Réflexions sur l'avenir de l'Europe
Réaction de repli sur soi face à l’afflux de réfugiés, chômage élevé, surendettement et essor des partis et des mouvements d’extrême droite : l'intégration européenne donne des signes d'essoufflement. Des élections à l'issue difficile dans plusieurs pays européens sont un poids supplémentaire. Assiste-t-on à l'échec d'un grand projet ?
Une UE tétanisée par la peur
L'Union, qui frôle la crise de nerfs chaque fois qu'elle doit prendre une décision difficile, risque de se désagréger, prédit le politologue Sergio Fabbrini dans Il Sole 24 Ore :
«L'an dernier, l'UE était paralysée par la peur de voir Marine Le Pen remporter les présidentielles françaises. Elle retient son souffle face aux difficultés de l'Allemagne à former un gouvernement aujourd'hui, et bientôt à celles de l'Italie d'en faire de même. ... Sans parler de l'attente anxieuse, le regard rivé sur ce qui se produit en Hongrie et en Pologne, et ce qui va se produire en Autriche. Pendant ce temps, la course du monde ne s'arrête pas. Le nationalisme de Trump se fait ressentir, l'agressivité de Poutine ne reflue pas, pas plus que les flux migratoires qui atteignent notre continent. ... Si les politiques ne comprennent pas rapidement que l'amalgame entre politiques nationales et politique de l'Union est un poison mortel pour l'UE, celle-ci sera condamnée à imploser ou à perdre toute importance.»
Les Européens se dénigrent sans raison
En chantier permanent, l'UE s'emploie actuellement surtout à se nuire à elle même, déplore Stephan Israel, correspondant à Bruxelles de Tages-Anzeiger :
«Nous sommes tous des Européens qui avons connu la paix, la prospérité et la sécurité comme aucune génération avant nous. L'Europe tient lieu de rêve pour les réfugiés, les migrants et les étudiants du monde entier. Les différences sociales y restent minimes et la qualité de vie élevée. Mais nous sommes les artisans de notre propre perte, nous nous dénigrons nous-mêmes. Les autocrates de ce monde se frottent les mains quand les Européens s'écharpent les uns les autres. ... Peut-être entrerons-nous vraiment un jour dans les annales pour avoir été la génération la plus idiote de l'histoire.»
Les Européens ont soif de politique
Il est trop facile de taxer de populisme toute critique adressée à l’UE, met en garde la philosophe Tinneke Beeckman dans sa chronique pour De Standaard :
«Les dirigeants technocrates n’ont de cesse de répéter un seul message depuis les crises de 2008 : il n’y a pas d’alternative. Et quiconque affirme le contraire est un populiste. … La rhétorique du 'dos au mur' fait le lit de l’apolitisme. … Cette rhétorique paternaliste fait fi de l’essence même de la politique : le pluralisme. La démocratie implique que les citoyens débattent de l’avenir de la société, et comparent et soupèsent entre elles les différentes alternatives. Si les partisans de la démocratie libérale n'ont plus d’options à proposer, les visions non-libérales l’emporteront. La révolte des Européens contre le gouvernement, contre l’UE, relève d'une nostalgie de la chose politique, du débat entre adversaires dans le respect et la controverse. L’Union européenne est en crise : il s'agit d'un douloureux règlement de comptes avec l’erreur selon laquelle les citoyens accepteraient l’absence de perspectives et de solutions.»
Les 'valeurs européennes', une vue de l'esprit
Les responsables politiques polonais et hongrois montent à l’assaut pour voler au secours des valeurs européennes, qu’ils voient compromises par l’arrivée massive d’autres cultures. Or il n’y a pas de système de valeurs européen, pointe l’ex-commissaire européen Frits Bolkestein dans De Volkskrant, en s’appuyant sur plusieurs études :
«Les résultats sont aussi fascinants que consternants. On note en effet de très grandes disparités. … Si par exemple, la foi en Dieu est très importante pour les Polonais, elle ne l'est pas du tout pour les Tchèques. Dans le nord de l’Europe, on voit d’un mauvais œil l'obéissance aveugle à l'autorité, ce qui n’est pas valable pour le reste de l’Europe. ... Ceux qui ont tendance à considérer la liberté, les droits de l’homme et la démocratie comme des valeurs européennes doivent reconnaître que ces mêmes principes existent aussi dans d'autres civilisations occidentales : l’Amérique du Nord et l’Amérique latine. … Les valeurs européennes se caractérisent par une grande diversité. Ce qui fait le ciment entre les Etats membres, ce n’est pas leurs valeurs, mais leurs intérêts divergents.»
Le foisonnement de mensonges politiques, par Urve Eslas
Dans la campagne électorale américaine et dans celle du Brexit, nous assistons à une politique de post-vérité dans laquelle les mensonges sont admis, observe la chroniqueuse Urve Eslas dans Postimees :
«Croire aux complots signifie être convaincu que quelqu'un a l'intention et le pouvoir de nous tromper. Quelqu'un qui est capable de contrôler une grande quantité d'informations, d'argent et de personnes. Y parvenir serait difficile dans une société où les citoyens jouissent de la capacité de décider de leurs actes, où la presse est libre et indépendante et où les transactions financières sont surveillées par l'administration fiscale. Mais dans un contexte de multiplication de mensonges politiques et de méfiance grandissante, les théories du complot et le radicalisme ont bon vent. Ce faisant, la société civile se fragilise elle-même, permettant le renforcement de partis autoritaires et extrémistes. Les évolutions observées en Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Roumanie et Pologne permettent d'identifier de tels signes.»
La fin des sociaux-démocrates en Europe ?
Que ce soit en Grande-Bretagne, en France, en Espagne ou ailleurs en Europe, les sociaux-démocrates sont divisés. Cela représente une menace pour le système politique européen, juge El Mundo :
«L'implosion de l'économie a entraîné dans la plupart des pays européens un bouleversement du système politique ; le bipartisme garantissait jusque-là un équilibre entre économie de marché libérale et immobilisme socialiste. Les conservateurs semblent mieux résister à la crise, même s'ils connaissent eux-aussi des difficultés. Mais les sociaux-démocrates traversent une véritable crise identitaire, susceptible de ruiner complètement le modèle existant. Ils ne parviennent pas à proposer des alternatives et sont minés par les divisions : les tenants de la gauche radicale d'un côté, qui rejettent le projet européen, et ceux qui gouvernent de l'autre, qui épousent les valeurs libérales. ... La chute du mur a fait disparaître le communisme, et la crise actuelle pourrait priver l'Europe de l'équilibre qui lui avait assuré progrès et cohésion.»
