Giuseppe Conte, nouveau Premier ministre italien
Le président italien Sergio Mattarella a chargé le juriste Giuseppe Conte, novice en politique, de former un gouvernement. Celui-ci pourra donc sélectionner des membres du parti eurosceptique Mouvement 5 Etoiles (M5S) et de la Ligue (extrême droite). Les éditorialistes évoquent les répercussions de cette décision sur l'Europe.
Conte prône l'irresponsabilité
Dans sa première allocution, le professeur de droit a indiqué qu'il voulait être l'avocat et le défenseur du peuple italien. Mais en tenant de tels propos, Conte exhorte ses concitoyens à l'irresponsabilité, déplore le rédacteur en chef de La Repubblica, Mario Calabresi :
«Les mots sont déjà un manifeste politique. ... Les citoyens ne sont plus tenus d'apporter leur contribution et de faire de leur mieux. On leur promet à la place le début d'une ère harmonieuse, où les problèmes se résoudront d'eux-mêmes. En cas de difficultés, la culpabilité incombera comme toujours à ceux qui sont opposés au changement.»
Une aubaine
L'Italie, l'un des pays fondateur de l'UE, se dote d'un gouvernement eurosceptique. Ce sera un stimulus précieux pour l'Union, juge La Tribune de Genève :
«Cette confrontation est bienvenue. Cela fait trop longtemps que les institutions nationales et européennes montrent leur incapacité à résoudre les problèmes collectifs de l'UE. Ce statu quo ne peut plus durer. Trois fronts se dessinent déjà. Rome veut augmenter les dépenses publiques tout en abaissant les impôts, mettant en danger sa propre stabilité financière et celle de toute la zone euro. Elle entend durcir sa politique migratoire, soulignant l'indifférence de ses partenaires. Elle souhaite enfin lever les sanctions qui frappent la Russie, écartelant un peu plus une Europe déjà schizophrène sur cette question.»
Un précurseur ?
L'expérimentation politique italienne pourrait faire école ailleurs en Europe, commente hvg :
«La formation de ce nouveau gouvernement est importante parce que l'Italie, bien que sa politique ait souvent l'air divertissante vue de l'extérieur, a toujours été à l'avant-garde de nombreux développements politiques au cours de l'histoire. Les institutions de l'Etat, le fascisme : des concepts surgis d'abord en Italie avant de se propager au reste de l'Europe. ... L'Italie s'essaye aujourd'hui à une nouvelle tambouille. Ce n'est pas la posture anti-immigration de la Ligue qui est nouvelle, mais le mélange de démocratie directe et d'autoritarisme, qui pose un défi historique à la démocratie parlementaire.»
La réussite ne tient qu'à un fil
Dans Corriere della Sera, l'expert politique Massimo Franco flaire le risque d'élections anticipées, principalement en raison des personnalités pressenties pour former le futur gouvernement :
«Les positions anti-euro du professeur Paolo Savona [pressenti au poste de ministre des Finances] ne sont pas moins inquiétantes que l'inexpérience en politique et le CV enjolivé de Giuseppe Conte. ... Il ne reste qu'à espérer que dans les prochaines heures, le président Mattarella réussisse à amener ses interlocuteurs à prendre la mesure des enjeux et à décourager ceux qui, séduits par la perspective de nouvelles élections, succombent à la tentation de tout laisser tomber [comme Matteo Salvini a menacé de le faire].»
Laisser faire sans jeter la pierre
Sur France Inter, le chroniqueur Bernard Guetta pense que le gouvernement Ligue/M5S n'étant pas viable, il suffit de prendre son mal en patience :
«Rien ne sera simple mais si l'on ne veut pas aller à coup sûr vers une implosion de l'Union, il faut que la Commission et les capitales européennes s'abstiennent de mettre d'emblée en accusation le gouvernement qui s'annonce à Rome. Il ne faut pas que ce gouvernement puisse accuser quiconque d'autre que lui-même de ses difficultés à venir. Il faut, au contraire, lui souhaiter bonne chance, comme à toute nouvelle équipe, et attendre patiemment le ressaisissement de l'Italie.»
Berlin n'a toujours rien compris à la crise en Europe
Face à la situation italienne, l'Allemagne est au pied du mur, selon Der Tagesspiegel :
«L'interminable drame grec ne pourra se répéter en Italie, car si la troisième économie d'Europe s'effondre, l'UE risque d'exploser. On peut comprendre que l'Italie, de par son long rivage méditerranéen, se sente abandonnée face à l'immigration. Et pour résorber le taux de chômage au Sud, qui avoisine les 50 pour cent, il faudra investir dans l'éducation et l'emploi. Si le président Macron a compris la crise européenne, la chancelière Merkel n'a pas apporté de réponse pour l'instant. Cela fait longtemps déjà en Italie que les Allemands passent pour les gagnants de la politique d'austérité, ceux qui se sont enrichis aux dépens des autres. Il faut d'abord prendre cette critique au sérieux si l'on veut exiger une forme d'autocritique de la part des autres. Et favoriser des réformes réellement nécessaires à Rome.»
