La Turquie devient-elle une dictature ?
Après l'arrestation et la mise à pied de plusieurs milliers de putschistes présumés, notamment dans l'armée et l'éducation, le gouvernement turc sévit désormais contre les médias et les journalistes. De l'avis des commentateurs, le mouvement Gülen constitue l'ennemi parfait pour Erdoğan et le moyen idéal de conforter son pouvoir.
Erdoğan s'est trouvé un ennemi parfait
Erdoğan sait exactement pourquoi il a choisi de s'attaquer au mouvement Gülen, estime La Tribune de Genève :
«Les laïcs ont peu d’empathie à l’égard de ce mouvement islamiste qui réintroduit des valeurs religieuses au sein des institutions de la République … et qui enseigne son idéologie dès l’enfance grâce à une multitude d’écoles privées. Les Kurdes, eux, n’ont pas oublié que des juges liés à Hizmet ont jadis dévoilé les pourparlers secrets entamés par Erdoğan avec le PKK. C’est ce qui brisa l’alliance entre le maître d’Ankara et le leader soufi. Les partisans du président turc, eux, sont évidemment fidèles. Mais même le Turc lambda, sans affiliation, se méfie de ce réseau jugé manipulateur. Bref, Erdoğan s’en prend à la cible parfaite, formidable marchepied vers un pouvoir sans partage.»
Pourquoi l'Occident devrait-il soutenir Erdoğan ?
Un reproche revient régulièrement dans les médias turcs : l’Occident n’aurait pas suffisamment soutenu la Turquie au cours de la tentative de coup d’Etat. Mais pourquoi aurait-il dû le faire ? s’interroge le journal en ligne libéral T24 :
«Dans le monde démocratique, le président turc Tayyip Erdoğan n’est pas particulièrement connu pour être un leader qui accorde beaucoup de respect à la démocratie. … On le voit à ses prises de position et à ses pratiques vis-à-vis de la démocratie, à la moindre occasion. Si le danger de putsch s’est rapidement dissipé, des informations ont immédiatement filtré sur le nombre de personnes mises à pied. … Il existe à ce sujet des vidéos publiées par le gouvernement lui-même : des détenus avec le visage et les membres tuméfiés. Le ministre de la Justice a déclaré qu’on ne pouvait y voir des tortures. … Que devrait donc faire Angela Merkel ? Que dirait l’opinion publique allemande si la chancelière se rendait en Turquie pour lui souhaiter 'bon rétablissement' ?»
Préserver la liberté d'opinion
Dans le cadre de la lutte contre les putschistes présumés, le gouvernement turc a ordonné mercredi soir la fermeture de 45 journaux et de 16 chaînes de télévision. Un peu plus tôt, la justice venait d'émettre un mandat d'arrêt à l'encontre de 47 anciens collaborateurs du journal Zaman, jadis pro-Gülen. Une entreprise délicate, souligne le quotidien progouvernemental Yeni Şafak :
«Les affirmations de la presse occidentale, à savoir que le putsch servirait de prétexte à une répression systématique de l'opposition, sont naturellement dépourvues de tout fondement. Ceci dit, les procureurs en charge des enquêtes devraient tenir compte d'une période générale, d'un climat global, et non d'un simple 'dossier'. Ils assument une lourde responsabilité vis-à-vis de notre conscience, de notre droit, de notre avenir. Si les procédures à l'encontre des putschistes doivent être intransigeantes, il faut veiller cependant à préserver la liberté d'opinion et le droit à l'opposition.»
La fin prochaine du mouvement Gülen
La réaction d'Erdoğan à la tentative de coup d'Etat a considérablement affaibli le mouvement Gülen, constate le quotidien Neue Zürcher Zeitung, qui se demande si les partisans du prédicateur musulman s'en remettront un jour :
«Le putsch raté du 15 juillet a-t-il été le dernier soulèvement des gülenistes ? Il est difficile d'entendre une autre histoire en Turquie actuellement. Certains affirment en tout cas que des kémalistes purs et durs auraient pu pactiser avec des officiers fidèles à Gülen dans le but de renverser Erdoğan. Le journaliste Can Dündar a vu dans cette tentative de destitution un 'dernier soubresaut' - c'est en août en effet que le Conseil militaire suprême (YAS) devait décider des ultimes remaniements de personnel, processus qui aurait certainement abouti à l'éviction des derniers gülenistes. Or les 'purges' massives consécutives au putsch manqué s'avèrent infiniment plus néfastes pour le mouvement. On peut se demander s'il s'en remettra jamais.»
