Ukraine : quelle guerre après les annonces de Poutine ?
Dans une allocution télévisée, le président russe Vladimir Poutine a annoncé mercredi une mobilisation partielle et proféré des menaces nucléaires. Les observateurs redoutent un regain de violences et de tourments en Ukraine. Poutine "sait très bien qu'une guerre nucléaire ne devrait jamais être déclenchée et ne peut être gagnée", a pour sa part affirmé le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg. Les chroniqueurs y voient le signe d'une Russie aux abois.
Un aveu d'échec
La mobilisation partielle permettra à la Russie tout au plus de retarder sa défaite, lit-on dans une contribution du Centre national de la stratégie de communication, affilié au ministère de la Culture ukrainien, sur le portail Ukrinform :
«Le kremlin [en minuscules dans le texte] a perdu le contrôle, et ce depuis longtemps déjà, de la guerre que la russie a déclenchée contre l'Ukraine. L'Etat agresseur semble être proche de la défaite. Une mobilisation traduit la volonté du kremlin de prévenir un effondrement total du front, en temporisant et en profitant de ce répit pour soumettre l'Ukraine et le monde au chantage et aux intimidations. Les criminels de guerre poutine et Choïgou n'ont plus d'autre choix que de doubler la mise. Ils se battent avant tout pour leur propre survie.»
De la chair à canon pour une guerre déjà perdue
Dans un post Facebook, le compagnon de route d'Alexeï Navalny, Leonid Volkov, juge absurde la mobilisation des réservistes :
«D'un point de vue militaire, la mobilisation arrive bien trop tard et ne changera rien à cette guerre déjà perdue. Une mobilisation est une opération logistique d'une ampleur colossale. ... En sept mois de guerre, l'armée russe a montré à plusieurs reprises qu'elle n'était pas en mesure de mener à bonne fin des opérations logistiques pourtant bien plus limitées. Même dans l'hypothèse où elle parviendrait à mobiliser les réservistes, à les acheminer sur place, à les nourrir, à les former et à leur procurer quelque chose qui ressemble à une arme, ceux-ci seront prêts à combattre au plus tôt dans quelques mois. Mais ils ne serviront pas à grand-chose. Poutine ne fait qu'envoyer de la chair à canon au front.»
Trop de carences
Poutine vit vraiment dans sa bulle, constate Népszava :
«Qu'elle ait recours à des référendums ou à la mobilisation - générale ou partielle -, la Russie ne pourra conserver ces territoires à long terme, et peut-être même pas à moyen terme. A partir du moment où elle a débuté, la guerre n'a été qu'une série d'invraisemblables faux-pas, et Poutine ne semble pas apprendre de ses erreurs. Il continue de vivre dans la bulle imaginaire qu'il a lui-même créée. Pourtant, pas besoin d'être un grand stratège pour savoir que sans le soutien de la nation, sans appui logistique et sans motivation au combat, il est impossible de remporter une guerre. Or ce sont les trois éléments qui font le plus défaut aujourd'hui.»
Des souffrances en perspective
Les destructions vont continuer, déclare Polityka :
«L'annonce de cette mobilisation n'est finalement qu'une confirmation de l'histoire militaire russe : quand la Russie ne parvient pas à l'emporter par la supériorité technologique ou économique, elle mobilise les masses, cherchant à se rattraper sur la quantité, faute de qualité. Cela veut dire une prolongation de la guerre, davantage de pertes, mais aussi de souffrances pour l’Ukraine. Car il ne faut pas oublier que ces masses russes mal préparées au combat sont peut-être de la chair à canon, mais elles viendront tout de même combattre sur le sol ukrainien et détruiront le pays.»
Lâché par ses alliés
Poutine voit ses soutiens internationaux s'effriter, souligne Avvenire :
«La raison principale expliquant la mobilisation russe est peut-être à chercher ailleurs. Sur cette scène internationale où Poutine, jusqu'à récemment encore, pensait avoir construit une stratégie gagnante, grâce aux nombreux pays qui, n'ayant pas souscrit aux sanctions économiques antirusses, lui avaient permis de résister au siège économique occidental. En d'autres termes, ce ne sont pas les actions de pays hostiles qui sont à l'origine de cette fuite en avant, mais les pressions de pays amis ou non hostiles. On l'a bien vu à Samarcande, durant le sommet de l'Organisation pour la coopération de Shanghai (OCS).»
Ne touche pas à l'Ukraine !
