Venezuela : pourquoi le conflit s'internationalise
Plusieurs Etats européens ont adressé un ultimatum au président vénézuélien Nicolás Maduro, le sommant d'organiser des élections anticipées dans un délai de huit jours. Auparavant, les Etats-Unis et un nombre important de pays d'Amérique latine avaient reconnu Juan Guaidó comme chef d'Etat autoproclamé par intérim. Les chroniqueurs sondent surtout les motivations qui poussent la Russie et les pays voisins à prendre position dans ce conflit.
Ce que redoute Poutine
Dans Obotsrevatel, Sviatoslav Batov, coordinateur d'un projet initié par le ministère ukrainien de l'Information dans l'optique d'endiguer les infox, explique que si Poutine prend Maduro sous son aile, c'est pour écarter un concurrent sur le marché du pétrole :
«Le Venezuela est le premier pays au monde en termes de réserves de pétrole attestées. S'ils étaient gouvernés par des dirigeants capables, les 30 millions d'habitants du pays auraient un niveau de vie comparable à celui des autres pays pétroliers. Actuellement, le Venezuela extrait quatre à cinq fois moins de pétrole que la Russie. Et ce bien que ses réserves en pétrole soient quatre à cinq fois supérieures. Imaginez que des capitalistes de droite ou des centristes arrivent au pouvoir au Venezuela, qu'ils autorisent l'économie privée à extraire le pétrole et attirent des investisseurs dans le pays. Comment l'économie russe le vivrait-elle ? Elle serait frappée de plein fouet, à moins qu'elle n'y succombe, tout bonnement.»
Un retour de bâton conservateur en Amérique de Sud ?
La remise en cause du pouvoir au Venezuela s'inscrit dans le processus global de droitisation que connaît la région, commente Alexander Busch, correspondant de Handelsblatt en Amérique du Sud :
«Après le Chili, l'Argentine et la Colombie, le Brésil a lui aussi un gouvernement ultraconservateur, après l'élection du candidat populiste d'extrême droite Jair Bolsonaro. Le Brésil travaille en étroite coopération avec les Etats-Unis et le groupe conservateur de pays d'Amérique latine Lima pour déposer Maduro. Il est certes tout à fait positif que le Brésil ne mâche plus ses mots pour critiquer la dictature au Venezuela. Or le soutien inconditionnel qu'il apporte à Guaidó risque de provoquer un retour de bâton conservateur - autrement dit un retour à la situation politique du passé, quand les Etats-Unis s'alliaient à des puissances régionales pour combattre les gouvernements de gauche et promouvoir les régimes de droite.»
Comme au bon vieux temps
Comme à l'époque de la guerre froide, le monde se scinde en deux camps, fait remarquer Večernji list :
«Le gouvernement du dictateur et président de gauche Nicolas Maduro a le soutien de la Russie, de la Chine et de Cuba tandis que de l'autre côté les Etats-Unis, le Canada et un grand nombre d'Etats d'Amérique du Sud (Brésil, Argentine, Chili, Colombie et Pérou) appuient d'une certaine manière le président du Parlement Juan Guaidó, autoproclamé chef de l'Etat par intérim jusqu'à la tenue de nouvelles élections. L'Occident exige donc l'organisation d'élections anticipées démocratiques au Venezuela, tandis que l'Est reconnaît Maduro comme le vainqueur d'élections qui ont été une farce. Les véritables candidats d'opposition n'ont pas eu le droit de se présenter face à Maduro. L'opposition a donc boycotté les élections : ainsi, 46 pour cent des électeurs seulement se sont rendus aux urnes et ont bien sûr élu Maduro.»
La paix passe par des négociations
La victoire de l'un ou de l'autre des protagonistes qui se disputent le pouvoir au Venezuela ne résoudra pas le conflit, fait valoir Diena :
«Quel que puisse être le gagnant officiel, il est peu probable qu'il réussisse à faire revenir l'ordre dans le pays. En effet, en Amérique latine, une tradition veut que le camp perdant recoure à des méthodes de guerre civile et de partisans, ce qui aggraverait un peu plus les problèmes du Venezuela et des pays limitrophes. Les Etats-Unis tablent sur ce type de scénario, et sur la possibilité d'une intervention militaire. L'unique solution acceptable pour le Venezuela serait une table ronde rassemblant les deux parties, afin qu'elles s'entendent sur un choix qui soit acceptable pour tous.»