L'UE doit inciter Ankara à faire preuve de transparence
La réaction disproportionnée d'Erdoğan à la tentative de coup d'Etat porte atteinte à la liberté des Turcs, estime l'ancien juge espagnol Baltasar Garzón dans le quotidien El País :
«Il y a une pénurie d’informations et il faut impérativement faire la lumière sur ce qui s’est produit dans un pays dont le gouvernement proscrit la transparence. ... L’Europe doit obliger la Turquie à exposer la réalité telle qu'elle est. Il faut favoriser la création d'une commission d’enquête internationale afin d'aider les citoyens turcs à retrouver leur liberté et leurs droits fondamentaux, qui s’avèrent fortement menacés. Seule une vigilance étroite et efficace de la part des institutions européennes et de la société civile contribueront à remédier aux effets nocifs du 'contre-coup' en cours.»
La Turquie n'est pas encore une dictature
La couverture de l'actualité turque par les médias occidentaux est déséquilibrée et hostile à Erdoğan, critique le chroniqueur Barçın Yinanç dans le quotidien libéral Hürriyet Daily News :
«Depuis le 15 juillet, les médias occidentaux semblent occulter le fait que la nation turque, en déjouant la tentative de coup d'Etat, a réussi un test démocratique. ... Je ne cache pas être dans le camp de ceux qui ont affirmé, dès le lendemain du putsch, qu'Erdoğan profiterait de l'occasion pour conforter sa position autoritaire. ... Or pour certains journalistes et commentateurs européens, il ne s'agit plus d'une hypothèse, mais d'un état de fait. Un collègue étranger m'a déjà écrit 'Bon courage pour faire face à la dictature'. L'orientation prise par la Turquie est peut-être incertaine, mais personne n'a encore eu le dernier mot et il ne s'agit pas encore d'une dictature.»
Personne ne se bat pour la démocratie
La Turquie est actuellement le théâtre d'une violente lutte de pouvoir, écrit le portail libéral T24 :
«Ce à quoi nous assistons actuellement n'a rien d'un combat pour la démocratie. Il s'agit d'un conflit opposant l'islam politique (l'AKP) et l'islam des confréries (le mouvement Gülen). Quel que soit le vainqueur, le résultat ne sera pas la démocratie. Le processus en cours n'est pas une démocratisation, mais une opération consistant pour le camp dominant (Erdoğan) à se débarrasser du camp affaibli (Gülen), sous prétexte de coup d'Etat. ... La Turquie est dirigée depuis sa création par la majorité des Turcs sunnites. ... Les autres ont été privés des droits fondamentaux et des libertés. Une situation qui s'est dégradée un peu plus sous le gouvernement AKP. ... Le mouvement Gülen était un acteur minoritaire dans cette opération viscérale de 'sunnitisation'. Il en a été à la fois l'un de ses moteurs et l'un de ses régulateurs. Le conflit a éclaté lorsque les gülenistes ont commencé à prendre trop d'importance et tenté d'arracher le pouvoir à l'AKP.»
Les Turcs privilégient la vengeance à la justice
Agos, l’hebdomadaire de la minorité arménienne, s'inquiète de la volonté de vengeance exprimée par la société turque après le coup d'Etat manqué :
«On ignore si les putschistes arrêtés ou placés en détention bénéficieront ou non de procédures judiciaires équitables et régulières. Le climat qui domine actuellement – ou plutôt que l’on attise – tend davantage à réclamer la pendaison des séditieux, sans aucune forme de procès. On ne sait pas si le gouvernement rétablira ou non la peine de mort, mais même s’il le faisait, celle-ci ne pourrait être appliquée de façon rétroactive. Il semble devenu normal aujourd’hui que l’on publie des photos de sévices infligés à des détenus – même la torture en soi paraît normale. En vertu du consensus actuel, les personnes soupçonnées d’appartenir au mouvement Gülen méritent de subir une violence illimitée et tout type de sanctions, sans accusation préalable.»