L'Ouest ne doit surtout pas se laisser intimider, écrit De Volkskrant :
«La volonté des alliés ne doit pas se laisser briser par les ambitions criminelles et mortifères de Poutine, qui brandit la menace nucléaire. ... Céder au chantage nucléaire, voilà ce qui aurait un effet déstabilisateur. Bien loin de se laisser dissuader par la rhétorique de Poutine, l'Ouest doit plus que jamais envoyer l'artillerie lourde, y compris les chars et les avions de chasse que Kyiv réclame depuis des mois. Quand Poutine annonce qu'il entend continuer de démembrer l'Ukraine, il ne peut y avoir qu'une seule réponse : ne touche pas à l'Ukraine !»
Vers un nouveau dilemme
Frankfurter Allgemeine Zeitung redoute une recrudescence de la guerre :
«Il ne faut se faire aucune illusion quant à l'issue de ces 'votes'. Ce qui sera décisif sera la réaction de Kyiv et de ses partenaires. En Occident, à Washington notamment, on a tout fait jusque-là pour que les Ukrainiens évitent de mener des attaques sur le territoire russe. C'était l'une des conditions centrales aux livraisons d'armes. ... En décalant la frontière, Poutine place l'Occident devant un choix difficile : si l'on maintient la politique privilégiée jusqu'ici, cela revient à entériner les gains territoriaux de la Russie. ... Si on l'abandonne, on choisit une escalade que le gouvernement allemand n'était pas le seul à espérer éviter.»
Le risque nucléaire se précise
La Stampa fait l'avertissement suivant :
«Poutine n'a aucune intention de s'asseoir à la table et de négocier sinon la paix, du moins un cessez-le-feu. Il privilégie plutôt l'escalade, militaire et politique. En cela, l'annexion est un facteur critique. Poutine fait avant tout appel aux sentiments nationaux et slavophiles de la grande majorité des Russes, mais aussi des habitants des zones de guerre, dans les territoires occupés et en Russie. Deuxièmement, avec l'incorporation rapide du Donbas dans la 'sainte' Russie, tous les moyens militaires, conventionnels ou non, sont permis pour défendre la nouvelle intégrité territoriale. ... Le recours à l'arme nucléaire pour protéger le territoire russe a toujours été implicite.»
Un geste désespéré
SRF redoute des conséquences incalculables pour tout le monde :
«Il s'agit d'un mouvement de désespoir, car les Russes et Poutine sont à court d'options. ... Pour la Russie, l'annonce des référendums est une décision monstrueuse, presque fatale. Si Poutine allait vraiment aussi loin et déclarait les zones occupées 'territoires russes', elles ne seraient pas reconnues par la communauté internationale. Ce geste tirerait la Russie vers le fond pendant des années, les relations économiques avec l'Occident s'en trouveraient gravement compromises et l'armée russe exsangue.»
Un prétexte à la mobilisation générale
Jutarnji list fait une conjecture :
«Pourquoi vouloir proclamer aussi vite que possible l'annexion de ces territoires à la Russie ? Premièrement, la situation sur place n'est pas celle espérée ; deuxièmement, paramètre peut-être plus important encore, les combats dans cette zone pourraient alors être qualifiés 'd'attaque directe de l'Ukraine sur le territoire russe'. Peut-être s'agit-il de la condition préalable pour que Poutine annonce la mobilisation générale, en raison de la 'menace pesant sur les territoires et la population russe'. Rappelons que la Russie a octroyé la citoyenneté russe aux habitants des territoires occupés avant même le début de la guerre, et qu'elle distribue à la hâte des passeports russes aujourd'hui.»
Une imposture
Dans Novaïa Gazeta Evropa, la juriste Yelena Loukianova juge les référendums indéfendables sur le plan juridique :
«Peut-on organiser un référendum trois jours après l'avoir annoncé, puis procéder au vote pendant trois jours ? Quel statut auront les troupes ukrainiennes pendant le déroulement d'un référendum sur les territoires qu'elles contrôlent - celui d''observateurs étrangers' ? ... En vertu d'un principe fondamental, on n'organise jamais de référendum là où règnent les conditions du droit de la guerre, comme c'est le cas aujourd'hui dans ces pseudo-entités étatiques. C'est pourquoi tout ce qui a trait à ces référendums est une pure imposture. L'objectif des référendums est d'apporter une légitimation. Mais on ne pourra rien légitimer en se basant sur des impostures.»