La Grande-Bretagne rend hommage à Jo Cox
A l'occasion d'une séance extraordinaire lundi, le Parlement britannique a rendu hommage à la députée Jo Cox, assassinée la semaine dernière. Le Premier ministre David Cameron a déploré la perte d'une "voix de l'humanité". Dans quelle mesure sa disparition bouscule-t-elle l'actualité politique britannique ?
Ne pas sous-estimer la menace d'extrême droite
Le meurtre de Jo Cox montre une fois de plus que l'on minimise le danger des criminels d'extrême droite, prévient The New Statesman :
«Un rapport publié en 2016 par le think-tank Royal United Services Institute, spécialisé dans les questions de sécurité, souligne que si 38 pour cent des attentats perpétrés par des 'loups solitaires' en Europe étaient liés à l'islamisme radical, 33 pour cent étaient associés à l'extrême droite. ... On a permis au radicalisme d'extrême droite de se développer parallèlement à la rhétorique toxique relative à l'immigration. Quelle est la raison de cet aveuglement, si ce n'est les préjugés ? Si l'extrémisme reste constamment perçu comme le problème d'une seule communauté, et non comme un problème sociétal, le fléau continuera de proliférer, et il risque de détruire notre société de l'intérieur.»
Les émotions ont plus de poids que les arguments
La mort tragique de la députée Labour apporte à la campagne contre le Brexit davantage de voix que n’aurait pu le faire n’importe quel argument factuel, observe le politologue Ramūnas Vilpišauskas dans un commentaire publié par l’agence de presse BNS :
«La mort et les hommages rendus à Jo Cox, qui militait activement pour le maintien dans l’UE, ainsi que l’attitude du Premier ministre et d’autres protagonistes pro-UE, permettront de rallier les électeurs indécis, tout particulièrement parmi les jeunes. Pour paradoxal que cela pourra paraître : ce ne sont pas les arguments objectifs avancés par les pro-Bremain qui causeront du tort aux pro-Brexit, qui ont joué la carte de la propagande, mais les véritables émotions des électeurs.»
Morte pour l'Europe unie
Jo Cox, la députée Labour assassinée la semaine passée, a été plus qu'une victime de la violence fasciste, écrit le quotidien Politis :
«Cox a eu le courage de défendre publiquement, avec force arguments, passion et humour, les idées mêmes qui rebutent les fascistes. ... Elle vient d'être brutalement assassinée dans un lieu public pour ses idées politiques. Le meurtrier, un néonazi, voulait la faire taire à jamais, car il ne supportait ni son image, ni ses propos, ni ses idées. Il voulait anéantir son existence politique. Cox est devenue la première victime de l'Europe unie. Une femme courageuse, qui a osé défendre des idées peu populaires, car elle croyait en ces idées et les a appliquées de façon conséquente dans sa propre vie.»
Les pro-UE instrumentalisent le meurtre de Cox
Certains partisans de l’UE exploitent à leurs fins l’assassinat de la députée Jo Cox, déplore The Daily Mail :
«Quiconque doué de raison concèdera que l’acte d’une personne mentalement dérangée ne devrait pas avoir d’influence sur la décision de jeudi. Pourtant, certains partisans du Bremain ne se sont pas privé d’essayer de capitaliser sur l’incident en suggérant que les pro-Brexit en étaient responsables. Ne pourrait-on pas tout aussi bien faire valoir l’argument - tout aussi fallacieux - selon lequel la gauche libérale, après avoir attisé pendant des décennies la frustration de l’opinion publique en occultant tout débat sur l’immigration, a le sang de Jo Cox sur les mains ? Un silence qui a entraîné l’émergence de formations extrémistes, aussi hideuses à droite qu’à gauche, partout en Europe. »
Un acte de terrorisme
Les terroristes politiques issus de la société majoritaire sont généralement considérés comme des individus "mentalement dérangés", critique The Malta Independent :
«L’Europe est actuellement en proie à la menace croissante d'attentats perpétrés par des terroristes étrangers infiltrés. Dans ces conditions, on risque facilement de perdre de vue la réalité. L’homme qui a assassiné Jo Cox était lui aussi un terroriste. Bien trop souvent, lorsqu’une personne blanche commet un crime, elle est immédiatement cataloguée comme 'folle' et 'malade mentale'. C'est peut-être vraiment le cas. Mais lorsqu'un individu fait des déclarations sur la 'supériorité de la race blanche' et abat une députée libérale qui prônait l’immigration, c’est aussi du terrorisme.»
