L'espoir d'un cessez-le-feu en Syrie
D'ici une semaine, les combats devraient cesser en Syrie entre les rebelles et l'armée régulière. A Munich, les ministres des Affaires étrangères des pays formant le 'groupe de contact' pour la Syrie se sont mis d'accord sur une trêve humanitaire et la reprise des négociations de paix de Genève. Une lueur d'espoir pour le pays dévasté ?
Alep, Stalingrad du Proche-Orient
La proposition de cessez-le-feu a peu de chance de se concrétiser, redoute le quotidien économique libéral Il Sole 24 Ore :
«La guerre en Syrie a atteint une dimension historique, la pire catastrophe humanitaire que connaisse l’espace méditerranéen depuis la Seconde Guerre mondiale. La bataille d’Alep est devenue une sorte de Stalingrad du Proche-Orient. Quelles sont les chances de réussite de la proposition de cessez-le-feu de Lavrov ? Elles sont bien maigres. Le président turc Tayyip Erdoğan a fait savoir que sa patience avait des limites. Non seulement la Turquie ploie-t-elle sous la pression des réfugiés à sa frontière, mais elle a aussi conscience que les garanties de l’UE et de l’OTAN ne suffisent plus à empêcher la chute d’Alep. Pour Erdoğan, les Saoudiens et les monarchies du Golfe, qui avaient misé sur la fin d’Assad et des djihadistes de Daech, la défaite est cuisante. … Si l’Arabie saoudite devait entrer en guerre, ce serait le début d’une 'nouvelle guerre mondiale', a averti le Premier ministre Dmitri Medvedev.»
L'échec de l'Occident en Syrie
L’indignation de l’Occident face aux frappes aériennes russes à Alep est hypocrite, critique l’hebdomadaire de centre-gauche Le Jeudi :
«C’est une stratégie qui, faute d’alternative, a été bénie par l’Occident. Et elle paie. L’Etat islamique est en passe de perdre la guerre. Mais voilà qu’on crie au loup. Voilà qu’on met en avant les civils qui fuient Alep. Comme si l’on avait oublié d’où vient le chaos syrien. Si Merkel, Erdogan et l’Occident se disent scandalisés, c’est parce qu’ils se rendent compte que l’entrée en action de la Russie signifie, pour la première fois, un vrai tournant dans la guerre. Un tournant dans lequel ils ont perdu la main. Un tournant, aussi, qui met à nu l’échec de l’attitude occidentale qui, ne misant que sur le déboulonnement du régime, est en grande partie responsable de l’enlisement de la guerre. Et donc aussi de la tragédie humaine qu’elle a provoquée.»
Alep, nouvelle Sarajevo
En raison de ses atermoiements, l'administration américaine se retrouve désormais totalement impuissante en Syrie, souligne le quotidien de centre-gauche The Guardian dans son éditorial :
« Les options américaines ont été sévèrement limitées par l’intervention militaire russe en Syrie. La notion d’une 'zone d’interdiction aérienne' protégée par l’Occident dans le nord de la Syrie, et destinée à créer une zone sécurisée à la fois pour les rebelles et les civils, n'est plus d'actualité. Celle-ci aurait été possible plus tôt au cours de la guerre, mais à ce stade, ceci impliquerait de risquer une confrontation militaire à grande échelle avec la Russie - perspective que l’administration Obama ne peut logiquement pas envisager. Ce qui est en train de se produire à Alep pourrait bientôt ressembler au siège de Sarajevo dans les années 1990, mais sans espoir de répit cette fois, et avec de bien plus graves conséquences en termes de réfugiés, y compris pour l’Europe. S’il fallait retenir un symbole de l’échec occidental en Syrie, ce serait celui-ci.»
Personne ne peut arrêter Assad et Poutine
Le régime d’Assad et la Russie créent en Syrie de nouvelles réalités auxquelles l’Europe et les Etats-Unis n’ont pas de réponse, déplore le quotidien de centre-gauche De Morgen :
«Il faut s’attendre à ce que très prochainement, Poutine propose un marché : un peu moins de chaos et de réfugiés syriens en échange de la levée des sanctions contre la Russie. Quid des ambitions de l’Europe dans ce jeu ? Elles sont minimes. … L’Europe et les Etats-Unis se contentent d’un rôle de second plan et se concentrent surtout sur la neutralisation de Daech en Irak, en Syrie et en Libye. Obama et Hollande nous laissent penser que Daech est le méchant dans la région, passant sous silence les destructions massives perpétrées par l’armée d’Assad. En gros, Assad et Poutine liquident l’opposition syrienne, tandis que nous bombardons Daech. Qu’adviendra-t-il des aspirations des Syriens à plus de liberté, de démocratie et de respect ?»
Une partition de la Syrie, sur le modèle de Berlin
Une partition du pays à la fin de la guerre sera inévitable, assure le quotidien islamo-libéral Today's Zaman :
«Maintenant que la Russie est fermement établie dans le pays, il est bien trop tard pour que l’OTAN et les Etats-Unis interviennent, d’autant plus que le souvenir des expériences irakienne et libyenne a un effet dissuasif. … L’idée est noble, et l’OTAN devra jouer un rôle accru, mais celui-ci devrait être strictement humanitaire. ... La priorité doit être de mettre fin aux souffrances humaines. Une partition de la Syrie sera inéluctable. Le sort du pays devra être fixé à l’issue d’une période de transition, au cours de laquelle le pays formera un 'protectorat commun des Etats-Unis et de la Russie' (excluant l’option Assad) - une extension du modèle appliqué à Berlin à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.»