L'Occident se limite aux avertissements
La Convention européenne des droits de l’homme a été partiellement suspendue en Turquie suite à l’instauration de l’état d’urgence. Qu’en disent l’Europe et les Etats-Unis ? Ils apaisent leur conscience en délivrant des avertissements, constate La Repubblica :
«Ce qui compte en politique, ce sont les intérêts – un terme souvent synonyme de responsabilité, tandis que les principes restent du domaine de la rhétorique. La Turquie ne fait pas exception. Elle freine les migrants qui tentent de rallier les îles grecques et personne à l’heure actuelle ne remet en question l’accord passé en mars entre l’UE et Ankara. C’est un pilier essentiel de l’OTAN : l’armée turque est la plus importante en effectifs après celle des Etats-Unis. Sa position géographique en fait une base indispensable à la lutte contre Daech. Les principes démocratiques peuvent dès lors être l'apanage des Premiers ministres et ministres des Affaires étrangères. On sauve ainsi les apparences, et en matière de relations internationales, cet aspect l’emporte sur la conscience.»
Erdoğan à la croisée des chemins
Tayyip Erdoğan a décrété l’état d’urgence. Une mesure compréhensible, selon The Financial Times :
«[La décision] peut être justifiée étant donné la violence des insurgés, qui ont mené des attaques aériennes sur la capitale et tiré sur les civils. Certains de ces rebelles pourraient encore être en liberté. La question est désormais de savoir si Erdoğan saisira l’occasion pour créer un nouveau consensus national et reconstruire des institutions turques ébranlées, ou bien s’il en profitera pour intensifier la répression et réaliser son souhait d’établir une véritable autocratie. … La semaine passée, on a vu l’importance que revêt une presse libre, car celle-ci a joué un rôle déterminant pour contrer le coup d’Etat. La crise donne à Erdoğan l’occasion de revenir au style modéré qui avait joué en sa faveur lors de ses premières années de mandat, quand l’économie et la société turques se développaient dans un climat de tolérance.»
Des méthodes dignes de Poutine
L’action du président turc suscite une impression de déjà-vu, écrit L’Opinion :
«[L]es grands alliés de la Turquie, à commencer par les Etats-Unis, semblent aujourd’hui paralysés. Ils le sont d’autant plus que le président Erdogan agit avec rapidité et sans scrupules. A la manière d’un Vladimir Poutine, il exploite les circonstances - le rétablissement de l’ordre après une tentative de putsch, use sans vergogne de l’arme du chantage, joue sur l’effet de surprise et impose son tempo à une diplomatie occidentale empêtrée. Comme le président russe, il profite de la taille de son pays et de son statut incontournable pour édicter ses propres règles. Comme la Russie, la Turquie devient le voisin que l’Europe aurait aimé ne pas avoir.»
Une attaque frontale contre l'Etat laïc
L'Europe ne doit plus se faire aucune illusion quant au président turc Tayyip Erdoğan, prévient Pravda :
«Les observateurs qui reprochent à Erdoğan de mener une véritable 'chasse aux sorcières' n'ont toujours pas compris de quoi il retournait. Une 'chasse aux sorcières', c'est la persécution absurde d'ennemis que l'on s'invente soi-même. Or les représailles orchestrées par le président sont une attaque frontale ciblée, et aucunement improvisée, à l'encontre de l'Etat turc moderne et laïc. Une tendance néfaste s'était déjà manifestée avant la tentative de putsch. Les purges et les appels au rétablissement de la peine de mort n'ont fait que l'accentuer. Le coup d'Etat d'Erdoğan est toutefois dangereusement réel et réussi. La communauté internationale ne devrait pas hésiter à placer le président turc et son régime en quarantaine. Plus on attendra, pire ce sera pour la Turquie - et peut-être pour nous au final.»
L'opposition lutte pour sa survie
Les partis d'opposition en Turquie connaissent de grandes difficultés après la tentative de coup d'Etat, constate le quotidien Der Standard, inquiet :
«Le consensus politique inhabituel qui s'est formé contre le putsch se brise maintenant sous l'effet de ce vaste 'coup de balai'. Le principal parti d'opposition, le CHP social-démocrate, de même que le parti minoritaire pro-kurde HDP, rejettent le rétablissement de la peine de mort. Ils veulent que la Turquie reste en Europe. En réalité, l'opposition se bat désormais aussi pour sa propre survie. Des procédures juridiques avaient déjà été engagées contre des grands députés de l'opposition avant même le coup d'Etat. La neutralisation du parti kurde n'est plus qu'une question de temps. Les sociaux-démocrates se rebiffent. Ils ont annoncé une mobilisation dimanche place Taksim à Istanbul, actuellement monopolisée par les partisans d'Erdoğan. La guerre civile est maintenant le pire scénario envisageable.»
