Loi européenne sur la renaturation – une bonne chose ?
A une courte majorité, le Conseil des ministres de l'Environnement de l'UE a définitivement adopté lundi la loi sur la restauration de la nature. Celle-ci prévoit de remettre dans leur état d'origine un cinquième des écosystèmes endommagés d'ici 2030, les quatre autres cinquièmes d'ici 2025. C'est la voix de la ministre autrichienne de l'Environnement, l'écologiste Leonore Gewessler, qui a fait pencher la balance : contre l'avis du parti conservateur ÖVP du chancelier Karl Nehammer, elle a voté pour. Un geste qui fait couler beaucoup d'encre.
Un cavalier seul qui érode la confiance dans la politique
Kleine Zeitung condamne la manière de faire de la ministre écologiste :
«Ce qui est condamnable, c'est que Gewessler ait été prête à braver l'avis juridique prononcé par le service constitutionnel de la chancellerie fédérale sur la question. Elle l'a fait en cavalier seul et en toute connaissance de cause, contribuant ce faisant à une tendance de plus en plus préoccupante : on perd patience et on prend des libertés avec l'Etat de droit et les négociations compliquées avec les partenaires de coalition, préférant agir à notre guise sur les questions de protection du climat, par la politique du fait accompli et dans la précipitation. Elle marquera sûrement des points dans son parti avec sa politique climatique cavalière, qui fait d'elle une figure héroïque du noyau dur de l'électorat vert : enfin quelqu'un qui se décarcasse ! Mais ceci se fait au détriment de la confiance, déjà entamée, des citoyens dans une action de l'Etat qui soit en adéquation avec les normes juridiques.»
Un précédent dangereux
La tactique pourrait avoir un effet boomerang, met en garde De Morgen :
«La joie des écologistes est compréhensible, mais elle n'est pas très clairvoyante. Il s'agit en effet d'un précédent risqué car il renverse les règles du jeu de la démocratie européenne. Les Verts parleront-ils toujours d'un geste courageux le jour où, au sein des Conseils de l'UE, des ministres d'extrême droite prendront de leur propre chef des initiatives musclées en matière de politique migratoire ? La joie pourrait être de courte durée. Car qui protégera encore la démocratie si même les Verts estiment que leurs convictions doivent prévaloir sur les règles du jeu ?»
L'arroseur arrosé
Pour Der Standard, les accusations portées contre Gewessler sont peu convaincantes :
«Affirmer que le ministère de l'Environnement aurait dû se concerter au préalable avec le ministère de l'Agriculture est sujet à caution. Si l'on suit cette logique jusqu'au bout, les ministres devraient en permanence se consulter les uns les autres avant de prendre une quelconque décision à Bruxelles. ... On peut reprocher à Gewessler d'avoir exploité une zone grise juridique pour faire passer en force ses objectifs, sans tenir compte de son partenaire de coalition. La critique serait justifiée si ce dernier n'avait pas passé quatre ans et demi à faire exactement la même chose. Mais la ministre n'a fait qu'imiter l'ÖVP à la première occasion qui s'est présentée. Et contrairement aux Verts, les Turquoises [ÖVP] sont mauvais perdants.»
Symptomatique de la prochaine législature
El País tremble pour l'environnement :
«Les difficultés rencontrées pour faire adopter la loi sur la restauration de la nature illustrent les obstacles en perspective pour le pacte vert. ... Les Pays-Bas ont voté contre la loi, pays où le Mouvement agriculteur-citoyen (BBB) est monté à l'assaut de la politique environnementale de l'UE. ... Cette ratification difficile annonce la couleur pour la mandature déterminée par les élections du 9 juin, à l'heure où la droite doit s'incliner devant l'extrême droite. ... [Négliger la protection de l'environnement] est un luxe irresponsable que l'UE ne peut se permettre, car le changement climatique n'est plus une menace diffuse mais une réalité incontestable.»
L'Europe a une responsabilité à assumer
Dans La Stampa, le géologue Mario Tozzi tire son chapeau à l'UE et rappelle les responsabilités qui sont les siennes :
«C'est peut-être le dernier signal que le Parlement européen sortant pouvait envoyer, au-delà de la symbolique, pour affirmer l'ancien continent comme fer de lance de la politique environnementale dans le monde. ... Rappelons que si l'UE est actuellement responsable d'une part limitée des émissions nuisibles au climat (dix pour cent environ), ce n'est pas le seul indicateur à prendre en compte : si l'on fait entrer dans l'équation les émissions de CO2 cumulées depuis la révolution industrielle, il en ressort clairement que l'Europe, responsable de 33 pour cent des émissions, est la première responsable du changement climatique causé par l'homme.»
L'heure n'est plus à la rébellion
Le gouvernement finlandais était opposé à la loi, mais il doit maintenant clore le débat et la mettre en application, fait valoir Lapin Kansa :
«Le gouvernement doit revoir toute sa copie. Au lieu de faire obstruction, il doit commencer à élaborer un plan pour la mise en œuvre et le financement de la renaturation - la restauration des écosystèmes naturels. Nous n'avons que deux ans pour le faire, il n'y a donc pas de temps à perdre. ... Bien qu'on ait surtout parlé des forêts dans le débat sur la loi, la majeure partie des mesures de renaturation en Finlande portera probablement sur les tourbières et les cours d'eau. Le plus simple serait de commencer à remettre en eau les tourbières asséchées.»
Un progrès dans la lutte contre le changement climatique
La Croix se réjouit de la décision :
«Objet de nombreuses controverses, renégocié à plusieurs reprises pour le rendre acceptable en particulier par les représentants du secteur agricole, le texte est une avancée pour la préservation de la nature, alors que 70 pour cent des sols sont en mauvais état et que près de la moitié des espèces d'arbres présentes sur le continent est menacée d'extinction. Il est aussi une bonne nouvelle pour la lutte contre le changement climatique, tant les deux sujets – biodiversité et climat – sont liés, ne serait-ce que pour la sauvegarde de nos puits de carbone.»
Sauver notre peau
L'enjeu n'est autre que la survie de la planète, rappelle The Irish Times :
«Ironiquement, l'agriculture et la pêche sont les secteurs les plus directement impactés par la crise climatique que la loi cherche à atténuer. La multiplication des événements climatiques extrêmes - sécheresses, feux de forêt et inondations - accélère la dégradation du paysage. De plus en plus de récoltes se perdent, la surpêche et le chalutage anéantissent la reproductibilité des espèces marines, la base indispensable pour tant de secteurs. Il est essentiel que les gouvernements fassent bien comprendre que l'enjeu de cette loi n'est pas de sauver la nature, mais de nous sauver nous.»
Une bonne nouvelle pour les bureaucrates
Welt ne croit pas à l'efficacité de la loi :
«Elle prévoit d'imposer aux communes des règles et des quotas figés, par exemple l'agrandissement des surfaces vertes et de la frondaison des arbres en milieu urbain. Or dans le même temps, le 'pacte vert' de l'UE oblige à augmenter les surfaces consacrées aux champs de maïs et aux parcs éoliens. Les détracteurs de la loi avaient pourtant tiré la sonnette d'alarme : les conflits entre construction de logements, industrie, agriculture et environnement ne peuvent être réglés qu'au niveau local, pas depuis Bruxelles. Tout particulièrement en Allemagne, où la plupart des grands projets sont gelés pour préserver l'environnement, les problèmes sont appelés à se multiplier. Les lois sur la protection de la nature sont pour les politiques, la bureaucratie et les associations écologistes qui leur sont associées le gage d'une plus grande marge de manœuvre et de prospérité - mais pas pour la biodiversité.»