Scandale Wirecard : un secteur financier hors de contrôle ?
L'Office allemand de surveillance du secteur financier (Bafin) a porté plainte contre la société de paiements électroniques Wirecard, qu'il accuse d'avoir artificiellement gonflé son bilan. Son ex-patron, Markus Braun, a été arrêté lundi. Auparavant, le Bafin avait pris la défense de Wirecard, allant jusqu'à poursuivre en justice des journalistes qui avaient publié des allégations contre le groupe. Les chroniqueurs pointent du doigt de graves lacunes dans la supervision du secteur financier.
Les œillères de l'Allemagne
Pour le journal spécialisé Financial Times, qui avait déjà relayé des accusations émises par des lanceurs d'alerte à l'encontre de Wirecard il y a 18 mois, il est inadmissible que les rapports n'aient pas été pris au sérieux :
«Dès le départ, les autorités allemandes ont instinctivement préféré s'en prendre aux 'porteurs de message' et aux investisseurs, qui s'étaient montés sceptiques vis-à-vis du modèle Wirecard, plutôt qu'aux malfaiteurs présumés. Nos journalistes ont été la cible de campagnes de désinformation orchestrées par Wirecard, mais ils ont de surcroît été confrontés aux enquêtes et allégations criminelles du Conseil de supervision financière et du Parquet allemands. ... Il faut maintenant que l'establishment entrepreneurial et politique du pays explique comment tout cela a pu se produire et pourquoi les instances de régulation et de sanction n'ont rien fait pendant un an et demi.»
Quand le gendarme des marchés financiers fait du lobbying
Ce scandale doit appeler des conséquences, juge taz :
«Tout d'abord au niveau des auditeurs. Jusqu'à maintenant, ce marché était dominé par un oligopole de quatre grands cabinets d'avocats qui décrochent quasiment tous les contrats d'audit juteux et qui ont déjà prouvé leur incapacité lors de la crise financière de 2008. ... Mais le Bafin doit lui aussi évoluer. Aux revirements hallucinants qui ont ponctué le scandale Wirecard s'ajoute le fait que le Bafin a déposé devant le parquet de Munich une plainte contre deux journalistes de Financial Times qui, à un stade précoce, avaient soupçonné de fraudes l'entreprise Wirecard. Une réaction aberrante. L'institution n'a pas joué son rôle d'instance de supervision, mais celui de lobbyiste d'Etat pour le compte des groupes financiers du pays. Ceci ne doit jamais se répéter.»
Une complaisance coupable
Pour Die Presse, cette affaire a comme un air de déjà vu :
«Nous connaissons bien les mécanismes qui rendent possible ce genre de scandales pour en avoir nous même fait les frais : des auditeurs arrangeants de peur de perdre un contrat lucratif, des agences de notation qui, une fois de plus, n'ont rien vu venir, un gendarme des marchés financiers qui n'a pas les moyens de faire son travail et des autorités qui préfèrent inquiéter les lanceurs d'alerte plutôt que d'enquêter sur les entreprises qui disposent de réseaux solides avec la classe politique. ... Il y a beaucoup à faire pour regagner la confiance perdue. Surtout au niveau de la mise en application de réglementations valables. On ne pourra certes jamais éradiquer la fraude et les manipulations. Mais laisser les choses dégénérer pour ensuite aller dire que c'est vraiment 'une honte' en affichant un air contrit, c'est clairement insuffisant.»
Les épargnants roumains ont droit à une explication
Le plus grand fonds de retraite de Roumanie, NN Pensii, pourrait pâtir de ce scandale. Ziarul Financiar appelle l'instance roumaine de supervsion du secteur financier et le Parlement à ouvrir une enquête afin de savoir pourquoi ce fonds a fait l'acquisition de plus de 250.000 actions Wirecard :
«Les deux millions de Roumains qui cotisent mensuellement à NN Pensii à raison de 3,75 pour cent de leur salaire n'ont aucun moyen d'apprendre ce qu'il est advenu des actions Wirecard car le gestionnaire de fonds ne les informe que de l'évolution globale. ... Au demeurant, l'instance de régulation et de surveillance ASF a la compétence pour enquêter sur l'affaire. ... Si l'investissement dans des actions Wirecard a été rentable, nous devons savoir qui remercier et si nous avons perdu de l'argent, nous devons pouvoir avoir connaissance des sommes en jeu et des responsables de ce placement.»