Erdoğan veut un peuple ignorant et docile
La répression de l’élite universitaire en Turquie laisse penser qu’Erdoğan cherche à briser la résistance de l’intelligence à dessein de s’entourer d’un peuple ignorant et docile, lit-on dans Douma :
«C’est un comportement comparable à celui des Khmers rouges au Cambodge, qui avaient massacré tous ceux qui portaient des lunettes selon la logique : qui voit mal lit trop, qui lit trop en sait trop et qui en sait trop est dangereux pour le régime. Espérons qu’Erdoğan ne suive pas cette logique, mais qui sait. … Il semblerait que dans sa colère, le président turc reste sourd à toute critique de l’étranger. Ni l’UE ni les relations avec les Etats-Unis ne lui importent. … Apparemment, Erdoğan n’a pas bien écouté en histoire à l’école - ou il n’avait pas de bons enseignants. … Car s’il avait fait plus attention, il saurait que les dictateurs ne font pas de vieux os.»
La liste noire d'Erdoğan ne date pas d'hier
L’extrême rapidité avec laquelle Erdoğan exerce des représailles contre de vastes pans des appareils judiciaire, policier et militaire suite à la tentative de coup d’Etat laisse penser que celles-ci ont été conçues il y a longtemps de cela, écrit le politologue Zoltán Lakner dans le journal Népszabadság :
«Quelques jours seulement après le putsch manqué, on compte déjà plus de 6 000 arrestations en Turquie. Environ 8 000 policiers ont été destitués. De surcroît, près de 3 000 juges et procureurs ont été placés en détention. Le chef d’Etat furibond et ses hommes écartent sans plus d’ambages tous ceux dont la filiation politique ne leur convient pas. Dans tous les cas de figure, le prétexte invoqué est le même : les intéressés pourraient avoir eu des contacts avec les putschistes. … Le système de représailles d’Erdoğan est tellement bien huilé que l’on est gagné par l’impression que la 'liste noire' existait depuis longtemps. On n’attendait que le moment opportun pour la dévoiler.»
La Turquie en phase d'arabisation avancée
La Turquie ressemble de plus en plus aux Etats arabes, analyse l’expert militaire américain Edward Luttwak dans Corriere del Ticino :
«Il est assez facile de prédire ce qui va se produire maintenant. Premièrement, l’échec du coup d’Etat et la vague d'arrestations arbitraires inciteront un nombre croissant de Turcs hautement qualifiés à quitter le pays, plutôt que de rester dans un pays qui devient de plus en plus islamiste et répressif. … Deuxièmement, Erdoğan cherchera à poursuivre la guerre contre les Kurdes. … Comme les Kurdes sont majoritaires dans les provinces orientales du pays, riveraines des territoires autonomes kurdes en Irak et en Syrie, on peut tout à fait s’attendre à une poussée du séparatisme et à un morcellement du territoire turc. Troisièmement, s’il devait y avoir une nouvelle tentative de putsch, celle-ci prendrait la forme d’une atteinte directe à la personne d’Erdoğan, plutôt que celle d’inutiles barrages routiers. Tout ceci atteste le succès d’Erdoğan sur un certain point : son objectif ultime étant d’arabiser la Turquie, force est de constater que le pays ressemble de plus en plus à l’Irak et à la Syrie.»
Erdoğan mène son pays dans l'impasse
Si la polarisation politique et la concentration des pouvoirs renforcent Tayyip Erdoğan, elles nuisent toutefois à la Turquie, écrit l'ex-ministre de l’Education Konstantinos Arvanitopoulos dans le quotidien Ta Nea :
«La Turquie choisit ainsi de se couper de l’Europe, de diviser la société et de créer des conditions chaotiques pour l’après-Erdoğan. Cette instabilité permanente réduira les entrées économiques dans une période très délicate. … La Turquie a pris ses distances par rapport à l’Occident, et a suspendu ses relations stratégiques avec Israël et ses relations privilégiées avec la Russie. Cet affaiblissement géopolitique, combiné à l’affaiblissement permanent des forces armées, sont les raisons principales de cette tentative de coup d’Etat. L'impasse diplomatique a poussé Erdoğan à normaliser ses relations avec la Russie, Israël et les Etats-Unis. Mais cela ne suffira pas à dissiper la méfiance de ses interlocuteurs vis-à-vis de son véritable agenda, à savoir un programme essentiellement islamiste.»
