Pologne : la réforme de la justice freinée par le président ?
Dans le bras de fer autour de la réforme de la justice promue par le PiS au pouvoir en Pologne, le président Andrzej Duda a menacé de mettre son veto - à la surprise générale. Il a indiqué qu'il ne signerait la loi relative à la nomination des juges à la Cour suprême que si sa proposition d'amendement était acceptée. L'affrontement relatif à l'indépendance de la justice polonaise entre ainsi dans une nouvelle phase, et monopolise l'attention des éditorialistes.
Empêcher l'instauration d'une dictature
Newsweek Polska se penche sur l’intervention d'Andrzej Duda, la jugeant très insuffisante :
«Deux lois se trouvent actuellement sur le bureau du président. … Ces deux lois subordonnent les tribunaux à l’autorité de l'exécutif, ce qui est en contradiction avec le principe de séparation des pouvoirs inscrit dans la Constitution. Or que fait le président, qui est censé être un gardien de cette Constitution ? Au lieu d’annoncer qu’il opposera son veto à ces deux lois, il propose un mauvais compromis. … Si le président signe [la loi sur la Cour suprême], alors la Pologne deviendra un pays dans lequel la police, le parquet, mais aussi les tribunaux, seront inféodés au gouvernement. C'est l'amorce d'une dictature.»
La révolution culturelle de Kaczyński
Le Monde tente d'expliquer les motivations profondes du PiS :
«Sous la houlette du président du parti, le très secret Jaroslaw Kaczyński, le PiS s’est donné une mission : sortir la Pologne de l’occidentalisme décadent que lui imposerait l’UE, ramener le pays à son identité catholique la plus fondamentale. M. Kaczyński ne cache pas qu’il mène une bataille culturelle et idéologique. ... Au service de sa révolution, cet homme veut un Etat fort, délesté de la machinerie des contre-pouvoirs qui caractérisent les démocraties 'occidentales'. Il se dirait volontiers inspiré par Dieu. La question est de savoir si un tel Etat a sa place dans une Europe qui puise, elle, son inspiration chez Montesquieu.»
Aucun sens démocratique
Varsovie n'a pas compris un certain nombre de traits essentiels de la démocratie, souligne Der Standard :
«Il s'agit de comprendre ici quelque chose d'élémentaire, à savoir que dans une démocratie, l'opposition n'est pas un mal mais un correctif nécessaire ; que les médias et l'art critiques ne menacent pas la société mais produisent au contraire un discours favorisant la stabilité ; qu'une justice indépendante ne porte pas atteinte au gouvernement mais garantit juridiquement ses décisions. Le gouvernement polonais, obnubilé par le pouvoir, n'est pas capable de mener une réflexion aussi abstraite. Il appartient aux citoyennes et citoyens eux-mêmes de continuer à mener patiemment ce débat.»
Même Trump n'oserait pas agir ainsi
Ce que le PiS entend faire dépasse les bornes, estime Lidové noviny :
«La politisation de la justice est toujours un thème délicat, comme on le voit notamment aux Etats-Unis. Mais même Donald Trump ne peut s’imaginer remplacer tout bonnement l’ensemble des juges de la Cour Suprême. Et s’il pouvait le faire, il ne le claironnerait pas sur tous les toits. La division des pouvoirs est un principe qu’on enseigne aux enfants dès le primaire. Mais la Pologne de Kaczyński veut prouver que l’on peut procéder d’une tout autre manière. Cette idée n’a rien à voir avec le conservatisme ou le libéralisme. C’est un pur produit du radicalisme. ... On sait depuis les années 1960 comment les radicaux fonctionnent : 'Nous ne savons pas ce que nous voulons, mais nous le voulons tout de suite'.»
Donner le bon exemple au lieu de chapitrer les autres
Les normes de l’Etat de droit sont le fondement de l’UE et à ce titre non négociables, met en garde Frankfurter Allgemeine Zeitung :
«Un Etat membre qui n’est plus un Etat de droit n’a plus droit de cité au sein de l’Union. ... Mais d’une certaine manière, la Pologne est partout. Car c’est un travers européen de n’invoquer l’Europe et sa solidarité qu’au moment où on en a besoin, et de cultiver la souveraineté nationale le reste du temps. Pourtant, les Etats de l’UE ont délégué de leur pouvoir et se sont placés de leur propre chef sous le contrôle mutuel des autres Etats membres. … C'est pourquoi nous devons continuer de suivre et d’évaluer attentivement l'évolution des choses en Pologne. Les autres Etats membres doivent vivre au quotidien ce qu’ils attendent de la Pologne (et de la Hongrie) en termes de respect de la justice et de la presse.»
