Mobilisation contre les violences faites aux femmes
Dans le cadre de la Journée internationale contre la violence faite aux femmes, des dizaines de milliers de manifestants ont défilé dans les rues de Paris et de Rome ce week-end. En 2019, 137 femmes ont péri sous les coups de leur partenaire ou ex-partenaire en France, 94 en Italie. Face à ces chiffres alarmants, les éditorialistes tâchent d'esquisser les grandes lignes d'une stratégie de prévention digne de ce nom.
L'inculture favoriserait la violence
Ce serait se leurrer que de nier un certain nombre de facteurs de risques liés au milieu social, peut-on lire dans Die Welt :
«Il a été prouvé que les soucis financiers, la consommation d'alcool et de drogues aggravaient le risque de violence. De plus, des études étayent un lien de cause à effet clair entre faible niveau d'instruction et propension à la violence. Il ne sert à rien de se voiler la face par souci du politiquement correct. Ce serait galvauder la chance de rechercher d'autres moyens de résoudre les conflits et de cultiver une image de la femme basée sur l'égalité entre les sexes, par le biais de campagnes d'information et de formations anti-violence ciblées dans les quartiers difficiles et les zones d'éducation prioritaires. Le fait est que les femmes qui demandent de l'aide dans les foyers d'accueil proviennent principalement de familles ayant un faible niveau d'instruction et issues de l'immigration.»
Quelle est la position des Turques urbaines ?
Hürriyet Daily News déplore les tentatives menées par un groupuscule ultraconservateur au Parlement turc de supprimer les droits de la femme stipulés dans la convention d'Istanbul :
«La coalition contre la convention d'Istanbul refuse de reconnaître la femme comme individu à part entière, la considérant comme un élément essentiel de la famille. A ceci s'ajoute un aspect idéologique. La défense des droits de la femme est associée à l'opposition laïque. Il en découle que tout revers infligé aux droits des femmes passe pour une victoire sur l'opposition. Il sera donc intéressant de voir la réaction des partisanes du gouvernement - majoritairement des femmes pieuses et conservatrices, mais avec une culture urbaine - aux atteintes faites à leurs droits.»
Le facteur décisif de l'égalité économique
Trop peu est fait pour lutter contre les causes de la violence contre les femmes, critique Der Standard :
«On s'obstine à faire abstraction du contexte général. Avec le temps, le choc des horreurs s'estompe. Il semble alors totalement superflu d'augmenter les dotations du ministère [autrichien] de la Femme, qui doit se contenter depuis une dizaine d'années d'un budget risible de dix millions d'euros. Il est pourtant évident que l'égalité des droits est l'instrument le plus efficace contre la violence faite aux femmes. Leur dépendance économique présente un risque pour leur sécurité, et pourtant, la dévalorisation du travail des femmes est devenue ordinaire dans notre société : elles ne perçoivent rien pour les tâches 'de care', et moins pour leur travail rémunéré. Face à cet état de fait, la politique fait bien peu, voire rien du tout.»
Reconnaître le féminicide comme délit à part entière
En Allemagne, on chercherait en vain une stratégie cohérente de lutte contre les féminicides, déplore taz :
«Bien qu'un homme tue sa partenaire ou son ex-partenaire tous les trois jours dans ce pays, le féminicide n'est pas un chef d'accusation spécifique. Le gouvernement refuse de reconnaître la notion. Il arrive encore souvent que les 'homicides consécutifs à une séparation' ne soient pas considérés comme des meurtres car les tribunaux se montrent indulgents envers un mari blessé dans son amour propre. Quant aux femmes qui quittent le domicile conjugal pour chercher refuge dans des foyers pour femmes, elles n'y trouvent souvent pas la protection recherchée car ces institutions sont chroniquement saturées. Un financement systématique de ces foyers d'accueil, une reconnaissance du phénomène de féminicide et des formations de la police et la justice s'imposeraient pour empêcher que des femmes ne périssent sous les coups à l'avenir.»
Appeler les terroristes par leur nom
Le parti d'extrême droite espagnole Vox rejette la notion de "violence contre les femmes", lui préférant le terme de "violence conjugale", dans le souci selon lui d'éviter d'incriminer des hommes innocents. Dans El Periódico de Catalunya, l'auteure Emma Riverola établit une comparaison :
«En 40 ans, l'ETA a assassiné 864 personnes. Plus de mille femmes ont été tuées par leur partenaire ou leur ex-partenaire ces 16 dernières années. ... Pouvez-vous vous imaginer que pendant les années les plus sanglantes de l'ETA, un parti ait revendiqué de nier le lien évident entre terroriste, politique et assassinat ? Que ce parti refuse le statut de victimes à ceux qui ont été blessés ou tués ? Qu'il évite le terme de 'terrorisme de l'ETA' dans le souci de ne pas criminaliser tous les Basques ? ... C'est pourtant ce que Vox fait quotidiennement. ... Profanant ce faisant la mémoire de tant de femmes tuées.»
Il est possible d'intervenir à temps
Politiken appelle également à reconnaître la dimension structurelle des féminicides pour mieux les prévenir :
«L'assassinat par un partenaire ne survient pas inopinément. Une étude britannique montre que l'assassinat par un partenaire traverse huit phases, de la première rencontre heureuse au meurtre à proprement parler en passant par les violences psychiques et physiques. Si cette prévisibilité est effroyable, elle a aussi quelque chose d'encourageant. Car une fois que l'on a identifié le schéma, on peut prédire le résultat et intervenir avant qu'il ne soit trop tard. Par exemple en conseillant et l'homme et la femme, pour enrayer cette violence qui risque d'aboutir au meurtre. Or pour en arriver là, il faut cesser de réduire les féminicides à des histoires familiales malheureuses et isolées.»