A fond pour l'opposition
The Economist appelle l'Occident à serrer les rangs pour apporter à Juan Guaidó un soutien clair :
«Les Etats-Unis et l'UE devraient actionner tous les leviers dont ils disposent pour amener un changement pacifique en soutenant le gouvernement parallèle de Juan Guaidó. Par exemple placer une partie des revenus issus des exportations de pétrole sur un compte auquel seule l'Assemblée nationale ait accès et brandir la menace de sanctions supplémentaires pour encourager les défections au régime. Le soutien du groupe Lima [qui regroupe la majorité des Etats d'Amérique latine] infirmera les assertions de Maduro, selon lesquelles Guaidó n'est qu'un valet des gringos. Si cet odieux régime devait s'écrouler, le Venezuela aurait besoin d'une immense aide internationale, sous la forme d'assistance humanitaire, de crédits et de soutien politique.»
Trump à la tête d'une cabale internationale
Sur son blog Yetkin Report, le journaliste Murat Yetkin critique pour sa part les immixtions étrangères :
«Plus qu'un putsch unique en son genre, l'initiative du président américain ressemble beaucoup à une intrigue internationale : quelques heures seulement après la décision des Etats-Unis, Guaidó a été reconnu par le Canada ainsi que par le Brésil et la Colombie, voisins du Venezuela. A en croire les médias, ces deux derniers pays ont posté ces dernières semaines des troupes à leurs frontières avec le Venezuela, ce qui pourrait indiquer l'imminence de combats, voire d'une occupation. ... Mon propos n'est pas de prendre la défense de l'autocratie de Maduro, notoirement incapable - car bien qu'il dispose d'une des plus grandes ressources en pétrole au monde, le peuple connaît des difficultés économiques. ... Il n'incombe toutefois ni à Trump ni à toute autre puissance de changer la situation, autrement dit d'apporter la démocratie.»
Un schéma bien connu
Pour Izvestia, le rôle des Etats-Unis n'est pas un secret :
«Il y a d’abord eu, en début de semaine, une tentative de putsch militaire. L'insurrection d'une poignée risible de soldats a été rapidement écrasée. Or ce n'était qu'un signal de départ annonçant des opérations plus sérieuses. Emeutes et affrontements avec la police à Caracas et dans d'autres villes s'en sont suivies. C'est Juan Guaidó, président du Parlement dissout dominé par l'opposition, qui a orchestré le soulèvement, s'autoproclamant chef d'Etat par intérim. Sa légitimité a été tout de suite reconnue par les Etats-Unis, aussitôt suivis d'une série de ses satellites en Amérique latine. Les Américains excellent dans l'art de provoquer tout d'abord une crise financière et économique pour réduire la population à la misère, et, par voie de conséquence, causer son mécontentement. Tout le reste relève ensuite de la technique.»
Les réticences de l'UE sont compréhensibles
Troud explique pourquoi l'UE hésite à reconnaître le président autoproclamé :
«Même si [la cheffe de la diplomatie européenne Federica] Mogherini n'a pas reconnu les élections présidentielles de l'an dernier et considère l'Assemblée nationale comme la seule institution démocratique, elle ne soutient aucunement Guaidó, dans sa déclaration sur la situation actuelle, comme président par intérim. ... Définir une position commune de l'UE sur les événements au Venezuela est une tâche qui demande du temps et une vérification scrupuleuse des faits. L'UE a du mal à soutenir l'initiative de Juan Guaidó, parce qu'il lance un appel au coup d'Etat et se pose à la tête de l'Etat de son propre chef, sans que la Constitution ne lui confère ce droit. Ce faisant, il enfreint le droit international et les principes fondamentaux de la démocratie.»
