Le Parquet européen, une arme contre les fraudes ?
Empêcher les fraudes, les malversations et la corruption lors de l'octroi de fonds européens - telle est la vocation du Parquet européen (EPPO), qui a commencé son travail mardi. La procureure Laura Codruta Kövesi, célèbre pour la lutte anticorruption qu'elle a menée en Roumanie, est la cheffe de l'instance sise à Luxembourg. Or un certain nombre d'Etats membres ne veulent pas renoncer à leurs prérogatives - au grand dam des éditorialistes.
Si l'on veut encaisser, il faut aussi donner
Neue Zürcher Zeitung regrette que tous les Etats membres ne participent pas à l'EPPO :
«C'est déplorable et même très problématique dans le cas de la Hongrie et de la Pologne. ... Car les deux pays comptent parmi les plus gros bénéficiaires nets des fonds européens. ... Il faudrait donc que les représentants des contribuables européens à Bruxelles tirent la leçon de tout cela, et n'acceptent de verser de grosses sommes d'argent qu'aux pays qui contribuent activement au contrôle de l'affectation de ces aides. ... L'argument avancé par les PECO, à savoir qu'un Parquet européen supranational attenterait à leur souveraineté, n'est pas valable. Un Etat suffisamment souverain pour accepter beaucoup d'argent des autres doit aussi accepter qu'on regarde dans ses livres de compte. C'est d'autant plus nécessaire que l'Etat de droit s'érode dans ces pays et que leurs gouvernements tentent de bâtir un monopole hégémonique.»
Ce ne sera pas simple
La résistance de certains Etats membres constitue d'ores et déjà un défi pour la nouvelle institution, observe Népszava :
«Le Parquet européen a le droit de se saisir pleinement de certaines affaires. Dans ce cas de figure, les instances nationales ne peuvent plus continuer à enquêter sur les dossiers concernés, et n'ont donc plus la possibilité de dissimuler des délits. Dès lors, il n'est pas surprenant que ni la Hongrie ni la Pologne n'aient choisi de souscrire à l'EPPO. ... Il se trouve par ailleurs des pays qui, s'ils adhèrent au projet, font tout leur possible pour compliquer la tâche du Parquet.»
Une nouvelle marge de manoeuvre
La Suède, le Danemark, l'Irlande, la Pologne et la Hongrie ne participeront pas au Parquet européen, tandis que d'autres pays comme la Slovénie y adhèrent à contrecœur. Pour Deutschlandfunk,
«les obstacles et les résistances qu'il a fallu surmonter pour créer cette institution montrent combien celle-ci était nécessaire pour préserver les intérêts - financiers notamment - de l'UE, mais aussi pour poursuivre le développement juridique de l'Europe. ... Fraudes à la TVA, fraudes aux subventions, blanchiment d'argent et corruption en lien avec ces pratiques : autant de délits perpétrés par le crime organisé qui causeraient chaque année des dommages à hauteur de 500 millions d'euros à l'UE. ... A l'avenir, tous les pays participants travailleront main dans la main. Il ne sera pas possible de tout examiner dans le détail dans chaque pays, mais avec une supervision centrale et une indépendance des enquêteurs ancrée au cœur de l'Europe, il devrait être possible de réaliser bien plus de choses qu'auparavant.»
Le plan de relance, une manne qui attire les escrocs
Avec le plan de relance post-pandémie, l'institution s'avère plus importante que jamais pour les Etats membres, assure l'antenne roumaine de RFI :
«La création du Parquet européen était absolument nécessaire car la libre circulation des capitaux, des marchandises et des personnes ne profite pas qu'aux gens honnêtes. La criminalité transfrontalière peut aussi en bénéficier. ... Souvent, les instances judiciaires nationales ne sont pas en mesure de traiter les activités criminelles internationales, de sorte que la fondation d'une instance supranationale européenne s'imposait. Par ailleurs, les sommes pharamineuses que percevront les Etats par le truchement du plan de relance de l'UE - 750 milliards d'euros - représentent une nouvelle tentation pour tous les escrocs de ce monde.»
Kövesi, bête noire des criminels
La cheffe du Parquet européen en fait trembler plus d'un en Europe, souligne l'antenne roumaine de Deutsche Welle :
«Un grand nombre de politiques sont impliqués [dans la sollicitation et l'affectation] des fonds européens, du niveau le plus bas aux plus hautes fonctions. ... Laura Codruța Kövesi marque aussi son retour dans cette guérilla, et de nombreux représentants de groupes criminels, qui exploitent les faiblesses de l'UE, craignent la nouvelle cheffe du parquet européen, qu'ils viennent de Roumanie ou des 21 autres pays qui se sont déjà déclarés prêts à se placer sous l'aile de l'EPPO.»
Pas la panacée
Fakti.bg réfrène les immenses attentes que les Bulgares placent dans l'EPPO :
«L'UE n'est pas l'Union soviétique, qui déboulait avec des tanks pour régler nos problèmes internes et faire régner l'ordre. ... Le Parquet européen ne nous libérera pas de Gechev [procureur général bulgare] ou de Borissov[ex-Premier ministre], mais il pourrait nous aider à faire la lumière sur ce qu'ils ont fait ces dernières années ; nous aider à mettre fin à ce régime autoritaire et tyrannique, inconciliable avec nos propres exigences et avec l'Etat de droit européen.»