Procès des attentats de janvier 2015 : de lourdes peines prononcées
14 accusés ont été condamnés dans le procès des attaques de 2015 contre les locaux du journal satirique Charlie Hebdo, l'Hyper Cacher à Paris et une policière à Montrouge. Le principal accusé s'est vu infligé une peine de 30 ans de prison. Il est considéré comme le bras droit de l'un des trois terroristes qui avaient été abattus par les forces de l'ordre. Six ans après ces attaques, la France peut-elle tourner la page ?
Après Charlie, qui sommes-nous ?
Dans l'éditorial de Libération, Dov Alfon, directeur de la publication du journal, voit dans ce verdict l'occasion pour la France de réfléchir à son identité :
«La tentation est grande de voir dans ce verdict la fin d'un processus douloureux, le moment de faire son deuil, et c'est sans doute vrai pour les parents, enfants, compagnons et compagnes de celles et ceux tués parce que journalistes, parce que juifs, parce que policiers, parce que dessinateurs. Mais pour la société française, aucun deuil n'est possible et aucune porte ne se ferme. Au contraire, la porte reste entrouverte sur les plaies que l'ère d'après Charlie a ravivées, sur les divisions qui ne guériront pas d'elles-mêmes, sur cette question lancinante : après Charlie, qui sommes-nous ? Le verdict n'avait pas pour fonction d'apporter une réponse, mais dans sa solidité il propose au moins le moment de recueillement nécessaire.»
Pas de catharsis
Toute la lumière n'a pas été faite sur l'organisation des attentats, déplore The Irish Times :
«Le procès a peut-être aidé les familles des victimes à faire le deuil de ce drame jusqu'à un certain point, mais il n'a pas eu d'effet cathartique pour le pays dans son ensemble. La procédure a laissé en suspens d'importantes questions pratiques. Les accusés étaient en premier lieu des personnes qui avaient aidé Amedy Coulibaly, tandis que le réseau qui avait appuyé les frères Kouachi reste encore opaque. On ignore où ils ont obtenu leurs armes, et qui de Daech ou d'Al-Qaida - les deux organisations ont revendiqué l'attentat - a été le véritable commanditaire du crime.»
La France reste vulnérable
On peut difficilement dire que la France a tourné la page, juge également Hospodářské noviny :
«Bien que l'accusé principal et l'une des compagnes des terroristes abattus aient écopé de peines vraiment lourdes, ils ont rejeté toute responsabilité. ... Avec le recul, on constate quelque chose de plus grave encore. Le choc provoqué par cet attentat - devenu le symbole de l'islamisme politique intolérant - avait certes permis de resserrer les rangs, comme on avait pu le voir lors de la marche des dirigeants politiques à Paris derrière le président français de l'époque, François Hollande, et la chancelière allemande, Angela Merkel. Mais la France d'aujourd'hui reste meurtrie et vulnérable.»
Les terroristes peuvent se réjouir
Alors que le procès s'achève, la société française est traversée par de nouvelles failles, écrit Stefan Brändle, correspondant à Paris du quotidien Aargauer Zeitung :
«Ces failles ne suivent pas le clivage gauche-droite traditionnel. En matière de laïcité et de caricatures, des féministes comme Elisabeth Badinter combattent dans le même camp que la politique d'extrême droite Marine Le Pen. Toutes les divergences trouvent leur origine sur le terme explosif qu'est devenu le mot 'Islam' - or loin de s'apaiser, elles ont été décuplées depuis le mois de septembre. C'est d'autant plus grave que tout le monde suit en fait les mêmes intérêts et a le même ennemi : le terrorisme. Les complices ont certes été condamnés ; les commanditaires, en revanche, peuvent se réjouir d'être parvenus à diviser un peu plus encore leurs ennemis dans le monde civilisé.»