Fonder enfin l'Europe de la défense, par Roberta Pinotti et Paolo Gentiloni
L'UE doit recourir à une nouvelle initiative afin d'apaiser les craintes croissantes des citoyens, préconisent les ministres italiens Roberta Pinotti et Paolo Gentiloni, en charge respectivement de la Défense et des Affaires étrangères, dans Le Monde :
«Si nous voulons contrecarrer la dérive populiste qui essaye de profiter de la situation pour mettre en avant les arguments antieuropéens, nous devons offrir des réponses efficaces aux préoccupations croissantes de nos citoyens … L’une des réponses les plus pertinentes – à vrai dire assez peu présente dans le débat public – est celle qu’on peut donner sur le plan de la défense. Si la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) nous prive d’un Etat membre doté de capacités militaires remarquables, il n’en reste pas moins qu’elle ouvre de nouvelles perspectives pour la défense commune. Sa relance nous permettrait non seulement de renforcer notre capacité opérationnelle dans les zones de crise et dans la lutte contre le terrorisme, et d’augmenter l’efficacité de nos ressources, mais également d’obtenir un impact politique important, en soulignant notre volonté d’appuyer concrètement le projet d’intégration.»
La démocratie directe pour endiguer le populisme, par Olev Remsu
L’essor des politiques et des partis populistes, tant en Europe qu’aux Etats-Unis, est un signe de l'échec de la démocratie, estime l’écrivain Olev Remsu dans Eesti Päevaleht :
«Quand on se penche sur les personnages de Donald Trump et Marine Le Pen, on constate que leur position actuelle est un résultat de la démocratie. Peuvent-ils, à l'instar d'Hitler, prendre le pouvoir et anéantir la démocratie ? Cette menace est de plus en plus concrète. Il est difficile de défendre la démocratie par les moyens de la démocratie représentative. ... La démocratie a besoin de changement, comme cela s’est déjà produit par le passé. Je pense que davantage de démocratie directe pourrait mettre fin à la progression des partis autoritaires. Et s'ils se sont déjà emparés du pouvoir par le biais de la démocratie représentative et de la démagogie, je pense que la démocratie directe les empêcherait de resserrer encore plus l’étau.»
La vision d'un tandem hispano-italien, par Patrick Artus
Comme lors de crises précédentes qu'a connues la communauté des Etats européens, des appels à une nouvelle initiative franco-allemande se font entendre encore aujourd'hui. On ne saurait toutefois tenir à l'écart l’Espagne et l’Italie, deux grands pays qui ont fourni un considérable effort de réforme, souligne l’économiste Patrick Artus dans Le Point :
«Cela nous paraît être, outre une erreur politique, une erreur économique. L'Italie et l'Espagne ont mené des réformes efficaces du marché du travail, qui ont facilité le redémarrage de l'emploi et dont d'autres pays pourraient s'inspirer. L'Espagne est la grande économie la plus dynamique de la zone euro. Il faut trouver une autre technique de relance de l'Europe que le 'couple franco-allemand'. Le 'couple franco-allemand' ne peut pas être le moteur du redressement de l'Europe. Les structures des économies en France et en Allemagne sont très différentes, ce qui conduit les deux pays à avoir des objectifs opposés de politique économique. Les vues des deux pays sur l'organisation institutionnelle optimale de la zone euro sont opposées (fédéralisme contre règles). Il n'y a pas de raison d'exclure l'Italie ou l'Espagne.»
L'action unificatrice de la culture, par Bernhard Schneider
Pour rapprocher l'Europe de ses citoyens, il faut davantage mettre l'accent sur le rayonnement de la culture, réclame Bernhard Schneider, du réseau Soul for Europe, sur le portail Medium :
«Afin que les Européens et les Européennes s'approprient et acceptent le projet européen, celui-ci devra se tourner vers eux. ... Les éléments culturels communs constituent pour l'Europe unie une base de légitimation solide, mais aussi plus durable que n'ont pu l'être des projets économiques communs comme l'industrie du charbon et de l'acier, ou le marché unique. Dans le même temps cependant, la différenciation et la diversité culturelle sont une menace pour la cohésion et nécessitent un accompagnement politique. ... La culture européenne est chez elle dans les villes et les régions - et chez leurs habitants. Tout individu qui s'occupe de culture dans une ville ou dans une région, qu'il s'agisse d'un citoyen ou d'un fonctionnaire, effectue une tâche européenne. Qu'il le sache ou non, c'est un acteur de l'Europe d'en bas. Il faut faire davantage prendre conscience à ces personnes de la responsabilité qu'elles assument.»
L'Europe défigurée, par António Barreto
Le terrorisme est en train de défigurer l’Europe telle que nous la connaissions, déplore le sociologue António Barreto dans le journal Diário de Notícias :
«L’Europe n’est plus ce qu’elle était jadis, et dans quelques années, elle ne sera plus ce qu’elle est encore aujourd’hui. C’est la fin d’un chapitre de notre histoire et de l’histoire du continent : l’ère d’une Europe pacifique et ouverte à tous les réfugiés de la planète. … Une Europe qui a voulu se distinguer en promouvant la générosité, la culture et la diversité. … Cette Europe, ce rêve, ce projet, l’histoire et l’espoir : tout cela est en train de disparaître. … Le terrorisme islamiste détruit l’Europe que nous connaissions. Pire encore, la peur du terrorisme influence de plus en plus notre vie. Tout ceci attise les réflexes de protection et de défense, les atteintes à la loi et une réaction agressive qui défigurent l’Europe. Le fanatisme islamiste alimente délibérément un racisme et une xénophobie que les Européens tentent depuis des années d’éliminer .»
Les élites sont aveugles, par Mikael Jalving
Se référant au "trilemme" de l'économie mondiale évoqué par l'économiste Dani Rodrik il y a près de dix ans, Mikael Jalvin, sur son blog hébergé par le site du journal Jyllands-Posten, critique le fait que les élites n'aient pas encore pris en compte cet aspect :
«La mondialisation, la démocratie et l'Etat-nation - impossible d'avoir ces trois bons ingrédients à la fois. ... Il faut faire un choix ou bien doser les différents composants. ... On n'a toujours pas compris ce trilemme central, et ce constat vaut surtout pour les élites économiques et politiques, que ce soit à Davos, au sein de l'UE, à Francfort, Paris ou Berlin. Elles combattent toutes les limites et normes, à l'extérieur comme à l'intérieur. Mais c'est comme si on avait élu il y a 30 ans le groupe de pop danois Gnags pour décider de la politique mondiale. Ce dont nous avons besoin, c'est d'une fronde plus importante de la part du peuple contre les dirigeants et leur 'communauté de fans', composée d'intellectuels, de chouchous des médias et de musiciens pop.»
