Vers la fin de l'ère Poutine ?
Après la sentence prononcée contre Alexeï Navalny et les arrestations de milliers de manifestants, pour la plupart pacifistes, dans tout le pays, les éditorialistes s'interrogent sur le tour que prendront les évènements en Russie. Certains ne croient pas au potentiel des manifestants et redoutent un glissement vers une dictature totale. D'autres en revanche entrevoient la chute du système Poutine.
Le président doit engager des réformes
Dans Novaïa Gazeta, l'économiste Vladislav Inosemtsev propose au président russe un changement de stratégie :
«Au vu de l’accélération du rythme de la terreur sporadique [émanant de l'Etat], la situation actuelle est encore viable pendant cinq ans. Mais le Kremlin peut aussi calmer les esprits en amorçant un changement de cap et en renouvelant une partie des élites, pour instaurer un nouveau consensus social et relancer la croissance. ... Théoriquement, Poutine peut rester encore une dizaine d'années aux commandes de l'Etat, ce qui permettrait d'accompagner la transformation du système politique, redistribuer des fonctions économiques et administratives des élites, consolider l'Etat de droit et délimiter les compétences des différents pouvoirs.»
L'image du 'serviteur du peuple' est ternie
Polityka explique pourquoi Nanalny est si dangereux pour Poutine :
«Poutine passait pour être un officier qui avait gravi les échelons au mérite, et pour un pourfendeur de l'oligarchie. ... Ceux qui prenaient la parole pour parler de démocratie, de droits de l'homme, des horreurs de la guerre en Tchétchénie et en Ukraine passaient pour être autant de 'traîtres à la nation'. La popularité de Poutine restait au beau fixe. ... Avant que n'arrive Navalny. Celui-ci a montré qu'il était possible de s'adresser aux Russes même sans journaux, sans télévision et sans radio. Il suffisait d'avoir une connexion Internet. Navalny n'a jamais convoité l'argent ou les privilèges. Il ne s'est pas laissé corrompre, n'a transigé sur rien, contrairement à nombre de militants d'opposition avant lui. Il ne s'est pas laissé intimider, malgré les mauvais traitements et les incarcérations subies par lui et ses compagnons.»
Des stratégies électorales toutes tracées
Les législatives prévues en septembre sont une chance pour le mouvement démocratique, juge Kauno diena :
«L'opposition devrait recycler sa stratégie de 'concertation intelligente' déjà mise en œuvre pour les municipales. Son idée centrale consiste à priver de voix le parti de Poutine, Russie Unie [en informant les électeurs du candidat d'opposition en meilleure posture]. Le Kremlin fera le choix de la facilité et lancera son artillerie de propagande pour se donner le beau rôle de bon pâtre soucieux des petites gens. Mais des obstacles se présenteront aux deux camps. L'opposition doit expliquer aux citoyens pour quel candidat opter parmi les adversaires du Kremlin - une tâche jusqu'ici assumée par le très charismatique Navalny. Le Kremlin a toutes les raisons de trembler de voir émerger un nouveau leader d'opposition (qui remplace provisoirement Navalny). ... Et de voir paraître de nouveaux documentaires sur Poutine.»
Maintenir les liens diplomatiques
Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, se rend ce vendredi à Moscou. Il s'agit de la première visite d'un vice-président de la Commission européenne en Russie depuis quatre ans. Dans Le Soir, il détaille sa mission diplomatique :
«Les relations entre l'UE et la Russie se sont détériorées au cours de la dernière décennie et sont marquées par un manque de confiance. … Aujourd'hui, nous nous considérons fondamentalement comme des rivaux et des concurrents, et non comme des partenaires. … La diplomatie est essentielle lorsque les choses vont mal. ... Il demeure essentiel de fixer un cap clair et de préserver l'unité de notre dialogue avec la Russie. Dans les années 1990, nous rêvions d'une Europe différente, où nous affronterions tous ensemble les défis mondiaux. En 2021, ces rêves ne correspondent malheureusement pas à la réalité. Ils doivent néanmoins continuer à nous inspirer et nous devons nous employer à les concrétiser.»
Navalny n'est qu'un symbole
Le mouvement pro-démocratique ne tient pas à la seule figure de Navalny, explique l'expert militaire Ion Petrescu dans une tribune à Adevărul :
«Navalny est devenu un symbole au niveau national et dans les pays démocratiques. Mais les nombreuses manifestations dans toute la Russie, de Vladivostok à Moscou, montrent que ni la multiplication des arrestations ni les jugements absurdes ne sont en mesure de mater l'état d'esprit actuel. ... Poutine ne sera pas renversé par Navalny - qui n'est qu'une pierre sur son chemin - mais par le ras-le-bol des manifestants face à la détérioration de leur niveau de vie et au gouffre croissant séparant la petite élite fortunée du citoyen lambda.»
Poutine n'a rien à craindre
Dnevnik ne croit pas que Poutine ait trop de souci à se faire :
«[Navalny] n'est pas le premier à remuer beaucoup de boue et on parle plus de lui à l'étranger que chez lui. Dans la majorité des régions russes, il est quasiment inconnu, et pour certains, ce n'est pas le bon candidat. ... Selon des sondages indépendants, l'insatisfaction des Russes est en hausse en raison de la mauvaise qualité du service public, de la corruption et du fossé entre les pauvres et les élites. Le soutien au parti de Poutine Russie Unie est en recul. Mais l'opposition reste divisée ; il n'existe pas encore d'alternative politique qui puisse convaincre les Russes de ne pas retomber, à l'issue d'un changement de gouvernement, dans les catastrophiques années 1990, les années Eltsine - la période qui a précédé l'avènement de Poutine.»
A l'aube d'une relève générationnelle
Le Kremlin semble prendre la mesure du vent de sédition qui s'est levé, explique le spécialiste de la Russie, Vladimir Youchkine, dans Postimees :
«Dans une interview accordée le 5 janvier, le politologue proche de Poutine, Sergueï Markov, a affirmé qu'aux élections de septembre, on assisterait à une tentative de renverser Poutine. Il faut croire que le Kremlin n'ignore pas les 'cycles de Sedov', basés sur les calculs du Levada-Center et qui décrivent la dynamique politique des générations du pays de 1917 à nos jours. Selon le politologue Leonid Sedov, la quatrième génération (soit celle née en 1968) devrait prendre le pouvoir au début des années 2020. A la veille d'un éventuel changement de génération, les occupants actuels du Kremlin courtisent donc ces forces qui constituent le socle de leur pouvoir : les grandes entreprises, les administrations publiques et les retraités.»