Arménie : le moment de tourner le dos à la Russie ?
Sur fond de crise liée au blocus du Haut-Karabakh par l'Azerbaïdjan, l'Arménie a indiqué qu'elle organiserait des exercices militaires avec les Etats-Unis, mi-septembre. Elle avait en revanche refusé de participer à des manœuvres communes avec l'OTSC, alliance militaire qui inclut également le Bélarus, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Russie et le Tadjikistan. Récemment, le Premier ministre, Nikol Pachinian, a estimé qu'en choisissant d'être tributaire de la Russie en matière de défense, le pays avait fait fausse route. Une analyse que confirment les éditorialistes.
Erevan se sent trahie par Moscou
C'est le désamour entre l'Arménie et Moscou, analyse Jutarnji list :
«Un allié de Poutine de plus qui cherche à couper le cordon avec Moscou. Erevan prend ses distances vis à vis de ses anciens protecteurs à Moscou et sollicite désormais la protection de l'Ouest. ... Ce revirement ne doit rien au hasard. L'Arménie se sent trahie par Moscou pour ne pas l'avoir soutenue lorsque la guerre avec l'Azerbaïdjan a repris. Alors que l'Azerbaïdjan a bénéficié du soutien militaire et politique de la Turquie, l'Arménie a attendu en vain l'aide de la Russie. ... Erevan reproche à la Russie son attitude passive et complaisante envers l'Azerbaïdjan pour ne pas compromettre ses bonnes relations avec la Turquie.»
Un partenaire sur lequel on ne peut plus compter
24.tv.ua relaie les déclarations de l'expert militaire David Sharp sur le rôle de la Russie au Haut-Karabakh :
«Rappelons qu'officiellement, la Russie est l'alliée de l'Arménie. Par le passé, les partenariats reposaient surtout sur l'achat d'armes. ... Aujourd'hui, le pays agresseur dans la guerre qu'il mène contre l'Ukraine rencontre lui-même d'importants problèmes et n'a ni la force ni les capacités d'honorer ses obligations. Une faiblesse que l’Azerbaïdjan ne manque pas d'exploiter. ... 'Nikol Pachinian a reconnu avoir commis une erreur stratégique [en misant sur la Russie], mais ne pas avoir eu d'alternative', selon David Sharp. ... La situation est critique. Si une étincelle mettait le feu aux poudres, l'Arménie serait bien plus faible que l’Azerbaïdjan. Le contingent russe présent en Arménie est purement symbolique.»
Une colère justifiée
Neue Zürcher Zeitung dénonce la passivité générale envers le Haut Karabakh :
«Depuis neuf mois déjà, l’Azerbaïdjan bloque l'accès à cette région peuplée d'Arméniens. ... La cruauté du blocus par l’Azerbaïdjan - du reste membre du Conseil de l'Europe - est une violation flagrante du droit international. ... Sans compter qu'affamer un groupe ethnique est foncièrement illégal. Cette politique rappelle le siège par les troupes serbes de l'enclave de Srebrenica, qui a duré des années pendant la guerre de Bosnie. ... On ne peut certes pas reprocher à l'UE, aux Etats-Unis, à l'ONU et même à la Russie de fermer les yeux sur l'urgence de la situation. Mais les actions engagées ressemblent davantage relever de la simulation que d'actions résolues.»
Le Kremlin est nerveux
Sur le portail Ekho, le politologue Hrant Mikaelian se demande quelle sera la réaction de Moscou :
«L'annonce de ces exercices est un pas en vue de développer des relations militaires avec les Etats-Unis. Compte tenu de la concurrence politique dans le Sud-Caucase, l'exécutif arménien a fait le choix de suivre une certaine politique. L'Arménie n'est pas le premier pays de l'OTSC à mener des exercices militaires conjoints avec les Etats-Unis sur son territoire. Des manœuvres similaires ont eu lieu il y a un an au Tadjikistan. A l'époque, la réaction de Moscou avait été timorée. Mais elle s'avère bien plus critique dans le cas de l'Arménie. ... Toute la question est de savoir ce qui en résultera.»
Moscou perd le contrôle de son pré carré
La Russie a laissé tomber Erevan, juge Der Standard :
«Depuis des mois, l'Azerbaïdjan bloque le corridor de Latchine, seule liaison terrestre entre l'Arménie et la région du Haut-Karabakh, majoritairement peuplée d'Arméniens. La situation humanitaire sur place est désormais catastrophique. Selon les termes de l'accord [de cessez-le-feu], il avait été convenu que les troupes russes veillent à assurer le libre passage sur cette voie. Mais Moscou a d'autres priorités aujourd'hui. L'Azerbaïdjan et ses voies commerciales revêtent désormais une nouvelle importance pour la Russie, en raison notamment des sanctions occidentales. Moscou ne veut pas non plus irriter la Turquie, la puissance garante de l'Azerbaïdjan. Par conséquent, la Russie voit l'Arménie, désillusionnée, se détourner d'elle ; elle perd le contrôle de son pré carré.»
Un traité de paix est la seule issue
On peut comprendre, jusqu'à un certain point, le mécontentement d'Erevan, commente Radio Kommersant FM :
«L'Arménie est en passe de perdre le Haut-Karabakh, et la Russie n'est pas en mesure d'inverser ce processus. ... Les agissements de l’Ouest - exercices militaires, volonté d’élargissement de l'OTAN et menaces (même s’il n’y a pas encore eu de menaces dans le cas présent) - n’arrangent guère les choses. La seule issue est un traité de paix avec l'Azerbaïdjan et la Turquie - Nikol Pachinian doit se rendre à l'évidence. Mais l'Arménie ne pourra faire oublier les conséquences amères de ce qui constitue, de facto, une défaite militaire, en rejetant toute la faute sur la Russie. ... Cela ne veut pas dire, néanmoins, que les motifs de mécontentement du Premier ministre arménien sont injustifiés. En effet, pourquoi avoir des alliés si l'on ne peut pas compter sur eux au moment critique ?»