Directive 'droit d'auteur' de l'UE : la liberté d'Internet en péril ?

Après le Parlement, le Conseil européen a lui aussi adopté, à une courte majorité, la directive qui impose aux plateformes numériques de veiller à ne pas mettre en ligne de contenus protégés par des droits d'auteur. Des manifestations avaient auparavant eu lieu dans plusieurs Etats pour tenter de bloquer la réforme, jugée néfaste à la liberté d'Internet et favorable à la censure. Les éditorialistes critiquent eux aussi la directive sous sa forme actuelle.

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tagesschau.de (DE) /

Les dispositions de dernière minute ne changeront rien

En dépit de la 'déclaration complémentaire' jointe à la directive en Allemagne, le site tagesschau.de déplore que Berlin ait voté pour l'adoption de la réforme :

«Oui, cette déclaration complémentaire ménage une petit marge de manœuvre. Mais quelle marge ? Les grands axes de la réforme doivent être adoptés de la même façon dans tous les Etats de l'UE - c'est l'essence même d'une directive européenne. Le gouvernement fait toutefois preuve d'un peu d'honnêteté : il est en effet indiqué dans la formulation de l'annexe que l'objectif est de chercher à éviter les filtres de téléchargement, en d'autres termes, qu'il est impossible de les empêcher complètement. ... Berlin aurait dû dès le départ s'employer à scinder la directive. Il aurait fallu séparer cette réforme judicieuse de sa partie équivoque, c'est-à-dire le contenu de ce que l'on nomme aujourd'hui l'article 17, qui mènera vraisemblablement à la mise en place d'un filtrage des téléchargements. »

La Stampa (IT) /

Une décision illogique

Le gouvernement italien a pour sa part rejeté la réforme, ce dont s'indigne La Stampa :

«On aurait pu penser que le M5S aurait à cœur de défendre son titre autoproclamé de pionnier du Web. ... La Ligue, en raison probablement de son rejet viscéral du journalisme de qualité, appuie la position du M5S. Un gouvernement qui impose aux journaux, chaînes de télévision et réseaux sociaux un récit unidimensionnel, parfois nationaliste et embarrassant, et prétendument 'souverainiste', tout en rejetant une mesure qui défend les contenus produits sur 'notre territoire' - une formule allègrement reprise par La Ligue et le M5S dans les émissions de débat - commet un irrationnel harakiri.»

Die Presse (AT) /

Les machines dépassées par les contenus complexes

La directive, à peine adoptée, a reçu un véritable camouflet, commente Die Presse :

«Le soir même, la plateforme d'hébergement de vidéos Youtube illustrait de façon éloquente que les filtres de téléchargement ne fonctionnaient pas. En effet, alors qu'une retransmission en direct de l'incendie de Notre-Dame était mise en ligne sur Youtube, l'algorithme du site confondait la cathédrale avec les tours jumelles du World Trade Center, détruites le 11 septembre 2001. Pour couronner le tout, la plateforme a prévenu ses utilisateurs, en incorporant dans le stream des messages d'information portant le label 'fake news' et remettant en cause la véracité de la vidéo. .. Ce raté ne contribue pas seulement à montrer que le filtrage des téléchargements ne produit pas les résultats escomptés, il montre par ailleurs que plus les résultats sont complexes, plus les machines semblent 'stupides'.»

Hospodářské noviny (CZ) /

Internet n'est pas menacé

Il n'y a pas lieu de parler de la fin d'Internet, comme le font les détracteurs de la directive, assure Hospodářské noviny :

«Il faut que les esprits se calment. Personne ne musellera ni ne censurera le Web. Ce qui est légal aujourd'hui restera légal demain, et rien ne changera pour l'utilisateur lambda. Le litige se situe à un échelon plus haut. Entre les éditeurs de contenus d'un côté et les géants du Web de l'autre. Ceux-ci engrangent des recettes grâce au nombre de clics et à la publicité, en se servant du travail des autres ; il faut donc que cette manne soit plus équitablement répartie. Or même après l'adoption de cette directive, la route sera encore longue d'ici à ce que les éditeurs de média puissent bénéficier de meilleurs revenus en ligne.»

Corriere della Sera (IT) /

L'UE, solide législateur

L'UE a montré qu'elle était en mesure de légiférer sur des thèmes complexes, se réjouit Daniele Manca, chroniqueur à Corriere della Sera :

«Depuis le Règlement général sur la protection des données (RGPD), lui aussi très controversé au départ mais considéré aujourd'hui dans le monde comme une référence, l'Europe est le lieu où les règles naissent et évoluent. Des règles qui sont à la base du vivre ensemble et du développement. Elles sont d'autant plus nécessaires si l'on veut garantir la liberté d'expression et la production pérenne de contenus qui sont à la base de la formation d'une opinion publique solide et consciencieuse.»