Le vrai putschiste, c'est Erdoğan
L’immense vague d’arrestations consécutive au putsch manqué fait frémir le journaliste Rimvydas Valatka, du portail Delfi :
«Modèle démocratique pour le monde musulman, la Turquie a décidé de renoncer à l’Europe et la démocratie. A la place de généraux éduqués selon les principes d’Atatürk, nous assistons à l’avènement d’un calife islamiste narcissique et vindicatif. … Comment les dirigeants de l’UE ont-ils pu féliciter la Turquie d’avoir défendu la démocratie face aux soldats ? Des 'défenseurs de la démocratie' décapitant au couteau des soldats sans défense ? Après la victoire de tels 'démocrates', on a du mal à réprimer le mot 'terroristes'. Erdoğan a déjà limogé 3 000 juges. Ceci rappelle les purges menées dans l’Union soviétique en 1937. Dans quel but ? Quel est le lien entre juges et soldats ? Il n’y en a aucun. Les attaques portées contre les juges montrent que la Turquie devient une dictature, dans laquelle les magistrats doivent être aux ordres du gouvernement. N’est-ce pas là le véritable putsch ?»
Qui veillera à faire régner l'ordre public ?
Après la vague de limogeages et d’arrestations dans les rangs de l'armée et de la justice, Milliyet se demande si l’Etat est encore en mesure de fonctionner :
«Ceci est probablement le coup le plus dévastateur jamais asséné aux forces armées turques, tout particulièrement pour le moral des troupes et la réputation de l’armée. Désormais, le moindre exercice militaire éveillera des soupçons de putsch. … Après ces chamboulements, les forces armées - qui ont perdu beaucoup d’effectifs - auront-elles la force mentale requise pour combattre [le PKK] dans le sud-est du pays ? Est-ce seulement possible ?… Par ailleurs, la révocation de 7 000 policiers et de 3 000 membres de l’appareil judiciaire ne manquera pas d’affaiblir ces institutions. Il sera difficile de maintenir l’ordre public. Dans la justice, les piles de dossiers en attente de jugement vont se multiplier. En tout premier lieu pour l’armée et la justice, il faudra des années avant que ne soit formée une relève capable de reprendre le flambeau.»
Le pouvoir des autocrates n'est pas éternel
Erdoğan pourrait désormais s'employer à établir une autocratie, mais il ferait mieux de prendre garde, prévient le quotidien Népszava :
«Il y a longtemps que la Turquie n'est plus une véritable démocratie. Erdoğan n'a pas vraiment à redouter les critiques étrangères. Pour les Etats-Unis, la Turquie reste un allié important dans la lutte contre le terrorisme islamiste, tandis que du point de vue de l'UE, le pays est un partenaire indispensable à la résolution de la crise des réfugiés. En déjouant ce coup d'Etat, Erdoğan élimine le dernier obstacle qui l'empêchait encore de réaliser son grand rêve : l'introduction d'un régime présidentiel qui lui permettra de dominer son peuple, comme le firent jadis Mouammar Kadhafi en Libye et Saddam Hussein en Irak. ... Or si l'histoire nous enseigne une chose, c'est bien que le pouvoir des autocrates n'est pas éternel. Les despotes perdent la mesure des choses. Le sultan turc ferait bien de s'en souvenir.»
Des miliciens à la rescousse de la démocratie
En s'opposant aux chars, les Turcs n'ont pas pris parti pour les principes fondamentaux de la démocratie, selon le portail Deutschlandfunk :
«Ce qui ressemblait de prime abord à la résistance courageuse de démocrates n'était en réalité que l'acte de miliciens prêts à tuer pour leur leader Erdoğan, et, s'il le fallait, à mourir. Ils ont tué des soldats, uriné sur les cadavres de ceux-ci devant les caméras, et même décapité un soldat, à la façon de Daech. ... Les partisans d'Erdoğan sont descendus dans les rues aux cris de Allah-u Akbar, en faisant le salut des islamistes et des fascistes. A Istanbul, ils ont sillonné les faubourgs alévis et les quartiers où les jeunes boivent de l'alcool. Cette tentative de putsch, quels que soient ses auteurs et ses raisons, a un résultat clair : elle donne la possibilité à Erdoğan de conforter son pouvoir et de renforcer l'amour-propre de ses partisans islamistes.»
