alors retrouver sa crédibilité.»
Juncker ne tient pas promesse
Le Monde se range à l'avis selon lequel ce genre de copinages nuit à l'UE :
«A quatorze mois des élections européennes, dans un contexte de poussée europhobe et antisystème, Bruxelles doit se garder de présenter l'image d'une élite coupée du peuple. L''affaire Selmayr', celle d'un technocrate qui n'aurait de comptes à rendre à personne sinon à son mentor, donne au pire moment le spectacle d'une administration qui vit dans une bulle, où rivalisent calculs de carrière et vains jeux de pouvoir. Jean-Claude Juncker s'était fixé pour objectif de se concentrer sur les sujets essentiels et d'en finir avec la bureaucratie procédurière, dans laquelle l'Europe perdait son âme et sa popularité. Plus qu'un faux pas, cette nomination montre qu'il a oublié cet engagement.»
Clash des modèles à l'UE
La colère de Paris suite à la nomination de Selmayr est une réaction tout à fait compréhensible, estime le correspondant européen de De Morgen Jelte Wiersma :
«Ces dernières années, la quasi-totalité des postes clés de l'Union ont été attribués à des Allemands. Ce n'est donc pas un hasard si les Français ont une dent contre Selmayr. En tant que grand pays, ils devraient avoir droit à de nombreux postes à haute responsabilité. S'ils n'y ont plus accès, c'est parce que le système de nationalité a été abandonné. Selon le nouveau 'modèle de fidélité', déjà connu en Allemagne et en Belgique, les fonctionnaires sont nommés selon leur parti politique. Ce ne sont ni l'objectivité, ni la nationalité qui entrent en ligne de compte, mais les 'bonnes' convictions. ... Dans l'affaire Selmayr, tout tourne autour du pouvoir, mais aussi des différents modèles de nomination.»
Mauvais pour la crédibilité de l'UE
Süddeutsche Zeitung désapprouve les petits arrangements passés autour des postes clés en Europe :
«Un an et demi avant l'avènement d'une nouvelle Commission, on sait déjà qui dirigera l'institution. ... Dans cette affaire, ce qui compte pour le gouvernement allemand, c'est de faire de Selmayr l'agent le plus puissant de l'institution. Son influence au sein de la Commission est assurée, quel qu'en soit le président en 2019. Du point de vue allemand, la nomination de Selmayr fait même d'une pierre deux coups. Elle laisse à Berlin les coudées franches pour promouvoir son propre candidat lors du choix du prochain président de la BCE. C'est peut-être dans l'intérêt de la nation, mais cela ne fait rien pour améliorer la crédibilité de l'Europe.»
Un pacte entre Paris et Berlin
La nouvelle Europe franco-allemande est en train de prendre forme, constate La Repubblica :
«Avec la nomination du nouveau vice-président de la BCE Luis de Guindos, les pays du Nord manœuvrent pour que Jens Weidmann puisse succéder ensuite à Mario Draghi à la tête de l'institution de Francfort. Les Etats méditerranéens feront tout pour empêcher cette éventualité. Mais, renforcée par le pacte conclu avec Paris, Berlin refusera de se voir imposer un autre candidat. ... Ce pacte prévoit qu'un français devienne président de la Commission. Une thèse confortée par la nomination de l'allemand Martin Selmayr, car au titre de secrétaire général de l'institution, il pourra contrôler toutes les activités de Bruxelles. Le poste de Juncker sera alors repris par un français en 2019. Le négociateur en chef de l'UE pour le Brexit, Michel Barnier, est en pôle position.»