L'extrême droite, la véritable menace pour l'Europe, par Mats Wiklund
L'extrême droite répète à l'envi que l'Europe est en danger. Or c'est bien elle, au final, qui représente la véritable menace pour le continent, écrit Mats Wiklund dans le journal Upsala Nya Tidning :
«'Récupérons notre pays !' - c'est ce que scande aujourd'hui un nationaliste après l'autre. ... Dans ce climat, il devient subitement possible de réclamer ce qui était impensable jadis : construisons un mur ! Tirons sur les réfugiés ! Refoulons les musulmans ! Récupérons notre pays ! Ce qui est réellement dangereux dans tout ça - et on s'en rapproche dans plusieurs endroits - c'est que les gens s'habituent aux simplifications et à la violence des messages destructeurs émis par les extrémistes et démagogues. ... L'anormal devient la norme. ... Il n'est pas exagéré de dire que les valeurs fondamentales assurant la cohésion de la Suède et d'autres pays européens sont menacées. Le danger émane cependant de ceux-là mêmes qui aspirent de toutes leurs forces à annihiler la confiance mutuelle formant le socle des sociétés libérales et ouvertes.»
La démocratie est trop complexe pour les Européens, par Evgueni Daïnov
La démocratie reflue partout en Europe. C’est le constat alarmant que fait le politologue Evgueni Daïnov sur le portail d’information Dnevnik :
«La Turquie s’éloigne à grands pas des postulats majeurs de la modernité que sont l’égalité, la tolérance, la liberté d’opinion et de religion, l’Etat de droit, la répartition des pouvoirs, la séparation de l’Etat et de l’Eglise. … Avant elle, les Russes avaient déjà emprunté cette voie, en suivant avec enthousiasme le cap impulsé par Vladimir Poutine. … Hongrois, Polonais et Slovaques sont en train de leur côté de mettre à l’épreuve un modèle qui arase les différences, qui impose un leader et qui livre les 'dissidents' en pâture aux autres. D’une certaine façon, cette tentation est compréhensible. Les gens ont du mal à se retrouver dans le maillage complexe que forment les institutions, les différents pouvoirs, règles et lois, et à s’approprier le principe 'toutes les possibilités s’offrent à toi'. Il serait bien plus simple que tout ceci n’existe pas et que tout le monde soit loti à la même enseigne, sous l’égide d’un 'leader avisé', selon le mot d’ordre 'un peuple, une croyance, un führer !'.»
Rendez le pouvoir au peuple, par Emmanuel-Juste Duits
Il faut que les décisions politiques puissent à nouveau être prises par les peuples en Europe, préconise l'auteur Emmanuel-Juste Duits sur le site de réflexions Causeur :
«L’UE se trouve à la croisée des chemins : soit elle continuera sa fuite en avant vers la dépossession du pouvoir accordé aux citoyens, au bénéfices d’experts capables de s’y retrouver dans des structures de plus en plus complexes et opaques ; soit les décisions reviendront aux peuples d’Europe, au travers de nouveaux mécanismes. La question centrale est donc la création d’un chaînon manquant, véritable outil démocratique de débat, permettant aux citoyens de prendre des décisions enfin éclairées par la raison. Notons ici que de telles procédures efficaces de débats ont été mises au point avec l’expérience du Deliberatorium aux Etats-Unis, voire les conférences de consensus, par exemple. Si nous n’arrivons à créer ce nouvel outil de débat méthodique et éclairant, on pourra dire adieu à l’idéal même de la démocratie - le pouvoir du peuple pour le peuple - et nous connaîtrons une régression inimaginable vers le pouvoir de ces nouveaux philosophes-rois que sont les experts et les juristes des instances européennes.»
Le groupe de Visegrád nuit à la Tchèquie, par Jiří Pehe
La République tchèque pâtit de la mauvaise réputation du groupe de Visegrad (V4), affirme le politologue Jiří Pehe dans Právo :
«A une époque, tant que ses membres poursuivaient des objectifs communs, le V4 était une bonne adresse. Présentement toutefois, les antagonismes s’accentuent – qu’ils soient le fruit de mentalités différentes, ou encore de disparités dans la taille, les ambitions et l’histoire de chacun des membres. … Pourtant, la Tchéquie est considérée comme une partie indissociable du V4. Et ce bien que le pays ait affiché une plus grande retenue envers l’UE - notamment sur la question de l'immigration - que les trois autres, qui n’hésitent pas à taper du poing sur la table. … En vérité, les pays du V4 sont perçus comme un groupe qui a de plus en plus de problèmes avec la démocratie ; qui n’a aucun scrupule à profiter des pays riches de l’UE mais ne se montre pas solidaire avec eux. Dans une perspective historique, la Tchéquie serait mieux inspirée de s’orienter vers son voisin germanophone plutôt que vers ses voisins orientaux et septentrionaux.»
Paolo Rumiz sur la balkanisation de l'UE
L’UE est bien partie pour connaître un processus de balkanisation, redoute l’écrivain et grand reporter Paolo Rumiz dans La Repubblica :
«Mais quel est donc ce bruit de verrous, ce cliquètement rouillé de cadenas, de barbelés et de clôtures frontalières que l'on entend de la Grande-Bretagne à la Grèce, de la Catalogne aux confins de la Russie ? Quelle est donc cette banalisation invasive du langage à laquelle nous assistons, cette diffusion d’alternatives violentes dissimulées derrière des termes inoffensifs du jargon informatique : 'In'/'Out', 'Leave'/'Remain' ? D'où viennent l’agressivité meurtrière et ces sigles obscènes, tels que 'Brexit' ou 'Grexit', qui ne font pas justice à la complexité des évènements ? Et surtout, comment nommer l'illusion qui s’impose aujourd’hui aux nations, cette volonté de croire qu’on serait 'mieux lotis seuls' ? J’ignore pourquoi nous hésitons autant. Le terme adéquat existe déjà depuis un quart de siècle, voire peut-être plus. Ce terme, c’est 'balkanisation'. Je sais qu’il est déplaisant d’être assimilé aux Balkans. Il est réconfortant de se représenter cette région comme un foyer de tribalisme localisé, contre lequel l’Europe 'civilisée' serait immunisée. … Notre rêve européen pourrait se déliter ainsi, dans le silence atterré de son appareil bureaucratique et monétaire - suivant un scénario parfaitement balkanique.»
L'Allemagne, rempart contre le populisme, par Alexander Tomov
Fait surprenant, nulle autre que l'Allemagne est en mesure de mettre le holà aux fâcheuses dérives nationalistes et populistes en Europe, observe le chroniqueur Alexander Tomov dans le quotidien Novinar :
«Qui l’eut cru ? L’Allemagne fait figure d’esprit libéral en Europe à l’heure où des relents de fascisme nous viennent des pays qui furent jadis les alliés. Citons l’exemple de la Grande-Bretagne, qui veut quitter l’Europe sans se soucier le moins du monde des blessures que ceci infligerait au projet européen commun - à la création duquel elle a pourtant tant œuvré. Et pourquoi ? Parce qu’une poignée de populistes écervelés se sont abattus sur elle, comme une nuée de moustiques, pour s’abreuver de sang avant de disparaître. … Cet esprit même qui avait porté Hitler au pouvoir hante à nouveau l’Europe et, ironie de l’histoire, c’est en Allemagne qu'une des rares voix de la raison tente de lui faire barrage. Tant que l’Allemagne est forte et que les Allemands ne cèdent pas à la propagande, il reste de l’espoir.»
