Liberté de la presse : l'Europe est mauvaise élève
L'an dernier, la situation de la liberté de la presse s'est détériorée en Europe plus que nulle part ailleurs dans le monde. C'est ce qui ressort du classement de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, qui explique ce recul notamment par des intimidations de la classe politique, par des meurtres de journalistes et des législations strictes sur la diffamation. Des commentateurs européens donnent leur avis sur l'évolution du palmarès.
Détrônée, la Finlande reste ambitieuse
Bien que la Finlande soit dans le peloton de tête, Ilta-Sanomat déplore la légère rétrogradation de la Finlande :
«Il est râlant, et surtout inquiétant pour la Finlande que pour la deuxième fois consécutive, nous perdions des places au classement. Il y a deux ans seulement, la presse finlandaise était la plus libre au monde, à en croire ce classement, dont elle occupe aujourd'hui le quatrième rang. ... La situation internationale de la Finlande reste bonne, mais chez nous comme ailleurs en Europe, la tendance va dans le mauvais sens. Dans une démocratie véritablement libre, les médias ne devraient rien avoir à craindre des politiques, et les journalistes ne devraient pas avoir peur de la police. Faute de quoi la suite logique serait que les citoyens devraient vivre dans la peur.»
Italie : le parti contestataire M5S muselle la presse
S'il y a deux ans, le chef de file du Movimento 5 Stelle (M5S) Beppe Grillo avait déploré le manque de liberté de la presse italienne, son successeur Luigi Di Maio est aujourd'hui montré du doigt, comme le souligne La Repubblica :
«Aujourd'hui, Di Maio a pris la tête du mouvement à la place de Grillo. Or il y a tout juste un an, celui qui brigue le poste de Premier ministre avait envoyé à l'ordre des journalistes une liste de chroniqueurs dont les recherches et les articles sur le scandale de corruption à Rome, desservaient la cause du M5S. C'est donc clairement à lui que fait référence l'organisation Reporters sans frontières quand elle affirme que le M5S n'hésite pas à communiquer publiquement les noms des journalistes qui le dérangent. Peut-être personne n'avait-il expliqué à Di Maio, il y a un an, que c'est un grave délit, dans les démocraties libérales, que d'établir des listes noires.»
Pourquoi l'UE fait des fleurs à la Bulgarie
La Bulgarie a perdu 76 points par rapport à 2006 et se situe actuellement au rang 111. Le service bulgare de la Deutsche Welle explique que le pays n'a pas à craindre de remontrances venant de Bruxelles :
«L'UE a suffisamment d'autres problèmes et si l'on n'est pas trop regardant, la Bulgarie est une bonne élève européenne. Elle présente des finances stables, un développement économique réjouissant, elle se tient à l'écart du groupe de Visegrád et pratique une politique pragmatique en matière de réfugiés, un compromis entre contrôles aux frontières, fermeté envers les réfugiés et solidarité envers les pays de l'UE qui accueillent des contingents importants de réfugiés. Par ailleurs, l'UE se montre indulgente parce que le gouvernement bulgare est un garant de stabilité et [en tant que membre du groupe PPE au parlement] du maintien de la majorité politique actuelle dans la direction de l'UE.»
Une évolution atterrante en Bulgarie
La Bulgarie a perdu 76 points par rapport à 2006 et se situe actuellement au rang 111. Sega se penche sur les causes de cette dégringolade :
«A l'ère d'Internet, où les médias ne peuvent plus se financer parce que les lecteurs ne veulent plus payer pour les contenus et que les recettes publicitaires vont dans les poches de Google et Facebook, le quatrième pouvoir en Bulgarie s'est mis en quête de nouveaux sponsors. Et ces sponsors sont les oligarques qui dirigent le pays en coulisses, quels que soient les politiques officiellement au pouvoir. Les médias sont leur propriété. ... En 2006, un an avant l'adhésion du pays à l'UE, la Bulgarie partageait le rang 35 avec la France et aujourd'hui, onze ans plus tard, nous sommes à la 111e place - une évolution qui en dit long sur notre développement européen.»
Condamner le dénigrement des médias par les dirigeants
Reporters sans frontières souligne que de plus en plus souvent, les dirigeants est-européens attaquent verbalement les journalistes. Une situation préoccupante, pointe De Morgen :
«Or ce qui est presque aussi inquiétant, c'est que cette haine envers les médias observée en Europe de l'Est gagne des pays comme l'Autriche ou la France, qui caracolent depuis des décennies en tête des classements sur la liberté de la presse. La Belgique serait-elle déjà atteinte par la phobie des médias ? Heureusement, à en croire le rapport, ce n'est pas le cas. ... Au demeurant, nous pouvons reprocher aux politiques belges de ne hausser que rarement le ton dans les forums internationaux pour dénoncer ceux qui dénigrent les journalistes, notamment [le président tchèque] Milos Zeman, [l'ex-Premier ministre slovaque] Robert Fico ou [le chef de gouvernement hongrois] Viktor Orbán. Il faut croire que la cause ne vaut pas la peine d'être défendue, et qu'il importe plus de ne pas ternir l'ambiance des sommets européens. Un peu plus de courage serait le bienvenu.»
Beaucoup de questions en suspens
La Slovaquie est en chute libre dans le classement de Reporters sans frontières, dans lequel elle a perdu dix places. Au vu des récents évènements en Slovaquie, le quotidien Sme comprend cette évolution :
«L'assassinat du journaliste Ján Kuciak aurait laissé attendre un rang bien pire encore. Payer de sa propre vie ou vivre dans la peur d'une exécution pour 'ceux qui restent' est en conflit flagrant avec la liberté. D'autant plus que depuis l'assassinat, les survivants redoublent d'ardeur dans leur travail d'investigation. ... Or quand on voit que des pays comme la Grande-Bretagne, la France ou les Etats-Unis arrivent après la Slovaquie, on se demande quel crédit accorder à ce classement.»