La Roumanie après le succès de Georgescu
A la surprise générale, le candidat d'extrême droite Călin Georgescu est arrivé en tête du premier tour de la présidentielle roumaine. Il affrontera au second tour, le 8 décembre, la politique de centre-droit Elena Lasconi. Une semaine auparavant, les électeurs seront également appelés à renouveler le Parlement. Les médias se demandent comment un candidat marginal, dont la campagne s'est limitée au réseau social TikTok, a pu s'imposer aussi rapidement, et quelles sont les implications pour Bucarest.
Encore un pays pris entre deux feux
Tvnet entrevoit des répercussions funestes pour l'unité de l'UE :
«Si un politique prorusse arrivait au pouvoir en Roumanie, ce serait un nouveau coup dur pour l'unité politique de l'UE et donc pour sa stabilité, car la Hongrie et la Slovaquie trouveraient là un nouvel allié de poids au plan idéologique, ce qui entraverait sérieusement le processus décisionnel européen, notamment concernant le soutien à l'Ukraine. ... S'il n'y a toujours pas de preuves indéniables d'une participation du Kremlin dans la campagne de Georgescu, force est de constater que la Roumanie, à l'instar de la Géorgie et de la Moldavie, se retrouve prise entre deux feux. Avec, dans ce cas présent, des conséquences plus directes sur l'Union.»
Vers une nouvelle victoire des nationalistes ?
Les législatives pourraient elles aussi se solder par une surprise, prévient Jutarnji list :
«La Roumanie est sous le choc. Un candidat venu de nulle part, sans parti pour le soutenir, sans relais médiatique, a remporté le premier tour de la présidentielle. Călin Georgescu a été occulté par ses rivaux, qui ne voyaient pas en lui une menace, mais aussi par la plupart des instituts de sondage, qui ne lui donnaient aucune chance d'accéder au second tour. ... Le courant nationaliste, incarné par Simion et Georgescu, a obtenu un score cumulé de 36 pour cent. Les législatives de dimanche prochain pourraient donc elles aussi déboucher sur un succès inattendu des extrêmes droites. Quel que soit le parti pour lequel voteront les électeurs de Georgescu.»
Cette fois-ci, les électeurs sont prévenus
Ukraïnska Pravda juge peu probable un succès de Georgescu au second tour :
«Une grande partie des électeurs qui ont voté pour lui ignorait tout de ses intentions, de son passé politique et de sa posture prorusse. Or dans un pays où il n'y a pas eu jusque-là de sympathies très marquées pour Moscou, cette posture pourrait lui coûter cher. C'est précisément l'absence de Georgescu dans les médias et son statut d''indépendant' qui ont joué un rôle clé dans sa victoire au premier tour – une primeur qu'il n'aura plus le 8 décembre. En dépit d'un essor certain du populisme dans la politique roumaine, la plupart des électeurs privilégieront très certainement la candidate proeuropéenne.»
Une campagne en ligne à l'écart des médias traditionnels
Le quotidien Tageblatt explique pourquoi les instituts d'opinion et les médias n'ont pas vu venir l'essor fulgurant de Georgescu :
«Pour la première fois dans l'histoire de la Roumanie, le débat électoral s'est presque exclusivement déroulé par le biais des réseaux sociaux, en contact direct avec les électeurs, et sans la modération des médias traditionnels. Des messages racoleurs atteignent un public peu informé. Les contenus s'effacent derrière la forme et la façon de les présenter. L'issue de ce scrutin doit être un avertissement, y compris pour les candidats favorables aux 'campagnes numériques' pour les prochains scrutins dans les PECO. Le scrutin choc en Roumanie a montré les possibilités de cet outil, mais aussi les risques de manipulation.»
La victoire de la superficialité
TikTok s'avère plus convaincant que les programmes électoraux, constate Adevărul, amer :
«La vérité la plus douloureuse à entendre est la suivante : si les Roumains ont plébiscité Georgescu, ce n'est pas parce qu'ils seraient les fidèles partisans de ses idées doctrinaires, parce qu'ils s'identifieraient à sa politique et son programme, ou encore parce qu'ils le soutiendraient depuis des années. Si l'on demandait à ces électeurs de nommer quatre ou cinq points du programme de Georgescu, ils seraient incapables de le faire. Pourquoi ? Parce qu'ils n'en ont aucune idée. Ils l'ont simplement vu parler et ont décidé de voter pour lui. La superficialité de TikTok est une nouvelle tendance. Les réseaux sociaux convainquent - rapidement, en quelques jours, sans aucune substance. TikTok est plus efficace que tout établissement scolaire.»
Angoissant pour l'avenir
Népszava flaire une immixtion étrangère derrière l'essor soudain de Georgescu :
«Lorsqu'un candidat compte moins d'un pour cent d'intentions de vote au début de la campagne, qu'il n'est pas vraiment plus populaire ensuite et qu'il finit malgré tout par l'emporter, on peut dire sans trop se mouiller qu'il y a eu intervention extérieure. ... L'identité de l'agence de renseignement derrière cette action ne peut être que l'objet de spéculations. Mais le point de départ, c'est que la Roumanie est l'une des bases des Etats-Unis et de l'OTAN les plus importantes à l'Est, pour ne pas dire la plus importante en raison de l'actualité internationale. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un tour de force inquiétant, qui augure un avenir angoissant pour les autres scrutins à venir en Europe.»
