Le TTIP bientôt abandonné ?
La France veut mettre fin aux négociations sur l'accord de libre-échange transatlantique. Auparavant, le ministre allemand de l'Economie, Sigmar Gabriel, avait déclaré que le TTIP avait "de facto échoué". Si cet accord n'aboutit pas, l'UE s'en mordra les doigts, prédisent certains éditorialistes, qui redoutent notamment que les relations entre l'Allemagne et les Etats-Unis n'en pâtissent.
Un accord de libre échange pas si mauvais qu'on le dit
Malgré toutes les critiques qu’il suscite, il serait bon que le TTIP aboutisse, écrit Upsala Nya Tidning :
«Le plus grand obstacle au TTIP est la procédure ISDS, le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats : les entreprises désireuses d’exercer une activité dans un autre pays ont besoin d’une protection de leurs investissements en cas de changement inopiné des conditions. … En raison des questions qui restent en suspens sur l’ISDS, ce point demeure un casse-tête. Les autres craintes sont avant tout des mythes, que certaines personnes se complaisent à entretenir. … Le droit suédois restera applicable en Suède, de même que la législation européenne restera en vigueur au sein de l’UE. Le TTIP n’a jamais compromis les normes de protection de l’environnement, des denrées alimentaires ou de la protection des animaux en Europe. A l’heure du terrorisme, du populisme et du Brexit, un nouvel accord commercial de grande envergure serait un symbole positif. Il serait donc souhaitable que le TTIP soit signé l’an prochain.»
Les relations germano-américaines malmenées
L'amende infligée au groupe américain Apple et l'enlisement des négociations sur le TTIP nuisent aux relations transatlantiques, souligne Handelsblatt :
«La mésentente entre l'Europe et les Etats-Unis est tangible. Chaque jour apporte son lot de nouvelles politiques et économiques témoignant de profondes divisions. ... Il faudra faire de gros efforts de part et d'autre de l'Atlantique pour préserver cette amitié ancienne. Mais comme pour une thérapie de couple, chacun des conjoints devra se rappeler le début de leur relation. Pendant toute la période d'après-guerre, jusqu'à la réunification, il n'y avait pas de partenaire plus fiable pour l'Allemagne. ... Si le climat tendu devait nuire à l'amitié germano-allemande, ce serait terrible. Ce sentiment d'union n'a pas de prix, quel que soit le nouveau locataire de la Maison-Blanche en novembre. Le gouvernement allemand devra s'entendre avec l'administration américaine sur une redéfinition des intérêts communs.»
Libre-échange : la fin du rêve d'Obama
Obama ne pourra pas se targuer d’avoir ajouté le TTIP à son legs politique, selon Foreign Policy :
«Le président américain avait longtemps rêvé de quitter ses fonctions avec deux accords commerciaux ficelés : le partenariat transpacifique conclu avec 12 Etats asiatiques et l’accord transatlantique de libre-échange avec l’Europe. Voici qu’ils semblent tous deux voués à l’échec. … Au lieu de pouvoir compter sur un pacte commercial de grande envergure entre les Etats-Unis et l’Europe comme cadeau d’adieu, Obama doit attendre de voir si TTIP verra jamais le jour. Sa vision d’un accord comparable avec l’Asie, scellé dans le [Partenariat transpacifique] TTP, agonise lui aussi de son côté. Les deux candidats à la présidence y sont ouvertement opposés. En outre, il n’y aura pas de majorité au Congrès au lendemain des élections [avant que le nouveau Congrès ne prenne ses fonctions] pour faire passer l’accord.»
Les campagnes électorales bloquent l'accord
En raison des campagnes électorales en France et aux Etats-Unis, la question du TTIP restera en suspens jusqu’à ce que les dès soient jetés, prédit Douma :
«Les Français sont appelés aux urnes l’an prochain. Le gouvernement français, qui n’a actuellement pas vraiment la cote auprès de l’électorat, a compris que soutenir le TTIP serait un suicide électoral, au vu du nombre de Français qui ont souscrit à l’initiative 'Stop TTIP'. Alors que 55.500 signatures sont requises pour lancer une initiative européenne, pas moins de 360.227 ont été recueillies, soit six fois plus que nécessaire. … Aux Etats-Unis, la date des élections approche et il est exclu qu’Obama puisse tenir sa promesse initiale, qui était de faire passer le TTIP avant la fin de son mandat. Qu’adviendra-t-il après le changement de pouvoir ? Mystère. Trump rejette catégoriquement le TTIP et Clinton l’a critiqué à plusieurs reprises.»
Après le Brexit, les anti-TTIP ont le vent en poupe
Le débat sur le TTIP montre à quel point l’influence des partisans du libre-échange a faibli, constate Helsingin Sanomat :
«Un éventuel gel du TTIP reflèterait un glissement du pouvoir en Europe. La Grande Bretagne était une approbatrice à tous crins du libre échange. En se mettant sur la touche, elle cède la place à une idée largement répandue parmi les politiques d’Europe centrale, à savoir que la politique doit tenir la barre et reléguer au second plan les forces du marché. Un échec du TTIP serait une défaite. Car cet accord aurait une grande importance, sachant qu’il supprimerait les entraves aux activités des entreprises et qu’il encadrerait le commerce occidental par des normes.»
