Navalny, un danger pour Poutine ?
Des milliers de personnes ont manifesté en Russie pour dénoncer la corruption qui gangrène le pays. La réaction des autorités : des arrestations en masse. C'est aussi le sort qui a été réservé à l'opposant Alexeï Navalny, auquel le tribunal reproche de ne pas avoir suivi l'itinéraire autorisé pour le cortège. Navalny aurait délibérément provoqué son arrestation, soupçonnent les commentateurs, qui pensent que la Russie est à l'aube de bouleversements sociaux.
Navalny démonte la propagande du Kremlin
L'opposant place le dirigeant russe face à un dilemme, analyse Neue Zürcher Zeitung :
«D’un côté il ne faut pas que Navalny devienne un martyre, de l’autre il faut éviter que la contestation ne s'amplifie. ... Navalny n’ignore pas ce dilemme et il a délibérément provoqué son arrestation lundi. Que la seule réaction dont le Kremlin sache faire preuve soit la répression en dit long sur la paranoïa à la tête de l'Etat. Car si Poutine était bel et bien le père du peuple unanimement adulé, conformément au portrait que la propagande d’Etat s’efforce de faire, il n’aurait aucun problème à autoriser une candidature de Navalny à la présidentielle et de garantir pleinement le droit de l’opposition à manifester.»
Le doute est semé
Sans présenter le risque véritable de détrôner le président russe, Navalny pourrait toutefois transformer la Russie, analyse The Times :
«Tant que Poutine a la main mise sur la police et l’appareil de sécurité, que les juges lui obéissent au quart de tour et qu’il maintient son immense réseau de protection, il n’a pas à craindre d’être renversé par Navalny aux présidentielles de mars 2018. Poutine peut lui intenter des procès, l'intimider et frapper d'invalidité sa candidature. Mais si, comme prévu, il brigue un autre mandat de six ans et remporte les élections, il devra se pencher sur les problèmes courageusement soulevés par son intrépide adversaire. Navalny sème le doute parmi le peuple – une graine qui ne manquera pas de germer.»
La mayonnaise ne prend plus
Neatkarīgā note un changement du climat social en Russie :
«Dans la société russe, l’euphorie patriotique nourrie par l’occupation de la Crimée s’étiole et l'aura héroïque et divine de Poutine pâlit. De plus en plus de Russes renoncent au monde parallèle artificiel de la propagande télévisée et reviennent à la réalité, qui donne à voir une Russie marquée par un retard technologique et sans attraits pour le reste du monde. … C’est indéniable, la Russie reprend le chemin de la civilisation. L'ampleur des manifestations de lundi et la réaction du pouvoir montrent l’importance de la pression interne et la probabilité de changements dans un proche avenir.»
Les visées électorales de Poutine compromises
Pour Handelsblatt, la contestation est l’expression de la crise systémique dans laquelle se trouve la Russie :
«Le problème est que – au bout de trois ans de crise économique – la timide amorce de reprise est encore loin d'être perçue par la population, dont le niveau de vie ne cesse de se dégrader. Ce qui alimente la frustration. La stabilité, éternel cheval de bataille de Poutine, est souvent assimilée à la stagnation, surtout pour la jeune génération. ... Ceux qui ont fait leur trou en haut de la hiérarchie sont bien au chaud, mais l’ascenseur social est en panne. … Ce n’est pas pour les beaux yeux de Navalny que les manifestants sont descendus dans les rues. Leur idée n’était pas de remplacer Poutine par Navalny, mais de changer le système. … L’ambition du chef du Kremlin d’enregistrer un score électoral record s’en trouve sérieusement compromise.»