Critiquer l'UE est devenu un sport, par Jesper Beinov
La présidente des sociaux-démocrates danois, Mette Frederiksen, a reproché à l’UE de laisser tomber les citoyens. Le quotidien Berlingske regrette l’absence de débat plus nuancé :
«L’UE-bashing est devenu une discipline populaire pour les politiques. … L’adhésion à l’UE compense la cession formelle de compétences souveraines par un gain ultérieur d’influence. D’un point de vue global, nous devrions avoir pour objectif de suivre le même chemin que ceux dont nous partageons les valeurs, dans un monde où de nombreux grands Etats font un amalgame entre droit et pouvoir. … Nous avons manifestement négligé le débat européen. Et il est plus aisé de s’en prendre verbalement à l’UE plutôt que de reconnaître que celle-ci est devenue le théâtre de luttes hégémoniques - tout comme sur le plan de la politique nationale. Cela ne veut pas dire qu’il faille approuver docilement tout ce qui vient de Bruxelles, mais les politiques n’auraient pas dû laisser tomber l’UE. Ces attaques perpétuelles contre l’UE seront néfastes à long terme pour le Danemark.»
Récuser les scénarios-catastrophes, par Petr Holub
En suivant la couverture de l’actualité européenne, on pourrait croire que l’Europe est au plus mal, déplore l’éditorialiste Petr Holub sur le site de la radio publique Český rozhlas :
«Les scénarios-catastrophes se vendent bien. Du moins cela vaut-il pour la République tchèque. Peut-être est-ce seulement par inattention que les propriétaires de médias et les journalistes diffusent les nouvelles des agences de presse occidentales en Tchéquie. Mais en relayant ces voix étrangères inquiètes sans apporter le moindre contexte, ils donnent l’impression que la peste brune, qui a déjà dévasté le continent, vient de réapparaître en Autriche. Or le candidat à la présidence Norbert Hofer n’a fait qu’exploiter le mécontentement éprouvé par les Autrichiens vis-à-vis de la grande coalition au pouvoir. … Il pourrait y avoir un épilogue similaire en Grande-Bretagne. L’essor de l’extrême droite ne mènera pas nécessairement au Brexit. Il peut en revanche inciter les élites à s’intéresser aux soucis normaux des citoyens. L’Europe ne court pas au chaos. Elle s’emploie seulement à régler des problèmes plus graves qu’auparavant.»
L'aube de l'Europe de l'Est, par László Csizmadia
Une refonte de l'Europe est indispensable, écrit dans le quotidien Magyar Hírlap le chroniqueur László Csizmadia, qui trace les grandes lignes de ce nouveau projet :
«La volonté de renouveler l’Union émane aujourd’hui des pays qui, pour avoir souffert de la domination soviétique, chérissent particulièrement la valeur de la liberté. Au déclin de l’Occident dont fait état [l’historien allemand] Oswald Spengler succédera l’aube de l’Est. … La majorité des citoyens européens reste favorable à une Europe unifiée. Mais pas dans sa forme actuelle, où tout est sens dessus dessous. Dans l’UE d’aujourd’hui, c’est la politique qui prime, suivie de l’économie. Les intérêts de la société n’arrivent qu’en troisième position. … Or les citoyens européens veulent inverser l’ordre de ce classement. … La longévité d’une alliance d’Etats européens dépendra du respect de la souveraineté des nations qui la composent. C’est la politique que soutient l’Europe de l’Est ; espérons qu’elle saura s’imposer face aux forces sclérosantes qui dominent en Europe de l’Ouest.»
Donner un nouveau souffle à l'UE, par Thomas Piketty
Pour redevenir une entité capable d’agir, le noyau dur de l’UE doit sans tarder se doter de nouveaux traités, préconise l’économiste français Thomas Piketty dans La Repubblica :
«Réfugiés, dettes, chômage : la crise européenne semble interminable. Pour une part croissante de la population, la seule réponse lisible est celle du repli national : sortons de l’Europe, revenons à l’Etat-nation, et tout ira mieux. Face à cette promesse illusoire, mais qui a le mérite de la clarté, le camp progressiste ne fait que tergiverser : certes, la situation n’est pas brillante, mais il faut persister et attendre que les choses s’améliorent. ... Cette stratégie mortifère ne peut plus durer. Il est temps que les principaux pays de la zone euro reprennent l’initiative et proposent la constitution d’un noyau dur capable de prendre des décisions et de relancer notre continent. ... Il est tout à fait possible de conclure, parallèlement aux traités existants, un nouveau traité intergouvernemental entre les pays de la zone euro qui le souhaitent.»
L'Europe doit repenser la solidarité, par Daniel Innerarity
Si l’Europe veut survivre en tant que communauté solidaire, elle doit redéfinir le concept de solidarité, préconise le philosophe Daniel Innerarity dans le quotidien El País :
«Un concept 'moraliste' de la solidarité repose sur la prémisse que les acteurs politiques n’ont pas d’intérêts propres et que la société se régule par des relations de générosité. … On distingue par ailleurs une conception de la solidarité que l’on pourrait qualifier de 'cynique', qui souligne les limites supposément naturelles de la solidarité, dans l’optique de ne pas devoir prendre en considération les intérêts des autres. ... Je propose une troisième conception de la solidarité, celle de la 'réflexivité'. Elle nous permet de concevoir la solidarité comme une institutionnalisation d’une acception 'éclairée' de l’intérêt propre, ou de l’intérêt de l’Europe envisagé sur le long terme. Au-delà d’un concept altruiste qui mise sur un reniement débonnaire de ses intérêts propres. Et au-delà du cynisme, qui nous empêche de comprendre que nos objectifs directs à court terme ne coïncident pas avec nos véritables intérêts.»
Le trouble identitaire de l'UE, par Maciej Zięba
Sur le portail Mandiner, Maciej Zięba, théologien, physicien et ex-militant du mouvement Solidarność, explique pourquoi les réfugiés sont perçus comme un problème en Europe :
«Il convient d’abord de constater que le postmodernisme, qui joue un rôle prédominant dans la culture européenne contemporaine, remet en cause l’ensemble des valeurs. Le second constat, c’est que trois 'dépôts' culturels se sont stratifiés en Europe : le christianisme, les Lumières et le postmodernisme. Ces couches sont en conflit les unes avec les autres, et elles contribuent à s’affaiblir mutuellement. Compte tenu de l’identité multidimensionnelle de l’Europe, fruit de cette stratification culturelle, le continent souffre pour ainsi dire d’une maladie auto-immune, c’est-à-dire que l’organisme s’attaque à lui-même. D’un point de vue psychiatrique, il s’agit d’un trouble multiple de la personnalité, un profond conflit d’identités. … Ainsi, le problème des réfugiés en Europe n’est pas lié aux réfugiés, mais bien à l’Europe elle-même.»
