L'Estonie déchoie les Russes du droit de vote aux municipales
Le Parlement estonien a adopté un changement de la Constitution excluant les citoyens russes et autres ressortissants de pays non-membres de l'UE des élections municipales. Quelque 80 000 ressortissants russes vivent en Estonie. Les commentateurs de la presse du pays évoquent la situation de cette communauté et les conséquences potentielles de la décision.
Une incitation à s'intégrer
Postimees salue la décision du Parlement :
«Une intervention rapide était la seule option envisageable, car aussi paradoxal que cela puisse sembler, l'invasion de l'Ukraine par la Russie nous a ouvert une opportunité historique d'affirmer notre souveraineté. Mais cette fenêtre historique sera peut-être de courte durée, et c'est une bonne chose que nous ayons pu nous engouffrer dans la brèche, en dépit des longues querelles. ... L'Estonie a restauré son indépendance il y a 34 ans. Suffisamment de temps pour apprendre l'estonien, se familiariser avec les us et coutumes du pays et demander la naturalisation. Espérons que la récente décision du Parlement serait une incitation supplémentaire pour celles et ceux qui ne l'ont pas encore fait.»
Contraire aux intérêts nationaux
L'ostracisation des citoyens russes nuit aussi aux Estoniens, estime le sociologue Andrus Ristkok dans Maaleht :
«Le contexte sécuritaire sert maintenant aussi de justification. On peine à comprendre dans quelle mesure la modification de la loi électorale est susceptible de garantir l'indépendance de l'Etat dès lors que l'administration ne tient plus compte des intérêts sociaux, économiques, culturels et naturels de certaines régions. ... L'indifférence vis-à-vis de la culture et de la nature de ces régions, mais aussi de leurs problèmes démographiques, signifie une atteinte directe aux intérêts des Estoniens. Car ces régions aussi font partie de l'Estonie.»
Moins de bâton et plus de carotte
Le rédacteur en chef de l'édition russophone de Postimees, Sergueï Metlev, analyse la situation comme suit :
«Cette mesure change la réalité politique en Estonie et illustre, en plus d'autres décisions, que sur la question russe, l'Estonie a choisi une stratégie jusqu'au-boutiste. ... D'un autre côté, il y a le risque majeur qu'un tiers environ des Russes qui vivent déjà en marge des réalités estoniennes deviennent encore plus récalcitrants et se désintéressent complètement des soucis des Estoniens. ... Impossible de dire pour l'heure si cette attitude est appelée à s'aggraver dans un avenir proche, jusqu'à atteindre des dimensions funestes, c'est bien là le risque majeur. ... C'est pourquoi nous avons besoin sans plus tarder d'une initiative positive. Une société libre ne peut pas se cantonner à serrer la vis.»
Beaucoup de questions sans réponses
Dans Eesti Päevaleht, Katri Raik, la maire de Narva, ville proche de la frontière russe et dont 30 pour cent de la population environ sont de nationalité russe, fait part de sa consternation :
«Le pays est divisé : il y a d'un côté vous les Estoniens, de l'autre nous les Russes, qui n'inspirent que méfiance aux Estoniens. ... L'intégration telle que nous la connaissions est un échec patent. Ce ne sont pas tant les citoyens russes – quoi qu'eux aussi – qui sont vexés, mais aussi et surtout les citoyens estoniens dont la langue maternelle est le russe. Tout habitant de Narva compte dans sa famille au sens large des citoyens russes ou apatrides. En quoi ma belle-mère ne serait pas adaptée à l'Estonie ? Pourquoi mon père, qui a travaillé et passé toute sa vie dans le respect des lois dans ce pays, n'y aurait pas sa place ? ... Voilà ce à quoi on me demande de répondre, au titre de maire de Narva. Même si je n'ai pas les réponses.»