Guerre des visas entre Washington et Ankara
Les Etats-Unis et la Turquie ont suspendu leurs services de visas respectifs à destination de l'autre pays. C'est l'ambassade américaine à Ankara qui a été la première à prendre cette décision, après l'arrestation d'un employé turc de son consulat à Istanbul, accusé d'être un güleniste. Ankara a ensuite riposté avec la même mesure. Les éditorialistes turcs évoquent les conséquences de cette nouvelle brouille.
Erdoğan sème la zizanie et déstabilise le pays
En malmenant ses alliés, le président Erdoğan nuit une nouvelle fois au pays, déplore le portail T 24 :
«Les litiges avec l'UE, les Etats-Unis et l'Allemagne de Merkel coûtent cher à la Turquie en termes de stabilité politique et économique. On en ressent déjà les effets négatifs sur l'économie et les marchés. Le monde des affaires, pourtant très inquiet sur ce point, reste silencieux, par peur d'Erdoğan. Les bras-de-fer engagés avec Washington, Bruxelles et Berlin réduisent la marge de manœuvre d'Ankara. Une Turquie qui rompt de cette façon avec l'Occident perd aussi de son poids en Orient. La voie que l'on peut emprunter avec la Russie et l'Iran est restreinte. Car Moscou et Téhéran n'ont aucun intérêt à avoir une Turquie stable à leurs frontières. Les deux puissances régionales s'emploieront à instrumentaliser la Turquie jusqu'à un certain point, pour mieux la laisser tomber.»
Les Turcs ne se laisseront pas abattre
Les restrictions de visas inacceptables prises par les Etats-Unis à l'encontre de la Turquie sont liées à d'autres développements régionaux, souligne Milliyet :
«L'aventure indépendantiste du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) en Irak, la tentative d'établir un corridor territorial dans le nord de la Syrie, dans le but d'y instaurer un Etat kurde, ou encore les variations du taux de change de la lire turque constituent autant d'éléments indissociables des restrictions de visa décrétées par Washington. Tout ceci semble devoir exercer une influence déterminante sur les préférences politiques de la Turquie à long terme. Or ce genre de situations n'effraie pas les Turcs, bien au contraire, il contribue à les unir. La tentative de putsch du 15 juillet 2016 en est le meilleur exemple.»
Gülen au cœur de la crise
L'origine de ce litige est liée au refus américain d'extrader le prédicateur musulman Fethullah Gülen, explique Hürriyet :
«Gülen et ses partisans sont certainement satisfaits de la situation actuelle. Les relations turco-américaines traversent l'une des pires crises de leur histoire en raison du dossier Gülen. ... Les Etats-Unis n'ont toujours pas compris le tort qu'ils causent à ces relations en soutenant le leader de FETÖ/PYD, qui est responsable de la tentative de putsch du 15 juillet, et en réagissant avec indifférence aux inquiétudes d'Ankara.»
Une interdépendance mutuelle
The Financial Times juge qu'en dépit des différences, il ne serait pas judicieux pour les deux Etats de renoncer à leur partenariat :
«La Turquie reste un allié stratégique important des Etats-Unis dans la lutte antiterroriste - même si une action militaire contre Daech n'est pas jugée prioritaire par Ankara actuellement. Les Etats-Unis ne prendront pas le risque de remettre en cause cette alliance. Le président turc Tayyip Erdoğan estime qu'il est de plus en plus nécessaire de coopérer avec la Russie et l'Iran sur les questions régionales. Mais il n'est pas dans son intérêt d'être tributaire de ces alliances. Le développement de la Turquie a été fortement marqué par les relations étroites avec l'Occident. ... Les restrictions dans l'octroi de visas seront douloureuses - c'est pourquoi il est dans l'intérêt de tous de trouver une solution rapide au problème.»
L'adieu à l'OTAN ?
La Turquie s'éloigne de plus en plus de l'OTAN, constate Berlingske :
«La situation de la Turquie, au carrefour de la Russie et du Proche-Orient, reste d'une importance stratégique pour l'OTAN. Mais Erdoğan suit une trajectoire si tortueuse que les principaux partenaires de l'Alliance atlantique se demandent où la Turquie finira par arriver. ... Les conflits avec les pays occidentaux se multiplient et la transformation de la Turquie en régime islamique pousse les démocrates au sein de l'OTAN à se demander quel est le dessein d'Ankara : devenir une nouvelle superpuissance au Proche-Orient, avec l'assentiment de la Russie et sans l'OTAN ? Ou bien rester un partenaire loyal de l'organisation ? Certains membres de l'OTAN craignent en tout cas que l'adhésion de la Turquie ne soit déjà de l'histoire ancienne.»