Erdoğan est un moindre mal
Bien qu’il soit loin d’être un partisan du gouvernement Erdoğan, le chroniqueur Yusuf Kanlı se dit soulagé, dans le quotidien libéral Hürriyet Daily News, que la tentative de coup d'Etat en Turquie ait échoué :
«Le pire gouvernement civil vaut encore mieux qu’une administration putschiste. … Le gouvernement a été élu et c’est par les urnes qu’il faut le changer. Cette fois-ci, la Turquie devrait y parvenir.… Aussi étrange et paradoxal que cela puisse paraître, le gouvernement Erdoğan a été sauvé par ces médias turcs mêmes qu’il a si vigoureusement harcelés ces 14 dernières années. Si des chaînes telles que CNN Türk, NTV et d’autres ne s’étaient pas opposées aux ordres des putschistes, n’avaient pas continué de diffuser leurs émissions et proposé à Erdoğan et à son cabinet une plate-forme pour atteindre les masses et les appeler à descendre dans la rue, il y a fort à parier que le putsch aurait réussi et que ce ne sont pas les hommes de la junte qui seraient en prison aujourd’hui.»
L'opposition restera active
Même après la tentative de coup d'Etat, la résistance au président Erdoğan se poursuivra, assure le journaliste et poète Jean-Noël Cuénod sur son blog hébergé par le site Mediapart :
«Nanti de ce soutien apporté à la fois par les urnes et par la rue, Erdogan n’hésitera pas à donner un coup d’accélérateur la 'sultanisation' de la Turquie et à démanteler ce qui reste encore de laïcité dans les institutions. ... Néanmoins, tout espoir laïque n’est pas forcément perdu. La Turquie des villes comprend des classes moyennes qui restent attachées à la liberté de conscience. Même si les médias sont mis au pas par le pouvoir, les Turcs disposent des réseaux sociaux et de leurs liens avec l’étranger pour s’informer et échanger. La réaction d’une partie des militaires contre le régime de 'démocrature' d’Erdogan démontre que l’opposition n’est pas morte. Même si elle sort très affaiblie par ce coup d’Etat manqué.»
Des putschistes trop pressés
Les putschistes turcs ont suivi le mauvais exemple, écrit Cyprus Mail :
«Les responsables du coup d'Etat ont commis la même erreur que les libéraux égyptiens lorsqu'ils ont intimé à l'armée, en 2013, de renverser le président élu. L'Egypte avait alors un président [Mohamed Morsi] que les citoyens redoutaient et détestaient. Mais ils avaient aussi une démocratie qui prévoyait le moyen pacifique de le chasser. La popularité d'Erdoğan se serait étiolée avec le temps. L'économie turque stagne, la politique d'Ankara en Syrie est catastrophique et la corruption de la clique au pouvoir est de plus en plus difficile à ignorer. Tôt ou tard, il aurait perdu les élections. Mais à l'instar des libéraux égyptiens, les officiers à l'origine du coup d'Etat en Turquie n'ont pas eu suffisamment foi en la démocratie pour attendre plus longtemps.»
Enrayer la dérive autoritaire
El País appelle désormais Erdoğan à conforter la démocratie et à souder le pays :
«Maintenant que les tensions sont largement retombées et que nous avons assisté à certaines scènes regrettables de lynchage contre des soldats rebelles, il est plus important que jamais que seule la justice, en toute indépendance, ouvre l’enquête contre les rebelles et leurs soutiens. Mais la révocation, un jour après le putsch, de milliers de juges et de procureurs de la république ainsi que l’arrestation de dix juges de la Cour Suprême nous inquiètent. Ceci pourrait affaiblir encore une séparation des pouvoirs déjà hypothétique et minée par la permanente dérive autoritaire d’Erdoğan. Ce putsch déjoué devrait renforcer la démocratie et l’Etat de droit et unir le pays face au grand défi auquel il fait face aujourd’hui. Et non pas le polariser encore plus.»