Le dilemme démocratique de l'UE, par Jochen Bittner
Quel est le mal dont souffre l'UE ? Voici la réponse du journaliste Jochen Bittner, sur le portail Zeit Online, six semaines avant le vote sur le Brexit :
«Pourquoi les Britanniques ont-ils fait tomber le premier domino ? Parce qu'ils ne croyaient plus à la valeur ajoutée d'un regroupement hypercomplexe d'Etats par rapport à l'Etat-nation. Parce qu'ils estimaient que leurs critiques des déficits de l'UE en matière de fonctionnement et de stratégie ont été occultées ces 40 dernières années. ... La vérité, c'est qu'on ne peut pas tout avoir à la fois - démocratie, harmonie et efficacité. Il est impossible de prendre des décisions majoritaires à Bruxelles sans nuire à la souveraineté des Parlements nationaux. ... Si l'on veut une UE efficace, qui soit un acteur important dans le monde, il faut renoncer dans une certaine mesure à la démocratie classique liée à l'Etat-nation. Les Européens sont-ils prêts à l'accepter ? On ne leur a encore jamais posé la question. Celle-ci a été omise. C'est cette absence de consensus fondamental au départ qui fait vaciller l'UE aujourd'hui.»
Le paradoxe de l'UE, par Vassil Prodanov
Seul un renforcement des institutions européennes permettra d'enrayer l’essor de l’euroscepticisme, écrit le politologue Vassil Prodanov dans le quotidien Trud :
«Favoriser l’intégration par le biais de la fédéralisation, du renforcement des institutions et des frontières communes, ceci implique d’accroître la sécurité militaire, sociale et économique. Pour y parvenir, l’Europe a besoin de la monnaie unique, mais elle doit aussi se doter d’une politique financière commune. Ceci entraînerait une hausse drastique du budget européen et l’octroi d’un plus grand rôle de répartition aux institutions européennes. Actuellement, l’UE redistribue un pour cent du PIB commun. A titre de comparaison, les Etats-Unis ont affecté 22,51 pour cent de leur PIB au budget fédéral en 2016. Vu le positionnement des élites politiques et l’euroscepticisme croissant, il est peu probable que l’Europe emprunte cette voie.»
La xénophobie, ce spectre qui hante l'Europe
Au Kosovo, la journée de l’Europe, le 9 mai, est un jour férié. Les autres pays d’Europe ne cherchent pas à commémorer ces valeurs fondamentales, déplore Večernji list :
«Un spectre revient hanter l’Europe du XXIe siècle. Il ne s’agit plus du fascisme ou du communisme, mais de la xénophobie, la peur des étrangers. Les partis nationalistes d’extrême droite jettent de l'huile sur le feu, non pas pour protéger leur peuple respectif, comme ils le prétendent, mais pour aller à la chasse aux voix et porter leurs représentants au Parlement. Pour une poignée de voix, ils sont prêts à brader les idéaux européens que nous envie le reste de l’Europe et sur lesquels est bâtie la démocratie. … A l’occasion de la journée de l’Europe, nous devons écouter les propos du pape François, qui appelle l’Europe à se réveiller et à se rappeler ses valeurs fondamentales.»
Plus personne ne défend nos valeurs
De toute la période d’après-guerre, jamais les valeurs de l’Union européenne n’ont été aussi en danger qu’aujourd’hui, commente le quotidien Kainuun Sanomat :
«Droits de l’homme, démocratie, liberté d’opinion, libre circulation des personnes, solidarité : ces valeurs et ces principes ont-ils disparu ? Racisme décomplexé, égoïsme nationaliste, violation des droits des minorités, restrictions de la liberté de la presse, falsification de l’histoire : ces phénomènes et ces aspirations se multiplient à vue d’œil. Il n'est guère étonnant que le nationalisme, la xénophobie et la ségrégation se manifestent tout particulièrement dans certains ex-Etats communistes totalitaires, qui refusent aujourd’hui d’assumer la prise en charge de demandeurs d’asile et de réfugiés, bien que l’UE ait généreusement soutenu la reconstruction de ces pays. Or on note les mêmes développements dans ce qu’on appelle la Vieille Europe. … Il est affligeant de constater la faiblesse et la fadeur des contributions des politiques européens. Qui défend encore l’Europe, ses valeurs et ses objectifs ?»
Le retour dangereux de l'Etat nation, par Lyubomir Kyuchukov
L’aspiration d’un nombre croissant de pays de l’UE à revenir à la forme de l'Etat-nation souverain menace le projet européen, prévient Lyubomir Kyuchukov, de l’Economics and International Relations Institute (EIRI) de Sofia, dans le journal Trud:
«Ce n’est pas en adoptant une politique rétrograde qu’on arrivera à résoudre les problèmes actuels. C’est par contre le meilleur moyen d’entraver l’évolution de l’UE. C’est là l’expression de la nostalgie d’une stabilité révolue. La phase de développement graduel et concerté de l’UE est visiblement terminée. L’équilibre n’existe plus - au sein des Etats membres eux-mêmes, dans les relations des Etats membres entre eux et dans les relations entre l’UE et le reste du monde. Projet d’avenir, solidarité entre les Etats membres, sécurité dans les sociétés : autant d’éléments qui font défaut à l’heure actuelle en Europe. Si l’Europe ne veut pas être marginalisée, elle devra trouver la voie la menant vers la prochaine phase d’intégration.»
Une guerre des générations en Europe, par Harold James
Les jeunes européens se retrouvent de plus en plus exclus de l'accès aux ressources, constate l'historien américain Harold James dans Jornal de Negócios :
«Alors que les populations en Europe vieillissent, la pyramide démographique est en train de s’inverser rapidement - et une guerre des générations se dessine, remplaçant celle des classes. ... La guerre est menée principalement sur le champs des urnes électorales - les personnes âgées gagnent les élections, pendant que les jeunes restent à la maison - et les butins se retrouvent dans le budget national, dans l'équilibre entre éducation, pensions, soins de santé et régimes fiscaux. Avec cet affrontement, le pacte intergénérationnel qui sous-tend la stabilité sociale et politique a été rompu. ... Pour l'instant, la soupape de sécurité fournie par la mobilité de la main-d'œuvre peut empêcher une révolte de la jeunesse contre l'égoïsme et la complaisance des personnes âgées. La question est de savoir ce qui se passera lorsque les opportunités à l'étranger auront cessé d’être préférables aux conditions domestiques.»
Relancer l'Europe, par Hans-Gert Pöttering et Androulla Vassiliou
Dans le quotidien libéral Cyprus mail, Hans-Gert Pöttering, président de la fondation Konrad Adenauer, et Androulla Vassiliou, ancienne commissaire européenne, expliquent comment renforcer l’Europe au plan géopolitique :
«Une UE unifiée forme le socle de l'Europe : la division Nord, Sud, Est, Ouest que l'on observe actuellement représente un danger pour tout le monde. Il est donc primordial que le Royaume-Uni reste au sein de l’UE. Il ne faudra par ailleurs jamais oublier que ce sont les valeurs européennes communes qui nous rassemblent : dignité, liberté, démocratie, paix et Etat de droit. Plutôt que de perdre notre énergie à nous diviser, nous devrions nous efforcer de faire en sorte que l’Europe, cette communauté de destins, fonctionne à nouveau. L’Europe peut assurément réussir dans cette entreprise.»
