Litige frontalier Slovénie/Croatie
Dans le litige frontalier qui opposait la Slovénie à la Croatie, un tribunal d'arbitrage international sis à La Haye a tranché fin juin: la baie de Piran revient en grande partie à la Slovénie. La Croatie en revanche profite d'une rectification de sa frontière, et un sommet de montagne lui est attribué. Or, Zagreb persiste à ne pas vouloir reconnaître la légitimité du verdict. Grand scepticisme dans la presse des deux pays quant à la mise en application du verdict.
La Croatie n'a pas de quoi s'inquiéter
Le problème du jugement n’est autre que la réalité politique, estime Delo :
«Le droit international échoue toujours dans la résolution des crises majeures, telles que le conflit israélo-palestinien, le dossier chypriote, la mer de Chine méridionale … Le conflit territorial entre la Slovénie et la Croatie a une valeur symbolique. Pourtant, dans ce cas comme dans d'autres, l’application du droit international dépend du soutien de la communauté internationale et des alliés que l'on peut avoir. Les amis de la Slovénie ne sont pas bien nombreux, et personne ne soutient ouvertement la position croate. Mais qui va contraindre la Croatie à respecter la décision de la Cour ? Le verdict donne gain de cause à la Slovénie. Malheureusement, le pays constatera par lui même comment fonctionne le droit international en pratique.»
Une échéance qui profite à la Slovénie
En essayant de repousser la date butoir aux calendes grecques, Zagreb ne va rien obtenir, analyse Novi list :
«La Croatie part - à tort - du principe que le verdict devra être appliqué dans un délai maximal de six mois. En réalité, l’article 7 de la convention d’arbitrage stipule que les deux parties doivent employer cette période pour entreprendre les démarches nécessaires à l'application du jugement. … En d’autres termes : le temps joue en faveur de la Slovénie et non de la Croatie, qui subira une pression diplomatique croissante. Le pays a perdu ses amis et ses alliés de l’UE, et un océan le sépare de l’Amérique de Trump, qui appuierait le refus de la Croatie de respecter la décision de la Cour. C’est ce qu’a pu ressentir de plein fouet le Premier ministre croate Plenković, qui s'est retrouvé bien esseulé lors du sommet des Balkans.»
Quand le rêve de l'UE part en fumée
Le litige sur la décision d'arbitrage pourrait être le fossoyeur de l'élargissement de l'UE dans les Balkans, redoute Dnevnik :
«L'UE avait espéré qu'en proposant ses services de juge arbitre entre la Slovénie et la Croatie, elle trouverait une réponse élégante aux questions en suspens qui se sont accumulées entre les pays des Balkans candidats à l'adhésion à l'UE. On dirait que ce rêve part en fumée. Et ce n'est du reste peut-être pas plus mal, quand on voit l'incapacité à s'élargir dont souffre l'UE. On note un fléchissement de la volonté de résoudre les problèmes de l'Europe du Sud-Est - tandis que s'installe la conviction que l'UE se causerait du tort en s'attirant en son sein ces problèmes.»
Pour sauver la face, il faut laisser le temps faire son œuvre
Comment trouver un terrain d'entente réconciliant la Croatie et la Slovénie avec un jugement problématique pour les deux parties prenantes ? Proposition de Novi list :
«La Croatie est mécontente car elle ne conserve qu'un quart ou un cinquième de la baie de Piran. ... La Slovénie est mécontente car elle n'obtient pas d'accès direct aux eaux internationales pour ses eaux territoriales, et perd aussi quelques territoires. Dans des pourparlers bilatéraux, la Slovénie ne se contenterait probablement pas de moins. ... Avec le temps, quand de l'eau aura passé sous les ponts, il sera peut-être possible d'adopter une décision bilatérale qui ressemble au jugement d'arbitrage. Un accord entre gentlemen qui permettrait aux dirigeants croates de continuer à dire qu'ils ne reconnaissent pas la validité du jugement d'arbitrage, tout en le faisant tout de même par un accord bilatéral.»
Du pouvoir civilisateur du droit
Le jugement du tribunal d’arbitrage atteste le bon fonctionnement de la civilisation occidentale, lit-on dans Delo :
«Depuis hier, les frontières de la Slovénie sont entièrement définies, et c'est ce qui compte. Le tribunal d’arbitrage jouissait du soutien de tous les pays importants de l’UE et du monde. La résolution de ce conflit pourrait faire école pour la résolution des questions de frontières en suspens dans les Balkans. Ce jugement illustre la suprématie du droit et de la civilisation juridique des Etats dans un conflit. On pourrait en tirer de riches enseignements pour la culture juridique, et pour ainsi dire pour la culture politique également. Non seulement en Croatie, mais aussi et surtout en Slovénie. La civilisation a parlé.»
Tout le monde y laisse des plumes
Ce procès n’a fait que des perdants, conclut Večernji list :
«Le tribunal d’arbitrage a perdu de sa crédibilité. Désormais, d’autres Etats s’en remettront-ils à lui, lui accorderont-ils leur confiance en toute bonne foi quand ils auront des différends à régler ? ... La Croatie aussi est perdante. ... La Croatie n’a aucun intérêt à voir se dégrader les relations avec son voisin, ce qui est aussi nuisible que les joutes et les querelles politiques. ... La Slovénie aussi est perdante. Oui, les Slovènes ont largement obtenu gain de cause, mais à quel prix ? Au prix d’un verdict qu’ils ne pourront pas mettre en application. Au prix de relations compromises avec leurs voisins, et ils ont également été représentés par une partie de la communauté internationale comme un Etat qui viole ouvertement les accords passés, qui triche en justice et qui ne reconnaît pas les normes éthiques et les règles juridiques.»
La Croatie vole la vedette à la Grèce
Le non-respect par la Croatie de la sentence arbitrale pourrait être annonciateur d’une nouvelle politique de blocage dans les Balkans, redoute Der Standard :
«La sortie de la procédure par la Croatie, membre de l’UE, est révélatrice d’une attitude hautement problématique envers l’Etat de droit. ... La Croatie entend tout bonnement faire fi de la décision. Certains observateurs redoutent dores et déjà que cette attitude politique de la part de Zagreb déteigne sur d’autres relations entre voisins. La Croatie pourrait par exemple opposer son veto à la candidature à l’UE de la Bosnie-Herzégovine si une loi électorale n’était pas modifiée à l’avantage des Croates d’Herzégovine. ... Jusqu’ici, le grand empêcheur de tourner en rond dans les Balkans était la Grèce, qui avait pendant des années mis son veto contre la Macédoine. A présent, la Croatie pourrait lui souffler la première place.»