Dagens Nyheter (SE) /

Les GAFA ne peuvent être les gendarmes du Web

Dagens Nyheter doute de la capacité des groupes du numérique à filtrer les contenus protégés conformément à la protection des droits d'auteur :

«Rien ne dit que les plateformes du Web, qui sont incapables de faire la différence entre une statue antique et une image porno, seront en mesure de jouer le rôle de policiers et de garants de la protection des droits d'auteur. On peut craindre que les grandes sociétés du Web soient incapables de faire le tri nécessaire entre les citations, les satires et les 'mèmes', et qu'elles renâclent à le faire. L'autre crainte justifiée, c'est que les protagonistes de plus petite taille ne soient pas en mesure d'installer les filtres nécessaires. ... Il serait préférable que les géants du Web, au lieu d'opter pour la facilité (le filtrage de tous les contenus problématiques) assument enfin la responsabilité éditoriale qu'ils se sont employés à esquiver jusqu'à maintenant.»

Der Standard (AT) /

La jeunesse européenne reçoit une fin de non recevoir

Le Parlement européen vient de court-circuiter les jeunes, déplore Der Standard :

«De nombreux eurodéputés sont incapables de comprendre l'importance de plateformes comme YouTube pour toute une génération, et ce n'est pas étonnant : l'âge moyen au Parlement européen est de 51 ans. Il est indéniable qu'il fallait réinventer la protection des droits d'auteur en Europe. De nombreuses propositions judicieuses permettaient par ailleurs d'éviter le recours à un filtrage des contenus. Or on a préféré faire fi de tout compromis et se retrancher derrière un texte de loi vaseux, qui place le Web européen derrière un potentiel dispositif de censure et qui prive la jeunesse de sa patrie numérique. ... La réforme, qui a reçu mardi l'aval du Parlement européen, est avant tout un doigt d'honneur tendu à la jeunesse européenne.»

Večer (SI) /

Un instrument de censure pour les grandes entreprises

Večer flaire derrière cette réforme une collusion entre l'UE et les grandes entreprises :

«Il est évident que de grandes entreprises, et pas seulement les entreprises technologiques comme Facebook et Google, ont très envie d'influer sur l'opinion publique, en n'affichant que les contenus qui leur plaisent. La protection des droits d'auteurs est indéniablement le moyen le plus facile de dissimuler la censure. ... On sait par ailleurs que ces entreprises, en plus d'allouer des budgets astronomiques au travail de lobby, ont aussi recours à des 'chevaux de Troie'. C'est-à-dire qu'elles placent des 'hommes de main' à des postes clés au sein des institutions européennes. ... Les politiques qui s'engagent à les écouter sont à leur tour récompensés, par des postes bien rémunérés au sein de ces entreprises.»

La Stampa (IT) /

Rendre justice aux auteurs et aux artistes

Une réforme imparfaite mais nécessaire, résume Gianni Riotta, chroniqueur à La Stampa :

«Il est indéniable qu'Internet a contribué à diffuser la culture et le savoir dans une mesure jusque-là inédite. Il serait impossible de restreindre cette fantastique bibliothèque. Ceci étant dit, de nombreux auteurs et artistes ont du mal à faire valoir leurs droits auprès des grands groupes du Web. Notamment les auteurs et artistes qui travaillent pour des journaux ou labels indépendants. Ils sont victimes de l'absence de règles. Cette réforme est perfectible, évidemment. Mais elle a l'avantage, à l'instar du Règlement général sur la protection des données (RGPD) adopté en 2018 et du code de conduite destiné à limiter les fake news, de promouvoir une législation numérique.»

Die Presse (AT) /

Une question de pouvoir et de monopole

Les manifestants soutiennent les GAFA sans le savoir, affirme Die Presse :

«Les grands groupes d'Internet sont eux aussi opposés au filtrage des contenus, mais pour une tout autre raison : ils tirent en effet leurs recettes des contenus qui transitent par leurs plateformes. La supervision de ces contenus est coûteuse et réduit fortement l'arc de gains potentiels. Le fait que la critique vienne de sources totalement différentes, tout en suivant le même objectif, peut s'expliquer de deux façons. Soit le projet de loi est terriblement mauvais, soit une partie des critiques n'a rien compris. Dans le cas de la directive européenne 'droit d'auteur', c'est la seconde hypothèse qui se vérifie. Google, Facebook et consorts savent très bien pourquoi ils veulent bloquer la réforme. Les manifestants, pour leur part, croient qu'il est question de vidéos amusantes de chats ou de blogs vidéo, alors qu'il s'agit en réalité d'un enjeu de pouvoir et de monopole.»