De mauvaises nouvelles d'Italie
Index pointe que les électeurs italiens ont fait voler en éclat les espoirs d'apaisement du climat européen :
«En mars, les Italiens ont élu un parti comique populiste et un parti d'extrême droite qui, il n'y a pas si longtemps que cela, faisait campagne pour une sécession du Nord de l'Italie. A ce qu'on entend, ces deux partis forment à présent une coalition. Autrement dit, la quatrième économie européenne va être gouvernée par des gens qui ne vont pas rembourser la dette publique et qui veulent augmenter les dépenses publiques, bien que l'Italie soit le deuxième pays le plus endetté d'Europe. En outre, ce gouvernement entend expulser un demi-million de demandeurs d'asile en un seul coup et il courtise Vladimir Poutine. Un bien mauvais présage pour l'Europe.»
Une marionnette
Pour Mario Calabresi, rédacteur en chef de La Repubblica, le rôle de Giuseppe Conte se cantonnera à celui d'exécutant :
«Il s'agit d'un Président du conseil dont la tâche sera la mise en œuvre d'un programme qu'il n'a pas écrit, avec une équipe qu'il n'a pas lui-même choisie. On ne peut pas s'empêcher de se demander quelle marge de manœuvre lui sera accordée, coincé entre Salvini et Di Maio. … Quelle ligne Giuseppe Conte suivra-t-il par exemple lors de la rencontre du G7 au Canada [en juin], ou encore lors des sommets européens ? Qu'aura-t-il le droit de dire ou de décider sans la bénédiction des acteurs de la coalition ? … On entend déjà la réponse : il respectera les termes du contrat pour lequel le peuple l'a choisi. C'est son unique légitimation. Or la réalité soulèvera des problèmes que ce contrat nébuleux et ambivalent n'aborde pas le moins du monde.»
Anéantir l'UE comme but premier
La Ligue, partenaire dominant dans la coalition, affaiblira l'UE, analyse Kurier :
«'Movimento Cinque Stelle' (M5S) a recopié des pans entiers de Wikipédia pour rédiger son programme électoral, et dirigé par Beppe Grillo, comique aussi fou qu'absentéiste, le mouvement a promis un revenu universel pour tous. La Ligue, pour sa part, est devenue un parti établi dans la partie Nord du pays, qui cherche, aux côtés de Marine Le Pen et de quelques autres, à affaiblir l'UE. M5S et La Ligue comptent financer les cadeaux qu'ils viennent de décider conjointement en mettant à contribution non pas les Italiens, mais l'ensemble de l'UE, par le biais d'un endettement accru et par une remise de dette par la BCE. Toutes ces promesses resteront lettre morte mais renforceront encore plus le désamour des Italiens pour l'UE. C'est là précisément l'objectif de la Ligue : détruire l'UE, d'une manière ou d'une autre.»
Vers une sortie insidieuse de l'euro
La nouvelle coalition au pouvoir à Rome entend payer les obligations de l'Etat avec des reconnaissances de dette, également appelées Mini-BOTs en Italie. Dans sa chronique pour De Morgen, le professeur d'économie Paul De Grauwe pointe les risques inhérents à pareille politique :
«Les systèmes monétaires basés sur deux devises en parallèle sont instables. C'est une conséquence directe de la 'loi de Gresham' : 'Bad money drives out good money'. … Si l'Etat italien émet des Mini-BOTs en trop grande quantité, cette devise parallèle se dépréciera. De plus en plus d'Italiens paieront dans cette devise de valeur moindre et économiserons en 'véritables euros'. Par voie de conséquences, le véritable euro sera de moins en moins en circulation. Ce phénomène correspondra au moment où l'Italie pourra sortir de l'euro. Je ne peux m'empêcher de penser que c'est là le but ultime des membres du nouveau gouvernement italien.»
Une occasion en or pour relancer l’Europe
Dans L'Opinion, le conseiller en stratégie Hakim el Karoui estime pour sa part qu'une crise entre Rome et ses partenaires européens pourrait faire avancer l'UE :
«La crise italienne peut être l'occasion de montrer que l'on ne préservera pas l'Europe avec des rustines monétaires et des entourloupes juridiques. Le système économique de la zone euro dysfonctionne : la polarisation géographique attire le capital et la valeur ajoutée vers le Nord de l'Europe, le Sud ne crée pas assez de valeur, ce qui a un impact immédiat sur les comptes publics. Les Allemands ont prouvé en 2011 qu'ils étaient prêts à faire évoluer leurs positions, même quand ils les présentaient comme intangibles. La crise italienne qui s'annonce peut être paradoxalement une occasion en or pour relancer l'Europe. Espérons qu'Emmanuel Macron pourra y parvenir.»