La propagande russe face au 80 ans de Stalingrad
Des commémorations ont eu lieu hier pour célébrer le 80e anniversaire de la victoire décisive de l'armée soviétique sur les troupes d'Hitler à Stalingrad. La bataille de 1942-1943 est généralement considérée comme un tournant dans la Seconde Guerre mondiale. Les commentateurs examinent la manière dont le Kremlin réévalue et exploite cette journée de commémoration historique, importante surtout en Russie, à l'aune de la guerre contre l'Ukraine.
Le maître du Kremlin en "petit père des peuples"
Dans les colonnes de La Stampa, la spécialiste de la Russie, Anna Zafesova, fait remarquer que Poutine se compare à Staline sans aucune vergogne :
«L'Union soviétique renaît pendant deux jours à Volgograd. Les autorités municipales remplacent les panneaux de la ville par ceux portant son ancien nom de Stalingrad, tandis que le 'petit père des peuples' sourit sur des affiches et des fresques murales et qu'un buste à son effigie est inauguré sur l'allée des Héros, dans une profusion d'œillets rouges. ... L'espace de quelques jours, la ville sur la Volga va redevenir Stalingrad, et le président qui la visite doit s'inscrire dans ce contexte. Il endosse le rôle qui semble lui avoir été taillé sur mesure par son redoutable prédécesseur.»
La commémoration a une nouvelle fonction
Le Kremlin instrumentalise ces festivités pour promouvoir la guerre, observe Deník N :
«Les dirigeants militaires russes actuels et le président Poutine tentent d'exploiter les différentes légendes autour de la bataille de Stalingrad, - certaines étant vraies, d'autres fabriquées de toutes pièces par la propagande -, afin d'encourager l'opinion publique à faire preuve d'une plus grande résolution. Une plus grande résolution à se sacrifier au nom de la 'défense du pays' contre le 'fascisme européen et ukrainien, les modes de vie décadents et les valeurs perverses'. C'est pourquoi la commémoration du 80e anniversaire de la capitulation allemande revêt un sens nouveau au prisme de la guerre en Ukraine.»
Une analogie malhonnête
La situation d'aujourd'hui n'est en rien comparable à celle de 1943, critique l'historien Valeri Solovej dans un post Telegram publié par Echo :
«Les comparaisons historiques de Poutine ne tiennent pas debout. L'Union soviétique a en effet été victime d'une agression extérieure, et l'acte de légitime défense que représente la Grande Guerre, n'est contesté par aucune personne dotée de raison, y compris en Occident. Les crimes commis par les dirigeants soviétiques contre leur peuple, et la politique impériale agressive menée dans les années d'avant-guerre n'y pourront rien changer. La Russie de Poutine est, quant à elle, responsable d'avoir déclenché un conflit armé majeur il y a un an. Elle s'est justifiée en faisant valoir que sans agression, elle se serait fait attaquer le jour ou l'heure d'après, ce que même les téléspectateurs des chaînes publiques ne croient plus aujourd'hui.»
L'Armée rouge ne l'aurait pas emporté sans les Ukrainiens
L'économiste Vladislav Inosemzev rappelle sur Facebook la contribution des soldats ukrainiens à la victoire de Stalingrad :
«Aujourd'hui, de nombreux Russes associent les Ukrainiens à des néonazis (aussi appelés 'banderistes') et des nationalistes. Pourtant, si près de 300 000 fils et filles du peuple ukrainien n'avaient pas perdu la vie sur les rives de la Volga et du Don il y a 80 ans, il est probable que cette victoire - 'une pour tous' comme le dit la chanson - n'aurait pas pu avoir lieu. Et même si ça n'est pas forcément le meilleur moment pour l'affirmer : le souvenir des exploits de tous les héros soviétiques survivra au temps et aux siècles, et encore plus aux dirigeants actuels.»