The Times (GB) /

Un dispositif qui enrichira le Web

In fine, la directive est également favorable aux consommateurs de contenus médiatiques, assure Angela Mills Wade, responsable de l'European Publishers Council (EPC), dans The Times :

«On veut faire en sorte aujourd'hui que les éditeurs de médias et d'autres contenus puissent continuer à déterminer dans quelles conditions des tiers peuvent réutiliser commercialement leurs contenus. Difficile de comprendre pourquoi cette initiative est sujette à de si vives controverses. Approuver la directive 'droit d'auteur' revient à garantir un enrichissement du Web. Car l'utilité et la commodité d'Internet est intrinsèquement liée à la qualité des contenus qui le remplissent. En avalisant ce projet de réforme, on favorisera la justice, la culture et la créativité. Et surtout, on contribuera à pérenniser l'avenir d'un paysage médiatique européen professionnel, diversifié et indépendant.»

Le Monde (FR) /

Une notion bientôt obsolète

Cyrille Dalmont et Jean-Thomas Lesueur, de l'Institut Thomas-More, doutent que la réforme mette fin au débat sur la propriété intellectuelle :

«Si médias, journalistes, artistes, et plus globalement créateurs en tout genre, peuvent se réjouir de ce compromis, ils ne devraient le faire ni trop fort ni trop longtemps. C'est une bataille qu'ils sont en passe de remporter, selon toute vraisemblance, mais pas la guerre. Car la guerre des 'droits d'auteur' est devant eux. D'abord parce que les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) visés par la directive, vont s'empresser d'accroître le développement de leurs propres médias ... . Ensuite parce qu'il est bien possible que la notion de 'droits d'auteur' elle-même soit bientôt obsolète, avec la généralisation de la création automatique de contenus par des intelligences artificielles.»

Süddeutsche Zeitung (DE) /

Pour la liberté de qui manifeste-t-on ?

Süddeutsche Zeitung estime que les manifestants sont victimes des lobbyistes :

«Le mot 'filtre' ne se trouve même pas dans le texte de la proposition de réforme. Le 'filtre au téléchargement' est ainsi devenu le cheval de bataille des opposants, au même titre que la 'liberté d'Internet'. Un concept de protestation qui n'a pas été forgé par les manifestants, mais par les lobbyistes et les ONG du Web, qui attisent au sein de l'Europe un climat hostile à l'UE. Le 'filtre au téléchargement' est une chimère évoquée par les groupes numériques comme la conséquence inéluctable d'une réforme du droit d'auteur. ... Le travail des lobbys consiste justement à brouiller ainsi les lignes. Les industries de l'armement, de l'automobile et du tabac ont toujours su récupérer à leur compte les sentiments de liberté et les cultures pop rebelles.»

Le Quotidien (LU) /

Savoir où est la vraie menace

Ce sont les GAFA, et non la directive "droit d'auteur", qui représentent une véritable menace pour la liberté d'Internet, fait valoir Le Quotidien :

«Pour les artistes et les auteurs dont le travail n'est pas payé, cette façon d'agir est synonyme de toujours plus de précarité sociale. … Les pionniers du net rêvaient d'un espace totalement libre, gratuit et pareillement accessible à tous pour en faire un outil démocratique à l'échelle mondiale, un outil au service des peuples. Des artistes et intellectuels plaident toujours pour cet internet sans contrainte et sans argent. L'intention est louable et mérite d'être ralliée. Mais elle n'est en aucun cas celle des multinationales américaines pour qui l'internet est un espace de profit. Et rien de plus.»

Denik (CZ) /

Il ne saurait être question de censure

La mobilisation contre la directive sur le droit d'auteur n'en a pas compris les véritables enjeux, estime Denik :

«Google, Facebook et consorts s'accaparent le journalisme de qualité, le commercialisent à leur profit et réalisent des gains considérables par la vente de publicités personnalisées. Une grande part de ces recettes publicitaires ne revient donc pas aux éditeurs et aux journalistes. Cela n'a rien à voir avec de la censure en ligne. Les appels de ceux qui veulent 'défendre Internet' ne servent que les intérêts commerciaux des géants technologiques de ce monde.»

tagesschau.de (DE) /

Comment se mettre à dos les jeunes

tagesschau.de s'irrite de la façon avec laquelle la directive est promue contre vents et marées :

«L'argumentation suivie est la suivante : 'Nous sommes les seuls adultes dans la salle et les critiques ne sont que des enfants terribles d'Internet, qu'il serait sot d'écouter'. Si l'on veut continuer à attiser la grogne, surtout, ne changeons rien. Juste avant les européennes, le Parlement se met à dos un électorat majoritairement jeune et proeuropéen. On lui donne l'impression que d'autres décident à sa place de lois cruciales à ses yeux. Ces autres ? Des eurocrates soumis aux lobbys, terrés dans des bureaux équipés de fax, et disposant de leur propre chargée de comm' sur Twitter. Il faut que l'Europe réforme de toute urgence le droit d'auteur, mais pas de la sorte.»