La graine est tombée en terrain fertile
Süddeutsche Zeitung porte un regard rétrospectif pour tenter d'expliquer le résultat :
«Même avant le dictateur Nicolae Ceaușescu, la Roumanie n'a jamais vraiment été une démocratie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le dirigeant militaire fasciste Ion Antonescu dirigeait le pays de concert avec l'Allemagne hitlérienne. La continuité de cette trame autoritaire au fil des décennies a entravé le développement – et la maturation – d'une culture et d'un paysage politique démocratique et libéral. ... Incertitude économique, sentiment d'être pris de court et abandonné, faibles défenses immunitaires face à la désinformation et la propagande : dans un tel terreau, un mouvement comme celui de Georgescu peut aisément prendre racine.»
Les partis antisystème ont le vent en poupe
La Roumanie entre dans une nouvelle ère, explique Corriere della Sera :
«Avec Georgescu et [le chef de file d'AUR] Simion, l'extrême droite a obtenu plus d'un tiers des voix. Certains prédisent par ailleurs un 'effet domino' aux élections législatives de dimanche prochain. Ce scrutin a marqué la défaite des partis traditionnels. Les sociaux-démocrates [PSD], qui ont structuré la vie politique du pays pendant 30 ans au titre d'héritiers de l'ex-Parti communiste, ont été éliminés au premier tour, une première depuis la chute du communisme en 1989. Les libéraux du PNL, avec qui ils gouvernent actuellement, ont connu le même sort. Les partis antisystème 'ont le vent en poupe. Reste à voir s'ils vont réussir à surfer sur la vague', pour reprendre les propos du sociologue Gelu Duminica.»
Une brèche dans le flanc Est de l'OTAN ?
Gazeta Wyborcza s'inquiète de l'orientation internationale future de la Roumanie :
«La politique pro-américaine a été menée par le président sortant, Klaus Iohannis (PNL), l'instigateur des 'Neuf de Bucarest', dont fait aussi partie la Pologne. Ce groupe s'était activement investi pour renforcer le flanc Est de l'OTAN et le déploiement de troupes américaines dans la région. Si Georgescu devenait président, cette politique pourrait être amenée à changer.»
Le résultat de frustrations et d'une mauvaise gouvernance
Spotmedia avance plusieurs explications à la victoire de Călin Georgescu :
«Il y a d'abord la frustration d'une grande partie de la population, qui se sent abandonnée par les partis établis avec ses problèmes, ses angoisses et ses attentes. Si les problèmes peuvent varier en fonction du niveau d'instruction et de la région, l'indifférence avec laquelle ils sont accueillis est la même. Et l'immense humiliation infligée par le mépris et le dédain du président Klaus Iohannis. ... Il y a enfin la mauvaise gouvernance et ses conséquences économiques énormes. On ne peut pas raconter à la population que le pays prospère alors que les gens vont de plus en plus mal. La Roumanie a l'un des taux d'inflation les plus élevés de l'UE, elle s'endette rapidement, elle se prive par incurie de fonds européens. En contrepartie, on sert aux électeurs des discours qui ne remplissent ni leurs poches, ni leurs ventres.»
En première ligne sur Tiktok
Călin Georgescu a remporté les élections grâce aux réseaux sociaux, argumente Transtelex :
«Son équipe de campagne a utilisé de manière optimale le format visuel de Tiktok. Ses vidéos faisaient souvent intervenir des symboles nationaux forts, tels que le drapeau tricolore roumain et des héros historiques, insufflant à ses messages une force émotionnelle. Le format succinct et dynamique lui a permis de transmettre ses opinions radicales de façon rapide et brève. Les algorithmes de la plateforme préfèrent des contenus viraux, notamment lorsqu'ils suscitent des émotions fortes. Le style provocateur de Georgescu et ses messages politiques acerbes étaient parfaitement adaptés à ce schéma, et ses vidéos ont atteint des millions de spectateurs.»
Un radical se donnant des airs modérés
Selon Index, Călin Georgescu semble avoir su convaincre des électeurs au-delà de l'électorat d'extrême-droite :
«Georgescu est surtout connu pour sa position farouchement anti-OTAN, anti-UE et prorusse et sa défense du mouvement fasciste Garde de fer actif entre les deux guerres mondiales. ... Mais Georgescu n'a sans doute pas été élu exclusivement grâce à des votes d'extrême droite, et ce, parce que sa communication est bien plus prudente, moins excentrique que celle de ses concurrents George Simion ou Diana Șoșoacă [situés comme lui bien à droite sur l'échiquier politique], par exemple. Son expérience à l'ONU semble avoir été un atout précieux pour convaincre de son profil de leader.»