Non au retour de l'Europe religieuse, par Ainius Lašas
Il n’y a aucune raison de déplorer la perte d’importance de la foi chrétienne en Europe, assure le chroniqueur Ainius Lašas sur le portail 15min :
«Les chantres du conservatisme critiquent à juste titre certaines tendances, notamment la tolérance excessive dont font preuve les universités occidentales et les aspects problématiques de l’intégration des migrants. Mais ce faisant, leurs appels à retrouver les valeurs chrétiennes ne sont pas plus convaincants. La majorité des Européens occidentaux ne croit plus à la genèse ; elle voit surtout l’aspect humain. C’est pourquoi il est naïf de s’en remettre à la parole divine et à une vérité absolue. De telles ambitions s’avèrent plus problématiques que telle ou telle tendance postmoderne exagérée, comme ce relativisme moral honni par les conservateurs. C’est déjà problématique et contradictoire en soi, mais quelle est l’alternative ? Proposer aveuglément d’occulter la réalité et de vivre en vertu des valeurs divines ? Nous avons déjà vécu à une telle époque - l’histoire la retient comme les 'siècles obscurs' (Moyen-Âge). Une époque que traverse la majeure partie du monde islamique. Veut-on vraiment revenir à cela ?»
L'Europe perd de son humanité, par Matúš Krčmárik
Au printemps 2016, les réfugiés ne sont plus perçus comme des être humains avec des destins personnels distincts, ce qui leur interdit toute perspective d'avenir, déplore le commentateur Matúš Krčmárik, dans le quotidien libéral Sme :
«C’est la peur qui prédomine aujourd’hui des deux côtés. La peur éprouvée par les réfugiés, d’une part, qui ressentent la haine croissante des Européens à leur égard, et la peur ressentie par les Européens, de l’autre, qui redoutent que ces personnes ne viennent détruire leur cadre de vie habituel. … Or les réfugiés ne sont pas des chiffres. Ce sont des personnes, qui ont leur histoire et il y a peu de temps de cela, elles avaient encore un avenir. Si on décide de les expulser, en vertu de l’accord passé avec la Turquie, il ne leur reste qu’à attendre. Les enfants prennent des années de retard dans leur scolarité, les adultes perdent le sens du travail et, au bout du compte, leur dignité. … Si ces personnes désespérées, qui ont fui la guerre, ne suscitent plus aucune compassion en Europe, alors l’Europe aura perdu une part de son humanité.»
La refonte du monde multipolaire, par Jurijs Sokolovskis
Sur le portail russophone Delfi, l’ex-député Jurijs Sokolovskis, de la formation rebaptisée Union russe de Lettonie en 2014, évoque la perte d’importance de l’Europe et les nouvelles luttes hégémoniques :
«L’Europe a dominé le monde pendant plusieurs siècles. Mais l’histoire évolue. Nous devons nous habituer au fait que l’UE est aujourd’hui un acteur puissant parmi d’autres. L’Europe perd sa suprématie. La place qu’elle occupe dans l’économie mondiale et son influence dans la politique internationale sont sur le déclin. La population vieillit et le nombre d’habitants se maintient seulement grâce à l’immigration. L’économie se contracte. Dans le même temps, des pays comme la Chine ou l’Inde, qui veulent dépasser l’Europe, peuvent compter sur une population jeune et nombreuse. Grâce à la mondialisation, cette génération a accès à des technologies modernes, à une éducation de qualité et aux capitaux d’investissement. … Les nouveaux dirigeants, notamment au sein de l’ONU ou du FMI, veulent que le pouvoir soit partagé. Mais comme l’enseigne l’histoire, le processus de répartition du pouvoir est toujours associé à la guerre et à la refonte des zones d’influence. La guerre se poursuit jusqu’à ce qu’émerge un nouvel équilibre reflétant une juste répartition des nouvelles forces en présence.»
La perte d'identité génère le terrorisme, par Jūratė Laučiūtė
L’Europe a perdu son identité, critique la chroniqueuse Jūratė Laučiūtė dans le quotidien conservateur Lietuvos žinios, suite aux attentats de Bruxelles :
«Bien que l’Europe ignore ses racines chrétiennes, on continue d’entendre sonner les cloches des églises. Elles annoncent parfois le miracle de la résurrection, parfois le passage de vie à trépas. Ces derniers temps, elles sonnent de plus en plus souvent pour dire adieu aux victimes du terrorisme. … Les attentats précipitent littéralement les occidentaux dans l’abîme. Au sens figuré, ce sont les politiques et les juristes occidentaux qui assurent cette mission, car la tolérance et le politiquement correct prodigués par les philosophes, intellectuels et droit-de-l’hommistes libéraux de gauche leur ont fait perdre la tête. Seuls les fous placent la citoyenneté au-dessus de la nationalité. Les politiques responsables de cette situation déplorent désormais que des 'Belges' tuent d’autres Belges. Une Europe dépossédée de son identité nationale, culturelle et religieuse est vouée à disparaître.»
Un nouveau départ pour l'Europe, par Nicolas Baverez
Dans une tribune au quotidien de centre-gauche La Repubblica, l’essayiste français Nicolas Baverez appelle l’Europe à se défendre face à la menace terroriste :
«L'Europe, tout à son rêve de sortie de l'histoire, ne se veut pas et ne se reconnaît pas d'ennemi. Mais elle se trouve confrontée avec l'Etat islamique à un ennemi qui lui a déclaré une guerre totale visant la destruction de ses valeurs et de sa civilisation. … Les attentats de Paris et Bruxelles prouvent que la menace ignore les frontières. Cette nouvelle donne appelle un complet renversement stratégique. … Ceux qui veulent détruire l'Europe pour les valeurs qu'elle incarne soulignent par défaut son identité et sa communauté de destin. Il nous faut retrouver le courage de défendre nos démocraties en produisant de la sécurité pour leurs citoyens et non pas seulement des normes. Renouons avec l'héroïsme de la raison pour combattre l'islamisme radical, sans haine mais sans répit, jusqu'à son éradication.»