Un accord qui n'apporterait rien aux consommateurs
L’Echo explique pourquoi, au bout de trois ans, les négociateurs n’ont toujours pas réussi à gagner l’opinion à leur cause :
«L’accord dépasse leur champ de compétence : le TTIP est moins un accord commercial qu’un accord réglementaire. Là où un traité commercial à l’ancienne promet des prix moins élevés au consommateur, cet accord-ci touche à des questions politiques aussi sensibles que la qualité de l’alimentation et la robustesse des garde-fous environnementaux. Plutôt que de lui promettre une augmentation de son pouvoir d’achat, le TTIP demande au consommateur d’avoir confiance dans les accords futurs des régulateurs. Force est de constater que c’est beaucoup demander. En particulier dans un contexte de repli : que ce soit pour des raisons environnementales ou de patriotisme économique, les circuits courts ont le vent en poupe, et les multinationales sont suspectes. A l’heure où les scandales fiscaux ont achevé de ternir leur réputation, ce traité garde l’image d’un texte taillé pour elles.»
Abandonner le TTIP, ce serait déclarer forfait
Ce serait une erreur que de considérer le TTIP comme une affaire classée, écrit Frankfurter Allgemeine Zeitung :
«En somme, [Sigmar] Gabriel laisse entendre qu’il est tout à fait impossible de négocier avec les Américains. Il faut croire qu’un an avant les prochaines législatives, il ait besoin d’attiser les ressentiments antiaméricains et de mettre en branle la tactique politicienne de son parti. … Le débat sur les avantages et les inconvénients du TTIP est encombré de beaucoup d’idéologie, d’opportunisme et de plus d’une exagération. Les arguments sont rarement soupesés objectivement. Les pourfendeurs du traité y voient sans plaisanter une menace pour la coexistence en Europe. Ses partisans s’attendent à une poussée spectaculaire de la croissance. Il faut mener les négociations jusqu’au bout, et puis on verra. Mais quel signal ceci donnerait-il aux Etats-Unis, au monde et même aux Européens, si l'on annulait tout bonnement la chose ? Renoncer à exercer son influence sur les échanges mondiaux en coopération avec les Etats-Unis reviendrait à une véritable déclaration de faillite.»
L'Europe s'en mordrait les doigts
Depuis les récentes déclarations du vice-chancelier et ministre allemand de l’Economie Sigmar Gabriel, le TTIP est un tas de ruines, ce qui devrait surtout être préjudiciable à l’Europe, estime Hospodářské noviny :
« Il ne reste rien de cet optimisme initial qui croyait pouvoir clôturer les négociations d’ici la fin de l’année. Ceci s’explique avant tout par des rendez-vous électoraux - à la Maison-Blanche, à l’Elysée et au Bundestag. … Outre-mer, la propension au compromis n’est guère plus forte. Donald Trump promet de protéger le marché américain des importations bon marché. Hillary Clinton a la prudence de ne pas s’avancer sur ce terrain glissant. … Qui le regrettera le plus, en fin de compte ? Avant tout les Européens. Entre-temps, les Etats-Unis ont passé avec une série d’Etats de l’autre côté du Pacifique des partenariats transpacifiques d’une envergure comparable.»
Le protectionnisme tue les libertés individuelles
Annoncer la fin présumée du TTIP revient à appeler de ses vœux cet Etat fort dont rêvent les mouvements anti-européens, met en garde Ferruccio de Bortoli dans Corriere del Ticino :
«Si l’on comprend aisément la nécessité d’un Etat aux pouvoirs renforcés dans le domaine de la sécurité et de l’immigration, on ne la comprend pas en revanche s’agissant de la nostalgie du protectionnisme et de l’interventionnisme. … Il semblerait qu’un vent adverse, aussi traître qu’inattendu, souffle sur les principes libéraux de l’économie de marché et sur les avantages de la compétitivité. Espérons que ces derniers ne succombent pas à la situation critique. L’Etat en tant qu’entrepreneur reste et demeure une idée malsaine, à l’origine de gaspillages et d’inefficacité. Le protectionnisme peut tout au plus aider à glaner quelques voix aux élections, mais il n’est pas propice à la croissance et au final, petit à petit, il rogne les libertés et les droits de l’individu.»
L'opportunité manquée de l'UE et des Etats-Unis
Le TTIP est visiblement voué à l’échec, bien que les relations transatlantiques aient besoin d’un tel accord, commente le journal Público :
«La tentative la plus significative jamais lancée ces dernières décennies pour développer les relations entre l’Europe et les Etats-Unis a clairement échoué. La confidentialité des négociations, les concessions faites par l’Europe sur des questions sensibles comme la protection de l’environnement ou l’alimentation, mais aussi le pouvoir décisionnel qui aurait été confié aux multinationales en cas de litiges commerciaux : autant d’éléments qui rendent cet échec presque souhaitable. … D’un point de vue symbolique mais aussi pratique, cet 'échec' représente également une évolution inquiétante quant aux relations entre les deux grands blocs occidentaux. A une époque marquée par la puissance croissante de la Chine et par l’instabilité au Proche-Orient, la consolidation des relations transatlantiques n'avait jamais été aussi importante.»
Penser aux laissés-pour-compte de la mondialisation
Sigmal Gabriel fait une analyse extrêmement lucide de la situation, commente De Tijd :
«De part et d’autre de l’Atlantique, le TTIP est devenu invendable sur le plan politique, ce qui est en soi un bon signe. Peut-être les menaces d’échec du TTIP sont-elles aussi l’occasion de repenser une mondialisation toujours croissante et de se pencher sur le sort des perdants. Car il est indéniable qu'elle fait des laissés-pour-compte, des deux côtés de l’océan. Dans le contexte des prochaines élections, ceci aura une conséquence claire pour les principaux participants. Le ministre allemand de l’économie Sigmar Gabriel a dit tout haut ce qui fermente depuis longtemps dans une grande partie de l’Europe. L’économie internationale a besoin de se doter de nouvelles règles et de nouvelles normes en vue de rétablir l'équilibre au niveau international.»
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