La Turquie abat un avion de combat russe
Un avion de combat russe a été abattu à la frontière turco-syrienne par la Turquie, pays membre de l'OTAN. Un acte militaire qui ne restera pas sans conséquences, a prévenu le président Vladimir Poutine. Cet accrochage risque de faire capoter le projet de coalition contre le groupe terroriste Daech, déplorent certains commentateurs. D'autres estiment que la Russie fera profil bas, afin de ne pas remettre en cause son retour sur la scène internationale.
La Russie a trop tiré sur la corde en Turquie
La Russie ayant au cours des dernières semaines et malgré les avertissements violé à plusieurs reprises l'espace aérien turc, l'attaque portée contre le bombardier russe mardi est une réaction compréhensible, juge le quotidien proche du gouvernement Star : "Si toi, frère, au prétexte de frapper le groupe terroriste le plus radical de la planète, tu bombardes l'Armée syrienne libre tout en maintenant Assad en vie ; si tu fais de l'œil à l'Iran qui est entré en guerre avec ses soldats pour soutenir un dictateur aux mains tachées de sang ; si tu le fais sans le moindre égard pour les sensibilités de la Turquie ; si tu bombardes des Turkmènes tout en essayant des dizaines de fois de violer notre espace aérien ; si tu dépasses les bornes, si tu tires trop sur la corde, alors un jour, alors la patience sera à bout et l'on abattra tes avions partout dans le monde."
Enfin un Etat qui remet la Russie à sa place
C'est une bonne chose que ce soit la Turquie et non un autre Etat qui refrène la Russie, écrit le quotidien conservateur Lidové noviny : "Les provocations de la Russie vont trop loin. On relève quasi quotidiennement de tels incidents : sous-marins dans les eaux territoriales britanniques, avions de combat à proximité de l'Alaska, avions et navires aux frontières des Etats baltes ou de la Norvège. C'est donc une bonne chose qu'un pays mette le holà à cet intrus, et qu'il ne s'agisse pas d'un Etat européen. Les choses auraient été bien pires s'il y avait eu une confrontation militaire dans la Baltique, à la frontière directe de l'OTAN et de la Russie. Pour les intérêts stratégiques de l'Alliance atlantique, il est préférable qu'Ankara soit de notre côté, et non l'alliée de Moscou face à l'Occident."
Vu d'ailleurs : Moscou aurait dû prendre Ankara au sérieux
Poutine a sous-estimé l'importance géopolitique de la Turquie dans la guerre en Syrie, estime le journal moscovite critique à l'égard du gouvernement Novaïa Gazeta : "La Russie fait désormais face à un antagoniste potentiel à ses frontières, ce qui risque de se traduire par des pertes économiques et un échec de ses opérations militaires en Syrie. … La Russie a fait fi des intérêts de la Turquie dans l'élaboration de sa stratégie militaire dans la région, en s'appuyant sur les adversaires traditionnels d'Ankara, tels que le régime d'Assad en Syrie, les Kurdes et l'Iran. Les experts russes voyaient la Turquie comme un allié fidèle des Etat-Unis, incapable d'agir seul. Erdoğan et ses conseillers pensent au contraire jouer le rôle clé de puissance militaire et politique dans la région."
Poutine préservera la coalition antiterroriste
En dépit du bombardier russe abattu par la Turquie, membre de l'OTAN, le président Vladimir Poutine ne risquera pas une rupture avec l'Ouest, estime le quotidien libéral Tages-Anzeiger : "Ces dernières semaines, Poutine s'était montré moins menaçant. Même sa réaction à l'attentat contre l'avion de transport russe dans le Sinaï, qui a fait 224 morts, a été en fin de compte modérée. Car Poutine distingue la chance unique d'être admis dans la coalition antiterroriste et de faire son retour sur la scène internationale. Pour atteindre cet objectif, il serait même prêt à faire taire sa rage provoquée par la Turquie. Poutine veut cette coalition non seulement à cause de la Syrie ou du litige autour de l'Ukraine. Son véritable but n'est pas un partenariat avec l'Ouest, mais un nouvel ordre mondial, déterminé par la Russie et les Etats-Unis. ... Les Européens pourraient trouver cette idée absurde, mais Poutine est convaincu que seul le retour de l'ancien ordre bipolaire est un gage de stabilité mondiale."
La coalition anti-Daech bien mal engagée
L'incident militaire entre la Russie et la Turquie ne facilitera pas la tâche du président François Hollande, qui s'efforce de former une alliance internationale contre le groupe terroriste Daech, analyse le quotidien conservateur Le Figaro : "Turquie et Russie lui sont indispensables, mais on ne fait pas pires alliés : irréconciliables sur le sort de Bachar Al-Assad, également ambigus sur leur détermination à lutter contre l'État islamique. Leur course à l'hégémonie au Moyen-Orient s'exacerbe en l'absence de leadership américain. Cependant, Ankara sait Washington lié par l'invocation de l'OTAN, dont le retour dans le jeu ne peut que braquer la Russie. … Le 'coup de poignard dans le dos' dénoncé par Vladimir Poutine est aussi diplomatique. Avec de tels alliés, la France n'est pas au bout de ses peines. L'internationalisation du conflit syrien offre une mince opportunité pour coaliser le monde contre Daech. Nous voilà instruits d'une autre réalité : en cas d'échec, la logique de guerre pourrait échapper à tout contrôle."
Un incident dont seul Daech profite
L'accrochage militaire entre la Turquie et la Russie profitera essentiellement au groupe terroriste Daech, commente le quotidien de centre-gauche Frankfurter Rundschau : "Erdogan et Poutine se servent de cet incident comme prétexte pour tenir des propos forts, censés mobiliser leur opinion publique respective. De son côté, l'OTAN essaye de limiter les dégâts. Le chef de l'Etat français François Hollande complète ce tableau désastreux. Il a parlé de guerre après les attaques de Paris, a bombardé Daech en Syrie et fait la tournée de ses alliés pour évoquer avec eux la lutte antiterroriste. Comme s'il s'agissait d'un conflit entièrement nouveau et non d'une guerre qui a déjà fait d'innombrables victimes depuis des années. Dans cette situation, les fondamentalistes sont les grands gagnants. Ils se réjouissent de la faiblesse de la communauté internationale, celle-ci étant depuis longtemps déjà l'un de leurs atouts. Ils se réjouiront encore plus qu'il n'y ait pratiquement personne aujourd'hui pour s'efforcer d'amorcer un processus de paix devenu plus que nécessaire, qui permette de mettre fin à la guerre civile syrienne."