Une opposition faible
La manifestation de dimanche, qui a mobilisé des milliers de personnes, avait été organisée par le Comité de défense de la démocratie, dont le président est un vétéran de Solidarność. Pour Gość Niedzielny, les manifestants n’ont pas la force de faire bouger les lignes :
«C’est une bien faible protestation comparée par exemple à la marche de l’indépendance [organisée annuellement par les nationalistes] ou encore aux manifestations de défense de la chaîne télévisée [proche du PiS] TV Trwam. Les organisateurs le savent, de même que le reste des élites de la gauche polonaise. Ils ont pleinement conscience que les manifestations actuelles sont un témoignage de leur faiblesse et non pas de la force du mécontentement social. Mais ils n’ont rien d’autre à proposer. Pas le moindre programme positif. L’unique revendication qu’ils aient réussi à formuler est de renverser le PiS. Ils se trouvent donc dans une situation fatale.»
En route vers la démocrature
Pour Polityka, le démantèlement de la justice marque la fin de la démocratie libérale et de l’Etat de droit :
«Jusqu’à présent, Kaczynski n’avait pas fait usage de la violence contre l’opposition et les citoyens. Et les organisations civiles, les médias, les universités et les centres culturels indépendants du PiS agissent encore dans la légalité. Les élites du PiS doivent encore composer avec l’UE. De ce point de vue, nous nous trouvons actuellement à mi-chemin entre une démocratie constitutionnelle libérale de type occidental qui a du reste déjà été dissolue et une forme hybride, que l'on pourrait qualifier de démocrature.»
La grogne de traîtres et de communistes mécontents
La députée PiS Krystyna Pawłowicz propose sur le site Wpolityce.pl son interprétation de la manifestation de dimanche contre le gouvernement :
«Le traître qui a appelé hier des puissances étrangères à intervenir en Pologne [comprendre manifestants appelant l’UE à contrecarrer les projets du gouvernement polonais] a été applaudi par d’autres traîtres. Le tout a donné lieu à une manifestation peu esthétique, démagogue, haineuse et déraisonnable. Les intervenants étaient agressifs et extrêmement frustrés à cause de leur totale impuissance et parce qu’ils n’ont aucune proposition positive à faire. ... Dimanche, les communistes et les post-communistes [comprendre l’opposition libérale] sont devenus fous de rage parce qu’ils ont perdu le pouvoir, l’influence et l’accès au financement [public]. Une fois de plus, ils ont montré devant le Sejm leur visage traître et antidémocratique. Ils ont étalé leur culture de la barbarie.»
L'Europe perd la Pologne
L’UE n’a guère de possibilité de réagir efficacement à l’évolution politique qui s’opère en Pologne, souligne Der Tagesspiegel :
«Au lendemain de la suspension de la Cour constitutionnelle, l’UE avait engagé le dialogue avec Varsovie et initié une 'procédure pour non-respect de l’Etat de droit', prévoyant même la possibilité de priver la Pologne de ses droits de vote au Conseil européen. Une menace qui reste actuellement un tigre de papier : l’unanimité que requerrait un tel scrutin ne serait pas atteinte à cause du veto annoncé par la Hongrie. Ce qu’il reste ? Des remontrances publiques, des recommandations au titre de 'risque clair de grave violation des valeurs fondamentales', voire même des amendes. Mais personne ne se leurre : quand la volonté n’y est pas, on ne se donne pas les moyens de faire aboutir un projet. Depuis la création de l'UE, la Pologne, notre voisin, n’a peut-être jamais été aussi loin de nous qu’aujourd’hui.»
Fini les jours heureux en Pologne
Pour Gazeta Wyborcza, l’action du Parlement signe la mort de l’Etat de droit :
«Mercredi, les députés du parti PiS ont mis un terme à l’indépendance de la justice et confié les tribunaux au [ministre de la justice] Zbigniew Ziobro, qui dispose d'un pouvoir illimité et souhaite en découdre avec les juges. C’est la fin de l’Etat de droit. … A partir d’aujourd’hui, toute personne nommée un matin par Jaroslaw Kaczynski peut se faire lyncher le soir à la télévision [publique] nationale, mais également être mise sur écoute, traînée devant la justice, arrêtée, condamnée et déclarée coupable par toutes les instances. … Nous sommes au mois de juillet, tout le monde est à la plage, à boire de la bière en mangeant des saucisses. Malheureusement, le soleil ne sera que de courte durée. Les 27 plus belles années de l’ère démocratique polonaise s’achèvent, pour laisser place à un régime autoritaire.»
Une réforme pour plus de justice
Le portail proche du gouvernement Wpolityce.pl revient sur les écarts commis par le passé par des juges polonais, qui expliqueraient la nécessité d'une réforme radicale :
«Il faut voir l’orgueil et l’impunité des juges - sans parler de leur immoralité. Un juge qui vole une clé USB, échange les prix des étiquettes ou part avec une saucisse d’un magasin peut-il avoir le droit de juger quiconque ? … Pourquoi priverait-on une mère de la garde de ses enfants à cause de sa situation financière ou de son surpoids ? Les abus sont légion dans la législation polonaise. Seule une réforme radicale peut rétablir la justice.»