Corruption en Autriche : le chancelier Kurz sur la sellette ?
Après l'annonce par le Parquet anticorruption autrichien, mercredi, de l'ouverture d'une enquête contre Sebastian Kurz et certains de ses collaborateurs, le chancelier est en grande difficulté. Les Verts sont d'accord pour poursuivre leur coalition avec l'ÖVP, le parti de Kurz, à condition que celui-ci cède sa place - ce qu'il refuse de faire. L'opposition menace de déposer une motion de censure. Le pays pourrait ainsi connaître un nouveau scrutin anticipé, le troisième en quatre ans.
Trouver un nouveau chancelier
Kurier préconise de maintenir la coalition actuelle sous l'égide d'un nouveau dirigeant :
«Kurz ne peut plus rester chef du gouvernement. Certains en seront navrés (beaucoup s'en réjouiront), mais les faits sont trop graves : Kurz aurait accédé au pouvoir dans son parti et au sein de l'Etat en détournant l'argent du contribuable. C'est en tout cas le soupçon élevé à son encontre. Savoir s'il a lui-même falsifié les comptes, ou bien si ce sont ses collaborateurs qui s'en sont chargés, cela fait peut-être une différence au niveau pénal, mais la faute politique est la même. Kurz doit assumer ses responsabilités ; poussé vers la sortie, il ne doit pas avoir l'indignité de s'essuyer les pieds sur ses collaborateurs.»
Vers une nouvelle campagne électorale
L'Autriche va au-devant d'une longue période de paralysie, redoute Salzburger Nachrichten :
«Ce qui est relativement certain, c'est que Kurz ne démissionnera pas de son plein gré - une hypothèse qui aurait permis de poursuivre la coalition sous la houlette d'un nouveau chancelier. ... L'autre option, c'est que les Verts votent en faveur de la motion de censure lancée par l'opposition - c'est en tout cas ce qu'on peut penser au vu des évènements de jeudi. Ceci marquerait alors la fin du mandat de Kurz, mais aussi celle de la coalition, et l'issue la plus vraisemblable serait des élections anticipées. Ce qui signifierait six mois de campagne électorale, et, dans le cas de figure pas si saugrenu où Kurz remporterait le scrutin, une interminable période de négociations exploratoires. Car aujourd'hui, l'ÖVP est à court de partenaires de coalition potentiels.»
House of Cards, façon viennoise
Cette affaire est digne d'une fiction, juge La Stampa :
«Une sorte de House of Cards façon viennoise. L'affaire remonte à l'année 2016, lorsque Kurz, alors jeune ministre des Affaires étrangères nourrissant de grandes ambitions, désirait prendre les rênes du parti et le dépoussiérer, pour ensuite se présenter. … Dans cette enquête, l'ex-ministre et ses collaborateurs de l'époque sont accusés d'avoir dépensé des fonds publics du ministère des Finances pour payer des sondages complaisants et des publicités d'un montant de 1,3 million d'euros, qui auraient garanti une couverture médiatique favorable. … Si l'action de Kurz et ses collaborateurs poursuivait des objectifs partisans (favoriser l'ÖVP), ils ont pioché dans l'argent du contribuable, Kurz n'ayant pas accès aux caisses de l'ÖVP à l'époque.»
Mettre fin à la 'propagande payée'
"Acheter" les médias par le biais du placement de publications est une pratique généralisée en Autriche, rappelle Süddeutsche Zeitung :
«Mais comme tous les gouvernements jusque-là en ont profité, cette pratique s'est maintenue. Le chancelier Kurz a versé énormément d'argent aux médias bienveillants à son égard, plus qu'aucun de ses prédécesseurs ; il achète ainsi, en partie, sa popularité. Tout semble indiquer que cette méthode lui a peut-être même permis d'arriver à la chancellerie. … Il est bien possible qu'il y ait des élections anticipées. Mais il faudra alors remédier à la corruption des 'publications placées', car cela n'est rien d'autre qu'une forme de 'propagande payée'.»
A l'ancienne
Cette affaire pourrait marquer la fin de la carrière de Sebastian Kurz, écrit Die Presse :
«Les nombreux soupçons sont solidement étayés par des historiques de messagerie. Le parti conservateur ÖVP est au bord de l'implosion, la coalition ÖVP-Verts, elle, au bord de l'explosion. … Si Kurz survit politiquement à cette épreuve - et on se demande comment il pourrait réaliser une telle prouesse - c'en sera fini quoi qu'il en soit du 'nouveau style' de l'ÖVP, car celui-ci ne permettra pas d'aller bien loin. Utiliser l'Etat comme un libre-service à des fins personnelles, cela relève vraiment de l'ancienne école.»
Le parquet devra trouver des preuves
Kleine Zeitung estime que Kurz peut encore sauver son mandat :
«Si les enquêtes et les perquisitions ne produisaient aucun résultat, alors les soupçons portés contre le parti au pouvoir et les perquisitions menées chez Kurz, et auparavant au ministère des Finances, pourraient s'effondrer comme un château de cartes. Dans ce cas de figure, ce n'est pas seulement le Parquet anticorruption (WKStA) qui aurait un problème, mais aussi l'ensemble du système judiciaire et l'Etat de droit dans le pays. Les critiques pourraient en effet émettre l'accusation selon laquelle l'action du Parquet anticorruption ne s'inscrit pas dans un cadre clair ; que celui-ci pêche en eaux troubles, en espérant une prise accidentelle.»