Les rebelles, pas une alternative à Assad
Les rebelles syriens n’obtiendront aucune aide de la part des Etats-Unis, souligne le journal économique libéral Handelsblatt :
«Contrairement aux alliés d’Assad, les alliés des rebelles ne sont pas prêts à s’impliquer directement dans la guerre, en tout cas pas sans le soutien des Américains. Dès le départ, le soutien des Etats-Unis aux rebelles était timoré. Washington et Moscou se sont de facto entendues sur une 'répartition des tâches' en Syrie : les avions de combat américains bombardent les terroristes de Daech dans l’est du pays, tandis que les Russes concentrent leurs frappes dans l’ouest et le nord. Ceux qui sont tentés d’y voir une trahison de l’Amérique vis-à-vis des combattants de l’opposition syrienne oublient ce faisant que les rebelles ne sont pas parvenus à établir dans les territoires qu’ils occupent une alternative attractive au régime d’Assad. Comme dans le 'califat' de Daech, c’est surtout la terreur des islamistes qui s'y est imposée.»
La prise d'Alep, tout bénéfice pour Poutine
Le quotidien Aftonbladet explique en quoi les frappes aériennes russes à Alep profitent au Kremlin :
«Poutine affirme qu’il bombarde Daech, mais ce sont surtout les habitants d’Alep qui périssent sous ses bombes. Il sait ce qu’il fait. Son objectif est d’anéantir l’opposition syrienne. Poutine sait bien les problèmes que cause l’afflux de réfugiés en Europe et il prévoit par ailleurs d'intensifier la présence russe au Proche-Orient. Il veut reprendre le contrôle de la Syrie. L’essor des partis d’extrême droite en Europe lui est également favorable. … On ne peut rendre la Russie responsable de la guerre civile syrienne, mais le maître du Kremlin n’a aucun scrupule à saisir l’occasion et à bombarder le pays si cela peut lui conférer un quelconque avantage. La guerre civile syrienne est en train de prendre un tournant : avec l’appui des avions et des chars russes, le régime d’Assad devrait bientôt avoir encerclé Alep.»
Une offensive qui annihile les pourparlers de paix
Il serait absurde de poursuivre les négociations de paix tant que l’armée syrienne bombarde les populations civiles à Alep avec l’appui de la Russie, souligne le quotidien de centre-gauche Tages-Anzeiger :
«Si les ministres des Affaires étrangères se réunissent jeudi à Munich dans le 'format de Vienne', les discussions devront s’attacher à obtenir du Kremlin la garantie qu'il cessera les attaques contre les populations civiles, et qu'il contraindra son protégé Bachar Al-Assad à autoriser le passage de l’aide humanitaire vers les territoires assiégés. Retourner à la table des négociations de Genève n’aurait aucun sens. Le secrétaire d’Etat américain John Kerry a également affirmé que l’on saurait bientôt si Moscou est réellement disposée à mener des négociations de paix. Il n’a pas dit ce que Washington compte faire si la réponse est non.»
Seul Obama peut arrêter Poutine en Syrie
En raison de l’offensive de l’armée régulière syrienne avec l’appui de la Russie et de l’Iran, la région d’Alep risque de connaître une catastrophe humanitaire. Il faut que les Etats-Unis interviennent, réclame le quotidien de centre-gauche De Volkskrant :
«Qui peut empêcher la Russie et l’Iran de provoquer une catastrophe géopolitique et humanitaire en Syrie, à l’issue de laquelle seuls Assad et Daech subsisteraient dans le pays ? Les Américains. Les Etats-Unis et la Russie avaient convenu d’un cessez-le-feu en Syrie, qui devait marquer le début du processus diplomatique de Genève. Tandis que les Etats-Unis pressaient leurs alliés de réduire leur soutien aux combattants anti-Assad, la partie adverse enclenchait la vitesse supérieure. … Obama doit désormais tracer une ligne rouge dans la bataille d’Alep. Si, après l’Ukraine, il devait tolérer une nouvelle fois la politique du fait accompli, alors cette ville risque de devenir le cimetière de sa politique étrangère.»
Moscou veut anéantir l'opposition syrienne
Le soutien de la Russie au régime d'Assad n’a qu’un seul véritable objectif, écrit le quotidien libéral Eesti Päevaleht :
«Cette attaque aura une incidence majeure sur les relations entre l’Ouest et la Russie, laquelle s’est fortement ingérée en Syrie avec ses frappes aériennes. En cas de défaite des opposants à Assad, qui contrôlent la ville depuis 2012, les seuls belligérants qui resteront dans le conflit syrien seront Assad et Daech. Tout espoir de résolution par des négociations auxquelles l’opposition syrienne serait associée partirait en fumée. C'est précisément l’objectif de la Russie. La raison même de son intervention militaire il y a quatre mois.»