Un bain de sang ou la résignation
Sur le portail d'information brésilien Terra, la responsable de l'antenne de la Deutsche Welle en Amérique latine, Uta Thofern, s'interroge sur l'issue du bras de fer qui se joue actuellement au Venezuela :
«Tout est possible dans le plus pauvre des pays riches de la Terre. Un autre 'printemps arabe' avec toutes les conséquences qu'on connaît. Un bain de sang. Ou encore l'arrestation de Guaidó, la fin des manifestations et le retour à la pénible résignation de ces derniers mois. ... Guaidó s'est exposé à un grand risque en s'autoproclamant publiquement président. ... Le soutien ostensible des Etats-Unis est une épée à double tranchant. Toute aide venant des Etats-Unis apporte de l'eau au moulin des chavistes purs et durs qui entourent Maduro et ne fait qu'entretenir la légende selon laquelle la situation actuelle du Venezuela est entièrement due à la guerre économique menée par les Etats-Unis.»
Le rôle charnière de l'armée
Selon Merijn de Waal, spécialiste de l'Amérique latine à NRC Handelsblad, la réaction de l'armée sera décisive :
«Le bunker de Maduro commence à se fissurer. ... Plusieurs officiers ont déjà rompu avec le régime, souvent en fuyant à l'étranger. ... Parmi le gros des troupes, le mécontentement se manifeste par une multiplication des désertions. ... Pourtant, même les ex-officiers exilés ne croient pas en un putsch militaire dans un proche avenir. En effet, le régime criminel de Maduro verse aux cadres supérieurs de l'armée des soldes si princières que ce n'est qu'en tout dernier recours qu'ils se résoudraient à déposer le président, par exemple en le conduisant à La Havane. L'opposition ne l'ignore pas. Après les répressions sanglantes de la colère du peuple, qui s'est exprimée dans les soulèvements de 2014 et de fin 2017, l'opposition espère que cette fois-ci, l'armée n'interviendra pas.»
Une amnistie pour les militaires transfuges
Süddeutsche Zeitung énumère trois moyens de débarrasser le Venezuela de son président :
«Le moyen le plus rapide serait une invasion menée par les Etats-Unis avec le soutien du Brésil. Mais ce serait aussi le pire. Déjà instable, la région n'a vraiment pas besoin d'une guerre à l'issue imprévisible. Le second moyen serait la voie de la négociation, qui permettrait à Maduro et à son entourage de reprendre leurs billes en bonne et due forme. Ce serait la meilleure variante, mais c'est aussi la moins vraisemblable. Reste la troisième voie. Guaidó a laissé entrevoir une amnistie à l'armée, jusqu'ici fidèle à Maduro, si elle changeait de camp. C'est la stratégie la plus prometteuse. Car le jour où les soldats ne seront plus là pour matraquer les opposants au régime, il faudra s'attendre à ce que le pays connaisse une vague de contestation qui aura tôt fait de balayer Maduro.»
Pourquoi Trump s'en mêle
Les évènements vénézuéliens tombent à point nommé pour Trump, qui cette fois-ci a au moins su choisir le bon côté, estime Vittorio Zucconi, correspondant de La Repubblica aux Etats-Unis :
«Pour échapper au piège du shutdown et à l'avancée lente et impitoyable des enquêtes judiciaires qui le visent, le président Trump se tourne vers le Venezuela, véritable catastrophe humaine et politique, et reconnaît le leader de l'opposition Juan Guaidó comme président par intérim légitime. ... Quels sont ses objectifs concrets et que compte-il faire au juste ? Ni lui, ni sa principale conseillère - Ivanka, qui a aussitôt relayé aux Vénézuéliens, via Twitter, l'appel au combat de son père - ne le dévoilent. Cette fois-ci au moins, tout le monde est unanime pour condamner Maduro et la catastrophe d'une nation où trente millions de personnes souffrent de la faim.»
Soutenir le changement sans tergiverser
L'Espagne et l'UE devraient s'empresser de reconnaître Juan Guaidó, estime ABC :
«Cette proclamation signifie la fin d'un régime totalitaire, corrompu et pervers, fondé il y presque deux décennies par le brillant militaire Hugo Chávez, à la mort duquel un bon à rien incapable du nom de Maduro a voulu reprendre le flambeau. La reconnaissance de Juan Guaidó comme président par intérim par les Etats-Unis, la Colombie, le Canada, le Brésil, l'OEA [Organisation des Etats américains] ainsi qu'une liste croissante de pays ne laisse aucun doute quant à l'attitude générale de la communauté internationale envers le Venezuela. L'UE prendra probablement sa décision une fois que les capitales européennes auront eu le temps de se concerter. Il serait embarrassant que l'Espagne ne figure pas en tête de cette liste de pays.»