La Pologne veut ériger un mur à la frontière avec le Bélarus
Après que douze Etats ont demandé davantage de "barrières physiques" aux frontières extérieures de l'UE, le Parlement polonais a approuvé une enveloppe de 366 millions d'euros pour "consolider" sa frontière avec le Bélarus. Le président Alexandre Loukachenko est en effet accusé de laisser passer délibérément les migrants à la frontière orientale de l'Union. Les éditorialistes discutent des implications d'un tel projet pour la région et l'ensemble de l'UE.
Le mauvais calcul de Loukachenko
Il serait contreproductif de construire un mur frontalier, écrit Gazeta Wyborcza :
«La crise des réfugiés à la frontière polono-bélarusse durera aussi longtemps que Loukachenko jugera utile de faire pression sur l'Ouest. ... Aujourd'hui, le dictateur voit que ses mesures n'ont aucun effet. Les sanctions ne sont pas assouplies et les habitants du pays sont en colère, car la fermeture des frontières (y compris avec la Lituanie et la Lettonie) les empêchent de sortir du territoire et de faire du commerce. ... La crise frontalière ne sera pas un moyen pour le dictateur d'asseoir sa position ; elle favorisera au contraire l'opposition et accélérera la faillite de l'Etat. Aucun régime n'est éternel. A un moment donné, Loukachenko sera contraint de s'en aller ; le mur frontalier, lui, restera en place.»
Le mur sauve des vies
DoRzeczy plaide en faveur de frontières infranchissables :
«Le mur sauve des vies. ... Une frontière fermée, qui ne peut pas être franchie à la hussarde, dissuade les migrants potentiels de tenter l'entreprise. ... Le régime, les passeurs, la compagnie aérienne bélarusse Belavia et l'aéroport de Minsk ne gagneront plus d'argent. Le tarissement des profits empochés par les passeurs aura pour conséquence de réduire les souffrances de ceux qui cherchent à traverser la frontière. ... Est-ce inhumain de dresser un mur le long de la frontière avec le Bélarus ? La Pologne devient-elle ce faisant un pays inhumain ? Non. De telles accusations s'inscrivent seulement dans le scénario ébauché à Minsk.»
Respecter le droit international
Ta Nea critique la posture d'Athènes et de Nicosie :
«Bien entendu, les exigences irrationnelles des douze pays ne seront pas acceptées, comme l'a fait clairement savoir Ylva Johansson, la commissaire en charge des Affaires intérieures. Il faut souligner qu'aucun des Etats modérés de l'UE - France, Allemagne, Italie, Espagne et Portugal - n'a signé la lettre. Chypre, qui est un pays signataire, entend pour sa part ériger un mur le long de la 'ligne verte' (qui sépare la République de Chypre des territoires occupés par la Turquie), ce qui est tout à fait irrationnel. La Grèce a elle aussi choisi de se ranger du côté des Etats périphériques plutôt que de celui du noyau central. Il faut surveiller efficacement les frontières extérieures, mais pas en recourant à des mesures qui détruisent l'identité de l'Union et violent le droit international.»
Faire valoir la solidarité européenne
Aucun Etat ne peut résoudre seul la question migratoire, juge Süddeutsche Zeitung :
«Bien entendu, la politique de Loukachenko est cynique ; il table sur la radicalisation des gens de l'autre côté de la frontière. Mais à elle seule, la Pologne n'est pas suffisamment forte pour faire preuve à la fois d'engagement humanitaire et de fermeté politique. Le pays a besoin du soutien des autres Etats européens ; ceux-ci peuvent serrer les rangs pour sanctionner davantage les compagnies aériennes jouant le rôle de passeurs ou infliger un nouveau revers à Loukachenko. Pourquoi ne saisit-on pas les fonds issus des comptes bélarusses gelés pour financer, de manière ostentatoire, des camps de réfugiés syriens en Turquie ? Tant que le gouvernement polonais devra gérer seul la question des réfugiés, il se radicalisera aux dépens de l'UE.»
Du complexe carcéral au complexe castral
Plusieurs Etats semblent être frappés d'amnésie, fulmine La Stampa :
«Les migrants empruntent sans cesse de nouvelles voies pour accéder à l'Europe, ce qui provoque invariablement du côté de celle-ci le réflexe conditionné du 'mur'. ... Pas même un quart de siècle [sic] s'est écoulé depuis que l'on a abattu le 'Mur' qui divisait l'Allemagne de façon barbare, et, par extension, qui coupait l'Europe en deux (le rideau de fer). Les gens ont la mémoire courte : ce sont justement les pays qui en étaient prisonniers qui veulent ériger de nouveaux murs aujourd'hui. Du complexe carcéral au complexe castral.»
La Lituanie se tire une balle dans le pied
Le gouvernement lituanien n'a pas compris que l'UE est fondée sur le principe de l'entraide, et qu'un pays membre ne peut se contenter de "prendre", fustige le politologue Kęstutis Girnius sur le portail Delfi :
«Il est embarrassant d'appeler à l'aide alors que notre pays n'est pas prêt à aider les autres. Toute la question est de savoir pourquoi des pays comme l'Espagne, l'Italie ou la Grèce soutiendraient des changements et des dépenses favorables à la Lituanie, si celle-ci se montre indifférente aux problèmes des autres. Peut-être auront-ils la magnanimité de soutenir les demandes lituaniennes avec générosité et pragmatisme, mais ils n'oublieront probablement pas l'indifférence du pays ; ils sauront, du reste, que la Lituanie ne privilégie jamais la question des valeurs.»
Une surveillance des frontières criminelle
Le portail The Press Project juge que l'UE se trouve dans une situation absurde :
«La commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, fustige la Grèce car celle-ci refuse d'examiner les éléments qui ressortent de la grande enquête menée par dix médias européens. Il s'agit pourtant de la même UE qui injecte des millions d'euros dans la construction de clôtures et de nouveaux camps fermés-prisons. ... Ce modus operandi, décrié par la profusion des preuves apportées, n'a rien d'une 'protection des frontières' [dénomination grecque]. Il ressemble surtout, comme l'ont écrit les dix médias participants, à des 'actions criminelles'.»