Les violences policières en Catalogne étaient-elles justifiées ?
Des centaines de milliers de personnes ont manifesté mardi contre les violences policières qui avaient émaillé dimanche le déroulement du référendum sur l'indépendance, et au cours desquelles plus de 800 personnes avaient été blessées. L'action du gouvernement central contre ce référendum illégal était justifiée, affirment certains éditorialistes. D'autres réclament pour leur part la démission du Premier ministre espagnol.
La démocratie instrumentalisée pour perpétrer un coup d'Etat
El País critique les séparatistes catalans, qui attisent selon lui la vindicte populaire :
«Les évènements d'hier ont montré que le gouvernement régional catalan se comportait comme un comité d'agitation professionnel, comme un agent insurrectionnel, comme une 'anti-institution' : c'est-à-dire comme un appareil hostile au système libéral, qui exploite les avantages et les privilèges des institutions démocratiques pour mener progressivement un coup d'Etat. ... Ni l'usage de la force ni les vivats ne sauraient transformer ce référendum illégal et trompeur en consultation valable.»
Le Premier ministre en sauveur
La gestion du référendum a consolidé la position du Premier ministre espagnol, estime Hadrien Desuin, expert en questions de sécurité, sur le site Causeur :
«Mariano Rajoy, initialement fragilisé par un Parlement morcelé, apparaît en ultime défenseur de l’unité du pays. Sa fermeté et sa détermination à ne rien lâcher aux séparatistes lui valent déjà l’estime de ses électeurs. Désarmées, l’émeute et la sédition finissent toujours par renforcer le parti de l’ordre. Les 'Mossos d’Esquadra', la police catalane, n’ont osé se confronter, ni aux forces de Madrid ni aux factieux. Leur abstention condamnait d’avance le plébiscite catalan. Le Premier ministre, natif de Saint-Jacques-de-Compostelle, pourrait bien se muer en sauveur de la vieille Espagne, après plusieurs années de gestion assez terne du pays.»
Rajoy doit rendre son tablier
Mariano Rajoy est l'unique responsable de la situation actuelle, assure pour sa part Pravda :
«Le gouvernement, qui ne pouvait se dire surpris de ce développement, a choisi la pire réponse imaginable. Il aurait pourtant dû se contenter d'ignorer ce référendum, qu'il juge anticonstitutionnel. Les caisses de l'Etat ne se trouvent pas à Barcelone, mais à Madrid. Tout se trouve entre les mains du gouvernement central. ... En l'espace de quelques semaines, l'administration Rajoy a mené le pays au bord de la guerre civile. ... La démission de Rajoy n'est donc pas seulement une question de responsabilité politique et morale, mais aussi un impératif si l'on veut sortir de l'impasse.»
L'effet boomerang de la violence
La police, en tabassant des électeurs pacifistes, ne fait qu'attiser l'irrédentisme catalan, déplore Večernji list :
«Madrid se trompe si elle croit pouvoir briser la volonté des Catalans en recourant à la violence policière (même contre les femmes et les enfants) et en confisquant des urnes. Après le naufrage démocratique d'hier, il est certain que les partisans de l'indépendance seront plus nombreux, en Catalogne mais aussi dans le Pays basque, voire dans d'autres provinces espagnoles.»
L'UE ne bronche pas
Efimerida ton Syntakton déplore l'absence de réaction de la classe politique européenne :
«Des images telles que celles observées à Barcelone sont sans précédent - en Espagne comme en Europe. Or quelles sont les réactions en Europe ? ... Quelques rares fonctionnaires européens ont pris position sur la brutale répression policière, et certains ont vaguement évoqué l'unité de l'Espagne. Bien entendu, Rajoy n'est pas un dirigeant 'autoritaire', 'dangereux' et 'fasciste', comme le président vénézuélien Nicolas Maduro, par exemple. Rajoy est l'un des nôtres. Un éminent représentant de la droite européenne et l'un des collègues les plus appréciés d'Angela Merkel. Quelles auraient donc été les réactions si le gouvernement espagnol avait été socialiste, ou si [le parti de gauche] Podemos avait été au pouvoir ?»
L'Europe perd son rôle de modèle
L'intervention policière a sapé la crédibilité européenne, juge Dnevnik :
«L'Europe devrait être en mesure de garantir une consultation démocratique de l'opinion publique, même lorsque cela déplaît fortement au gouvernement d'un Etat. ... Si la répression de mouvements politiques par la police devient acceptable en Europe, alors aucune institution européenne ne pourra convaincre le gouvernement égyptien de résoudre la question des minorités sans recourir aux chars. L'Europe aura également du mal à expliquer au gouvernement irakien qu'il est tenu de solutionner ses tensions internes par le biais de la démocratie et du dialogue. Si la violence policière est tolérée en Europe devant les bureaux de vote, alors elle sera facilement justifiée partout ailleurs.»
Les Catalans rompent un vieil accord
Les vélléités séparatistes des Catalans représentent un grand danger pour l'Espagne et l'Europe, estime Rzeczpospolita :
«Après la mort de Franco, un compromis avait été trouvé : 17 régions du pays se voyaient dotées d'une grande autonomie en contrepartie du maintien de l'unité du royaume - sauf si une majorité d'Espagnols s'opposaient à cette disposition. Cet accord avait servi de modèle pour la transformation démocratique de la Pologne et de nombreux autres PECO. Les organisateurs du référendum catalan ont pourtant choisi de le rompre. Si ce vote devait être reconnu par un Etat de l'UE, ceci marquerait la fin de la démocratie espagnole mais aussi celle de l'Union, qui ne saurait exister sans loyauté mutuelle entre les Etats membres.»
Un séparatisme irresponsable
La minorité séparatiste prend en otage un pays entier, fulmine Corriere del Ticino :
«La ligne de fracture se dessine avant tout au sein même de la société catalane, entre une légère majorité opposée à la sécession et une forte minorité résolue à trancher le cordon. Puis il y a la fracture entre Espagnols et Catalans, potentiellement lourde de conséquences. ... Le gouvernement catalan chante victoire : il déclarera son indépendance, clivant l'Espagne mais aussi et surtout la société catalane. Il le fera sur la base d'un référendum dépourvu de toute légalité et garantie démocratique. Un référendum qui réitère la consultation populaire du 9 novembre 2014, quand 1,9 millions de votants (sur 5,5 millions d'inscrits) avaient dit oui à l'indépendance. Une minorité importante, mais une minorité néanmoins, qui décide du sort d'un pays entier.»
Aller de l'avant en dépit des échecs
Malgré l'impasse, politique et société doivent garder espoir, écrit La Vanguardia :
«C'est la désolation. Car personne ne peut être fier de ces évènements. Personne ne peut bomber le torse. Personne ne peut se montrer satisfait. Personne ne peut se dire gagnant. Nous avons tout perdu. Et maintenant, que faire ? D'abord, cesser de se lamenter. Il faut mener immédiatement un dialogue. Nous proposons la création d'une commission indépendante, composée de juristes et de personnalités en vue, qui permette d'esquisser une sortie de secours au gouvernement espagnol et à la Généralité de Catalogne. Une proposition qui, une fois validée par les instances politiques, puisse être soumise au vote libre et pacifique de la société catalane.»