L’Europe a toujours été un continent de réfugiés, par Miljenko Jergović
Tous les Européens sont les descendants de réfugiés. C’est ce que tente de rappeler, en substance, l’écrivain croate Miljenko Jergović dans le quotidien libéral Jutarnji List :
«Depuis le VIIe siècle, les populations européennes se composent de peuples venus de l’Est, à la seule exception des Celtes, des Illyres et des Basques. A l’époque des 'invasions barbares', c’est la civilisation européenne qui avait attiré les peuples orientaux, et la faim qui les avait jetés sur les routes. Au cours des dernières décennies, l’idée de liberté et tous les principes qui lui sont associés ont rendu l’Europe attractive. C’est la raison pour laquelle des personnes quittent aujourd’hui la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan pour y commencer une nouvelle vie et devenir eux-mêmes des Européens. Leur objectif n’est pas de nous assimiler à eux, mais pour eux de s’assimiler à nous. … En tant qu’Européens, nous devrions être conscients d’une chose : on ne peut séparer les migrants en deux groupes, comme l’a fait l’Allemagne, de façon incompréhensible : à savoir ceux qui d’un côté fuient la guerre, et de l’autre ceux qui émigrent pour mener une vie meilleure. Car tous ces migrants suivent le même objectif stratégique : s’installer quelque part et tout recommencer de zéro. … Un objectif qui n’a pas changé depuis le VIIe siècle.»
Une Europe en manque de leadership et de stratégie, par Martin Ehl
Tandis que les grands partis traditionnels des pays européens traversent une profonde crise et que les formations populistes multiplient les succès électoraux, le continent manque de leadership et de stratégie, constate Martin Ehl, chef du service international du journal économique libéral Hospodářské noviny :
«Aux législatives, il se pourrait que les populistes de Frauke Petry [chef de file de l’AfD] donnent le ton, et ce bien que la majorité des électeurs soutienne la politique d’accueil d’Angela Merkel, comme l’ont montré les régionales dans trois Länder. Aux Pays-Bas, le populiste de droite Geert Wilders occupe le devant de la scène ; en Slovaquie, on assiste à la formation d’un gouvernement à vous donner la nausée. … A Bruxelles et dans d’autres métropoles européennes, les politiques se bornent à réagir aux évènements, sans rien entreprendre pour guider le développement dans la direction qu’ils préconisent. … Malgré la croissance, ils tombent dans un pessimisme que populistes et extrémistes essaient d’exploiter. Si les choses ne changent pas, ce seront des personnes d'un tout autre acabit qui donneront le la : le président turc Tayyip Erdoğan par exemple, ou son homologue russe Vladimir Poutine.»
L'Europe en pleine dérive fasciste, par Pitsirikos
L’UE n’a pas de plan pour gérer la crise des réfugiés et elle devient de plus en plus fasciste, écrit le blogueur Pitsirikos :
«Les pays européens bafouent la convention de Genève qu'ils ont tous signée et les citoyens européens, à quelques exceptions près, sont en profonde léthargie. Fascisme et racisme ont le vent en poupe en Europe, et ceci n’est pas lié aux gouvernements d’extrême droite, mais à des gouvernements de centre-droit et sociaux-démocrates. Certains gouvernements européens répandent des opinions fascistes, afin que les fascistes ne puissent pas arriver au pouvoir. Mais lorsque l’on décide soi-même de devenir fasciste, alors l’avènement des fascistes est assuré. Il n’est pas très difficile de le comprendre, bien que ceci semble compliqué aux yeux d’un grand nombre de dirigeants européens. Mais ceux qui aiment réellement l’Europe doivent dénoncer la dérive fasciste sur le continent. Avant qu’il ne soit trop tard.»
Tomas Čyvas appelle de ses vœux un nouveau rideau de fer
L’Europe ne doit reculer devant aucun moyen pour se protéger des réfugiés, écrit le journaliste Tomas Čyvas sur le portail Lrytas :
«Les politiques occidentaux tels qu'Angela Merkel ont un comportement irresponsable et n’ont pas la moindre idée des moyens de venir à bout de bandes de 'réfugiés' on ne peut plus douteux puisqu'ils se sont tout simplement donnés pour mission la destruction de l’Europe. … Aucun politique n’aurait la trempe et l’aplomb de réclamer un nouveau rideau de fer (nous en avons vraiment besoin). L’opinion est dominée par de doux conteurs qui distillent une propagande de gauche et réussissent à séduire la majorité en les prenant par les sentiments et en leur montrant des photos d’enfants morts. … Oui, l’Occident et notamment la Lituanie ont besoin d’un certain nombre de choses : d’un rideau de fer et du retour aux valeurs occidentales, telles que l’égalité devant la loi. Même si ceci impliquerait d'arracher le voile ou autres oripeaux religieux. … Malheureusement, cette volonté fait défaut.»
L'axe franco-allemand pour sauver l'UE, par BHL
L’UE ne pourra survivre qu'en se rangeant derrière Berlin et Paris, affirme le philosophe français Bernard-Henri Lévy dans une tribune accordée au quotidien libéral-conservateur Corriere della Sera :
«Ou bien nous ne faisons rien ; nous nous laissons gagner par ce sauve-qui-peut généralisé et obscène ; et la rage nationale l'emportera, pour de bon, sur un rêve européen réduit aux seuls acquêts d'un grand marché unique. ... Ou bien les 28 nations européennes se reprennent ; elles se décident à suivre 1. la ligne tracée par Angela Merkel sur la question de l'hospitalité, ... et 2. la ligne tracée, elle, par François Hollande sur la question de la Syrie et de la double barbarie qui, en vidant le pays de ses habitants et en les jetant, par millions, sur les routes de l'exil, est la vraie source de la présente tragédie ; les deux dirigeants, au passage, n'omettent pas d'entendre et d'apprendre l'un de l'autre leurs parts respectives de vérité dont seule la conjugaison peut rendre âme et corps à cet axe franco-allemand sans lequel tout est fichu ; et alors, et alors seulement, l'Europe, le dos au mur, obtiendra un nouveau sursis et, avec un peu de courage, aura une chance de survivre et même, qui sait, de se relancer.»
Le sombre avenir de l'UE, par Wolfgang Münchau
Les évènements qui pourraient se produire dans les prochaines semaines et les prochains mois représenteraient un grand péril pour l’UE. C’est ce qu’écrit le journaliste économique Wolfgang Münchau dans une tribune au quotidien libéral-conservateur Corriere della Sera :
«Le sommet UE-Turquie du 7 mars ne produira aucun résultat : Angela Merkel ne changera pas de position sur la crise des réfugiés et continuera de courtiser la collaboration de la Turquie ; l’initiative unilatérale de l’Autriche, de la Hongrie et d’autres Etats des Balkans créera de nouveaux obstacles et de nouveaux goulets d’étranglement sur la route empruntée par les réfugiés dans la région. Ceux-ci se retrouveront piégés en Grèce. Nombres d’entre eux chercheront une issue par la mer pour rejoindre l’Italie. L’afflux de réfugiés se tarira en Europe septentrionale, alors que la situation deviendra explosive en Europe méridionale. Par ailleurs, si la Grande-Bretagne décidait le 23 juin de quitter l’UE, la Suède et le Danemark pourraient aussi êtres tentés d’envisager l’hypothèse, et d'annoncer la tenue d’un référendum dans leur pays respectif. A l'heure actuelle, l’idée d’un Brexit fait peur à la majorité des Européens, et je ne fais pas exception. Mais si la perspective devait se réaliser, la décision apparaîtrait comme un véritable choix démocratique, même à ceux qui s’y opposent.»