Un meurtre qui fera peut-être tout basculer
L’assassinat de la députée Labour pourrait bien compromettre la victoire des partisans du Brexit, écrit Právo :
«Jusqu’à jeudi dernier, les partisans de la sortie de l’Union avaient le dessus en Grande-Bretagne. Les sondages les créditaient d’une victoire claire au référendum de la semaine prochaine. Or la mort tragique de la députée pro-européenne Jo Cox pourrait tout changer. Selon des témoins oculaires, son attaquant aurait crié 'Britain first'. ... Faut-il y voir l’expression de l’abomination que l’UE inspirait au meurtrier ? Le cas échéant, les partisans du Brexit ont un gros problème. Ils se verront accuser d'avoir engendré une radicalisation des électeurs, qui a finalement abouti à un meurtre. Peut-être ne trouveront-ils aucune possibilité de se défendre de cette accusation. Les sondages qui leur promettaient la victoire pourraient ainsi leur être fatidiques.»
Une trêve dans la campagne
Le journal Público espère que ce crime atténuera quelque peu les clivages dans la société britannique :
«La société britannique est divisée. Même au sein des grands partis, la fracture est manifeste, surtout dans les rangs des conservateurs, où la moitié du gouvernement agit contre son propre leader politique. … Cette tragédie survient à un moment où les sondages indiquent tous une tendance en faveur du Brexit. Les deux camps ont réagi en mettant entre parenthèses, du moins momentanément, leurs oppositions. En politique, les évènements extrêmes comme celui-ci ne restent généralement pas sans répercussions. Assisterons-nous enfin à un tournant dans cette campagne ?»
Ensemble contre la haine
Après le meurtre de Jo Cox, la Grande-Bretagne doit s’engager davantage en faveur de la cohésion européenne, préconise le quotidien libéral Kurier :
«Si Churchill croyait encore à l’Empire britannique et concevait le Commonwealth comme une puissance autonome, cette vision n’était déjà plus qu’une illusion. Ceci, le Premier ministre Harold Macmillan l’avait bien compris, lui qui était favorable à une adhésion à la CEE dès 1961. Après la longue résistance opposée par le général De Gaulle, la Grande-Bretagne avait fini par y adhérer, mais pas avant 1973. Le nombrilisme et l’avarice de Margaret Thatcher (le célèbre 'I want my money back') ont façonné la conscience européenne des Britanniques, au même titre que l’intensification des liens entre l’île et le continent. Le tunnel sous la Manche en est le symbole. Les Britanniques ont profité de l’UE comme tous les Européens, et s’ils la quittent, ils se retrouveront isolés et ils en ressentiront les répercussions économiques davantage que les autres membres de l’UE. 'Affrontons ensemble la haine qui a tué la députée' - peut-être que cet appel, lancé par l’époux de Jo Cox, nous aidera à avancer.»
La politique doit rester proche du peuple
Cet assassinat ne doit pas contribuer à couper les représentants du peuple de leurs électeurs, fait valoir The Daily Telegraph :
«La disposition des représentants du peuple à rencontrer leurs électeurs est un facteur important du bon fonctionnement de notre démocratie. Si l’on retranchait la démocratie derrière un épais verre de sécurité, elle dépérirait et s’appauvrirait. Ce n’est pas le cas : les politiques tiennent des permanences dans des lieux publics, dans les bibliothèques et les centres sociaux. [Dans le cadre des festivités de son 90e anniversaire] la reine a pu descendre [la prestigieuse avenue] The Mall dans un véhicule ouvert la semaine passée, nous rappelant ce qui caractérisait une société libre et pacifique : les personnes de la vie publique n’ont aucune crainte à avoir de leur peuple. Espérons qu’il en sera de même après cette tragédie.»