UE et Turquie - un partenariat de crise
Le président Tayyip Erdoğan propose un référendum pour soumettre au vote des Turcs une adhésion futur à l'UE. Il a reproché à cette dernière de manquer à ses obligations dans le cadre de l'accord sur les réfugiés. Le week-end dernier, l'ex-Président français Nicolas Sarkozy avait écrit sur Twitter qu'une adhésion de la Turquie à l'UE était inenvisageable. Qui est responsable de ces mauvaises relations ?
Ni Erdoğan ni l'AKP ne veulent adhérer à l'UE
Erdoğan et le gouvernement AKP sont les premiers responsables du climat hostile à une adhésion de la Turquie à l’UE, selon le quotidien libéral Hürriyet Daily News :
«La bonne réaction à la campagne anti Turquie aurait été de mettre les bouchées doubles : accélérer le processus de réforme, démocratiser et moderniser le pays au lieu de perdre son temps à proférer de vaines accusations à l’adresse de l’Europe. Il aurait été bien plus difficile de refuser l’adhésion à une Turquie qui remplisse réellement - et pas seulement sur le papier - les critères de Copenhague, avec une économie croissante et prospère. Or sont invoquées des considérations culturelles ou religieuses, révélatrices d'un racisme à peine voilé. … Alors pourquoi Ankara n’a pas réagi ainsi ? La réponse n’a jamais été aussi claire. Elle ne l’a pas fait car ni Erdoğan ni l'AKP ne veulent de cette adhésion. Quand ils affirment que la Turquie reste liée à ses obligations dans ce sens, ils tiennent des propos foncièrement malhonnêtes.»
L'UE est bien trop critique
L’acharnement à vouloir critiquer le président turc est une injustice, pour le quotidien conservateur Karar :
«Bien que nous considérions que la critique est partiellement justifiée - qu’elle émane des institutions européennes ou des médias - un certain nombre d’affirmations, qui ont désormais outrepassé les limites de la critique et ciblent le président Erdoğan, n’ont plus rien à voir avec la réalité. … Nous savons qu’ils ne veulent pas de nous dans l’UE. … Peut-être veulent-ils rayer la Turquie de la ligue de la démocratie, préférant la reléguer dans le bloc des rois et des despotes, et aligner sur ce statut leurs relations avec nous. Le problème disparaîtrait aussitôt, car ils n’ont aucun problème à traiter avec les régimes antidémocratiques. Mais l’expérience démocratique de nombreuses années et le chemin parcouru sur ce terrain sont des acquis extrêmement précieux. A elles seules, les réformes réalisées en 14 ans par le gouvernement AKP sont la meilleure preuve de notre volonté de ne pas rester en dehors de la ligue démocratique.»
Merkel doit énoncer deux vérités
Merkel s'est rendue dimanche en Turquie. Elle y a rencontré des journalistes, des avocats et des militants des droits de l'homme avant de s'entretenir avec Erdoğan. Il est malvenu de critiquer la politique turque de la chancelière, écrit Süddeutsche Zeitung :
«Ceux qui demandent à l'Europe d'annuler l'accord en raison de l'attitude d'Erdoğan oublient que le deal concerne principalement la question des réfugiés. C'est pour eux que l'on verse des milliards à la Turquie, pour eux que l'on tente d'instaurer des accès légaux vers l'UE - même si leur nombre reste ridiculement bas - et d'empêcher les traversées périlleuses de la Méditerranée. D'un point de vue rationnel, il est peu probable qu'Erdoğan abroge l'accord et cède à nouveau la question des réfugiés aux groupes de passeurs, plus néfastes que bénéfiques à son Etat. ... Si Merkel discute avec Erdoğan, elle ne doit ni reculer par crainte pour l'accord, ni s'efforcer de prouver sa résilience au chantage. Il lui suffit de dire les choses telles qu'elles sont : l'accord sur les réfugiés est positif, l'attitude d'Erdoğan avec ses opposants ne l'est pas.»
Les deux camps ont besoin de l'accord
Pour The Guardian, l'annulation de l'accord sur les réfugiés serait un désastre :
«L'idée qui sous-tendait l'accord UE-Turquie sur les réfugiés consistait à atténuer la gravité d'une situation humanitaire désespérée, mais aussi à neutraliser les réactions populistes et xénophobes dans toute l'Europe. Le facteur 'temps' a joué un rôle central. ... Le temps manquait politiquement, en raison de scrutins déterminants dans plusieurs pays de l'UE - y compris le référendum britannique. ... Il paraît peu probable que la Turquie remplisse d'ici fin juin toutes les conditions nécessaires à l'abolition du régime des visas. Les Européens espèrent donc qu'Erdoğan, qui profite de l'accord sur le plan politique, renoncera à annuler l'accord. En dépit de tous les différends, les deux camps ont besoin d'un maintien de ce pacte. Il serait insupportable d'assister au renouvellement de la tragédie humaine survenue l'année dernière.»