L’Europe joue son âme dans la crise des réfugiés
La gestion de la crise des réfugiés sera bien plus déterminante pour l’UE que le risque de Brexit, souligne le quotidien libéral Le Soir :
«Ce n’est même pas une éventuelle sortie du Royaume-Uni qui définira l’Europe. Plus que n’importe quel accord ou traité, ce sera sa capacité - celle de ses peuples comme de ses dirigeants - à se hisser à la hauteur du défi que représente la crise des réfugiés et des migrants à la recherche d’une vie meilleure. Car le Brexit nous a fait brièvement oublier l’extraordinaire déchéance morale, décisionnelle, organisationnelle et politique dans laquelle se vautre notre opulent continent de 500 millions d’habitants face à un million de réfugiés ou de migrants cherchant une vie décente. C’est là, entre la mer Egée et les routes des Balkans, et non aux rives de la Manche, que l’Europe est en train de jouer son âme et sa grandeur.»
L'Europe unie, seul rempart à la guerre
Le nouveau mémorial de Verdun a été inauguré dimanche, 100 ans après le début de la funeste bataille. Seule l’Europe unie peut nous prémunir de telles atrocités, souligne le quotidien de centre-gauche Libération :
«On croit la paix établie, on vit dans l’oubli de la guerre. Pourtant, sous nos yeux, à quelques centaines de kilomètres de Paris, le nationalisme soudain ressuscité par la chute du communisme a ravagé les Balkans il y a vingt ans, et il a déclenché une guerre en Ukraine qui est toujours en cours. La guerre impossible ? Dangereuse naïveté à l’échelle de l’histoire ! C’est donc une irresponsabilité insigne que de laisser dépérir l’idéal européen sous prétexte de difficultés transitoires à l’échelle du temps long, comme les migrations ou la crise de l’euro. Le souverainisme est criminel. Il faut le rappeler inlassablement : l’union du continent est notre seule parade contre la violence constitutive des sociétés et des nations.»
Les Etats-Unis doivent se tourner vers l'Europe, par Joseph S. Nye
L'UE est menacée par plusieurs crises et les Etats-Unis ont tout intérêt à avoir un partenaire européen fort. Dans ce contexte, la politique étrangère américaine pourrait mettre à nouveau l'accent sur le Vieux Continent, écrit le politologue Joseph S. Nye dans le quotidien de centre-gauche El Pais :
«Voici presque un demi-siècle, après une période où l’Amérique s’était surtout préoccupée du Viêt-Nam et de la Chine, le secrétaire d’Etat Henry Kissinger, avait déclaré que 1973 serait l’'année de l’Europe'. Plus récemment, après que le président Barack Obama définit le 'pivot' stratégique des Etats-Unis, à savoir un rééquilibrage vers l’Asie, de nombreux Européens s’inquiétèrent d’un désintérêt américain. Aujourd’hui, avec la crise des réfugiés, l’occupation par la Russie de la partie orientale de l’Ukraine et son annexion illégale de la Crimée, avec la menace, de surcroît, d’un retrait britannique de l’Union européenne, 2016 pourrait être, par nécessité, une autre 'année de l’Europe' pour la diplomatie américaine.»
La courte vue des politiques européens, par Sergio Fabbrini
L’UE devra prendre les décisions les plus importantes depuis sa création. Or la vision politique à long terme fait totalement défaut à ses politiques actuels, déplore le politologue Sergio Fabbrini dans le journal économique libéral Il Sole 24 Ore :
«Au lieu de bricoler un mauvais accord, de véritables leaders européens auraient consacré plus de temps à effectuer une différenciation constitutionnelle entre un marché unique accessible à tous et doté d’une réglementation basique, et une véritable union monétaire, portée par une union politique. … Au lieu de se disputer sur le nombre de réfugiés syriens à accueillir dans leurs pays respectifs, en se souciant seulement des prochaines échéances électorales, de véritables leaders européens auraient élaboré depuis longtemps une politique migratoire commune, dotée d’un budget commun et gérée par une instance politique centrale. Il reste à espérer que face à la gravité des décisions à prendre, les leaders sauront se montrer à la hauteur.»
Les flux financiers occultes menacent l'Europe, par Roberto Saviano
Il serait naïf de croire que l’instauration de nouvelles frontières sera synonyme de sécurité accrue, prévient l’auteur Roberto Saviano dans une tribune au quotidien libéral Le Soir, reprise dans plusieurs journaux européens :
«Il a été démontré que les structures militaires et terroristes n’ont nul besoin d’utiliser les filières clandestines : elles réussissent à s’organiser et à être opérationnelles dans chaque pays, et ce indépendamment des flux migratoires actuels. … Qu’est-ce qui a rendu possible la création d’un véritable pouvoir terroriste en Belgique ? Les financements en provenance de Dubaï, de l’Arabie saoudite ou, d’une façon plus générale, du Moyen-Orient sont arrivés par le biais des circuits financiers réguliers. La France a le Luxembourg. L’Allemagne, le Liechtenstein. L’Espagne, Andorre. L’Italie, la République de Saint-Marin. Le monde entier, la Suisse. Nous parlons ici de paradis fiscaux qui attirent, dans le meilleur des cas, des fraudeurs fiscaux, mais aussi des organisations criminelles et financières en plein cœur de l’Europe. … l’Europe paie le prix fort du fait de son incapacité à gérer les flux financiers et le recyclage. C’est la guerre des pouvoirs financiers qui rend l’Europe de moins en moins sûre.»
Russes et Européens confrontés aux mêmes défis, par Jacques Attali
Face aux grands défis économiques, sociaux et écologiques de notre époque, les Européens et les Russes feraient mieux de travailler en bonne intelligence plutôt que de se livrer à des attaques verbales, préconise l’économiste Jacques Attali sur son blog hébergé par l’hebdomadaire L'Express :
«Il est urgent d’arrêter cet engrenage tragique. Car le pire, depuis cette conférence de Munich, est devenu possible. Contre le désir des peuples. Alors qu’on pourrait tant faire ensemble, si on savait raison garder. Les Occidentaux et les Russes ont à mener la même bataille contre le terrorisme et la crise économique ; les Européens ont à construire ensemble un continent rassemblé, dans lequel chacun comprendrait qu’il a intérêt au succès de l’autre. Pour y parvenir, il est nécessaire et urgent que tous les Européens, ceux de l’Ouest et ceux de l’Est, se rencontrent dans une grande conférence d’avenir, et dans un autre cadre que Munich. Pour élaborer, à froid et dans le calme, des projets et des stratégies communes, contre leurs ennemis communs. Pourquoi pas à Paris? Pourquoi pas dans un mois ? Qui en prendra l’initiative ? Laissera-t-on passer cette occasion de retrouver raison ?»
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