Poutine, grand gagnant de la Coupe du monde ?
Le président de la FIFA, Gianni Infantino, a estimé que la Coupe du monde de football 2018 en Russie a été la meilleure de l'histoire de la compétition. Vladimir Poutine a déclaré pour sa part que le Mondial a permis de faire mentir enfin les clichés sur la Russie. Les chroniqueurs ne sont pourtant pas certains que le président russe ait réussi son "opération de séduction".
La politique et les problèmes laissés sur la touche
On a le sentiment, du côté de Corriere del Ticino, que le Mondial a eu lieu sous cloche :
«Avec la victoire de la France et la fête au stade Loujniki s'achève la 'plus belle Coupe du monde de tous les temps', comme l'a affirmé Gianni Infantino. La formule du président de la FIFA est indubitablement exagérée, et résulte des liens étroits qu'il entretient avec la Russie, et notamment avec Vladimir Poutine. La politique et les problèmes n'avaient pas droit de cité sous la cloche de verre placée sur le Mondial et ses protagonistes. Jamais les opposants de Poutine et les nombreux journalistes emprisonnés n'ont été évoqués, pas plus que les droits de l'homme ou la question ukrainienne. Le président russe a remporté la partie. Fort d'une compétition tout-à-fait réussie et porté par un consensus général, il peut désormais recevoir Donald Trump.»
Une victoire de la Russie
Dans L'Obs, le journaliste Pierre Haski estime que le Mondial reflète la nouvelle donne géopolitique :
«C'est juste le reflet d'un monde nouveau dans lequel les 'disrupteurs' de l'ordre international sont capables de survivre et même de prospérer. Il faut dire que Vladimir Poutine profite aussi de la décomposition de ce qu'on appelait autrefois 'l'Occident', qu'il a lui-même contribué à provoquer en poussant ses pions dans les processus électoraux. … A côté du caractère intempestif de Donald Trump, comme ont pu le constater ses 'alliés' du G7 la semaine dernière, Vladimir Poutine peut se présenter comme un modèle de stabilité et de prévisibilité. Il n'a pas besoin d'une victoire de l'équipe russe pour l'emporter : c'est déjà fait.»
Le football n'efface pas les divisions
On ne peut considérer la compétition comme un succès de propagande, estime pour sa part De Volkskrant :
«Les craintes de l'Ouest ne se sont pas vérifiées, notamment parce que Poutine est resté discret, contrairement au dictateur argentin Videla en 1978. Le Mondial a donc davantage été une propagande favorable au peuple russe, aux Russes lambda, qui, après les victoires inattendues du onze national, ont partagé leurs célébrations avec les supporters du monde entier. ... Maintenant que le tournoi est terminé, la géopolitique fera son retour, et la Russie et l'Occident se trouveront à nouveau dos à dos. Quelques matchs de football ne suffisent pas à estomper les lignes de fracture nationales et internationales.»
Retour à un quotidien servile
L'intermède de la Coupe du monde n'a rien changé au climat répressif en Russie, fait remarquer Novaïa Gazeta :
«Il importait au pouvoir étatique de donner l'illusion, pendant le mondial, d'une société ouverte libre et bienveillante, qui reçoit ses hôtes les bras ouverts. Il faut reconnaître qu'il y est parvenu à merveille. Mais on a montré également que notre cordialité avait des limites bien définies. On peut boire et faire la fête tant qu'on veut. Mais dès lors que l'on se fend d'un geste ou d'une déclaration politique, on se fait aussitôt taper sur les doigts ou sur les dents. ... Les habitants de ce pays ne sont pas idiots, ils savent bien que la fête est terminée et que les Mexicains sont partis. Et que nous serons à nouveau confrontés à des autorités dont le seul souci est d'exploiter la population tout en la maintenant dans un état de docilité et d'humilité.»
La barre sera haute pour le Qatar
El Mundo dresse un bilan sans faute pour la Russie et son organisation, en dépit des réserves émises en amont :
«La logistique du mondial a fonctionné à la perfection. Premièrement, il n'y a pas eu de problème notable, surtout au chapitre de la sécurité : il n'y a eu aucune agression ou affrontement entre supporters d'équipes adverses. Deuxièmement, l'utilisation des nouvelles technologies a été réussie, notamment l'assistance vidéo à l'arbitrage (VAR), pour moderniser le football. Troisièmement, les stades, dans lesquels le gouvernement russe a investi 3,4 milliards d'euros, étaient d'un haut niveau de fonctionnalité. ... Le Qatar sera le premier pays organisateur d'un mondial en hiver et sans déplacements sur de longues distances. La FIFA a désormais pour mission de garantir une compétition qui puisse se mesurer à la prestation russe en termes d'organisation, de sécurité et de nombre de spectateurs.»