Comment le président chinois cimente son pouvoir
Les membres du Parti communiste chinois ont décidé à l'unanimité d'inscrire dans la charte du parti le nom et la doctrine du numéro un chinois, Xi Jinping. Celui-ci se retrouve ainsi sur le même plan que Mao Zedong. Conformément aux attentes, le comité central du parti a reconduit son mandat pour cinq années supplémentaires. Quels seront les principaux défis à relever pour le nouvel "homme fort" de la Chine ?
Xi n'est pas un idéologue
Xi est régulièrement mis sur le même plan que Mao. Une comparaison pourtant incongrue, juge taz :
«Mao était un communiste convaincu. Il avait profondément assimilé les doctrines de Marx et Lénine, et les avait même développées lui-même par la suite. Mao tablait sur la collectivisation forcée de toute l'économie et voulait même remplacer les familles par des communes. Xi est à années-lumières d'une telle idéologie. Il maintient un cap favorable à l'économie de marché tout en s'efforçant de préserver le plus grand contrôle possible sur l'appareil politique, l'économie, Internet et la société dans son ensemble. A ses yeux, le PC est avant tout un moyen de se maintenir au pouvoir.»
Les périls à venir
Sur la plate-forme de blogs Contributors, l'expert politique Valentin Naumescu entrevoit deux éléments susceptibles de mettre en difficulté la direction chinoise :
«La première menace pour le pays est endogène - il s'agit de l'énorme potentiel de tensions que constitue le fossé entre riches et pauvres. 900 millions de personnes environ vivraient en dessous du seuil de pauvreté en Chine. ... Egalité sociale et économique, moyens de production entre les mains du peuple - ces principes ne sont que des formules creuses. Ce qui distingue essentiellement la Chine d'une démocratie libérale, c'est l'absence de pluralisme politique ainsi que la non-reconnaissance des droits de l'homme et de la liberté d'opinion. Le moment viendra, tôt ou tard, où ces carences démocratiques plongeront le système chinois dans une grave crise structurelle.»
La nécessité de réformes politiques
Sans réforme politique, Pékin ne pourra maintenir son hégémonie économique, analyse Finanz und Wirtschaft :
«Il apparaît clairement qu'en Chine, il faut investir le 'capital local' plus efficacement qu'on ne le faisait jusqu'à présent. Ceci suppose que le moteur de la croissance - à la différence de ce qui s'est produit ces quatre dernières décennies - ne soit plus essentiellement l'offre, mais la demande. Or pour y parvenir, il faut plus de sécurité juridique, permettre aux entreprises d'avoir davantage voix au chapitre législatif et encourager la créativité dans les écoles et les entreprises. Tout ceci est difficilement conciliable avec le modèle autoritaire en place. Si la Chine veut devenir une nation riche en l'espace de trois décennies, cette 'nouvelle ère' inaugurée par Xi, des réformes politiques s'imposent.»
Le nouveau Mao
Dans La Stampa, le journaliste britannique Bill Emmott explique de quelle manière le chef de l'Etat chinois tire parti du contexte actuel :
«Le retour à un strict contrôle central reflète le sentiment qui s'est propagé au sein du Parti communiste chinois et de l'Etat-major, à savoir que la corruption, la dissension et l'absence de discipline ont menacé l'existence du parti unique ces dix dernières années. Cette décision signale également que la Chine a de nouveau confiance dans le rôle qu'elle joue dans le monde. Ceci est vraisemblablement lié aussi à la présence de Donald Trump à la Maison-Blanche, dont la Chine est la première à profiter. C'est une opportunité à ne pas rater. Et le meilleur moyen de la saisir, c'est d'avoir un leadership puissant et clairement défini.»
Xi rompt avec les anciens principes
La concentration du pouvoir en Chine atteint des proportions navrantes, déplore Der Tages-Anzeiger :
«Après la mort de Mao, Deng Xiaoping [chef d'Etat de 1978 à 1992] avait estimé que le culte de la personnalité et la concentration des pouvoirs étaient les principaux périls pour le système chinois, et recommandé au pays décentralisation, ouverture, volonté d'expérimentation et gestion collective. Ces principes, qui avaient formé le socle du fameux 'miracle économique chinois', Xi Jinping vient de les annuler un à un. Le PCC, s'il affiche désormais ostensiblement son assurance, n'en est pas moins paranoïaque et nerveux. Xi taille tout à ses propres mesures : le pays, le parti. Mais qu'adviendra-t-il si un jour il n'avait plus la force de tenir le timon ?»
L'apologie du parti unique
Xi assied son pouvoir par de belles paroles, constate Corriere della Sera après le discours du président chinois :
«Quel dirigeant mondial est actuellement capable de promettre à son peuple une vie meilleure et plus heureuse ? Un pays plus beau et plus harmonieux ? Xi Jinping. ... Il a tenu un discours de trois heures et demie, d'une voix plus douce qu'à l'accoutumée, pleine d'une confiance s'appuyant sur des chiffres. Sous sa houlette, le secrétaire général du parti et président de la République populaire l'a souligné avec emphase, le PIB chinois est passé de 8,2 à 12 billions de dollars. Xi a ensuite défini les objectifs pour 2020, un an avant le centième anniversaire du parti, pour 2025 et pour 2049, centenaire de la République populaire. … Quelle est la recette pour atteindre les objectifs fixés pour ces dates ? Cimenter le pouvoir du parti et de son chef incontesté et incontestable.»
Pékin est un danger
La Chine représente un risque pour notre planète, selon Laurent Joffin, rédacteur en chef de Libération :
«L'irrésistible montée d'une puissance redoutable, régionale mais aussi mondiale, qui ressemble à celle de ces étoiles à la masse si formidable qu'elles dévient l'orbite de leurs voisines par leur simple force d'attraction, bouleverse l'échiquier planétaire. Un impérialisme prudent mais inexorable, aux mille canaux d'influence, succède au messianisme maoïste, appuyé sur un appareil de production de plus en plus efficace et agressif et sur une manne financière inépuisable. Danger pour les droits humains, danger pour la stabilité d'une planète toujours fragile. Fascinées, bousculées, les démocraties doivent désormais en tenir le plus grand compte.»
Les vassaux de la Chine en Europe
L'Europe n'a pas à s'étonner de la puissance de la Chine, gronde Der Standard :
«En Europe, des Etats - dont des membres de l'UE - se jettent au cou des Chinois quand ceux-ci leur font miroiter les retombées financières de la 'nouvelle route de la soie', leur promettant monts et merveilles. Chaque année, des chefs de gouvernement d'Europe du Sud-Est se rendent à Pékin pour participer docilement à des rencontres au format dit 16+1, dans des fauteuils trop grands pour eux. Peut-être Xi a-t-il raison d'envisager les choses comme un empereur : l'Empire du Milieu domine le monde. Tous les autres sont des vassaux qui lui sont tributaires, même si certains ne l'ont pas encore compris.»
L'Europe démocratique n'est pas un modèle
Pour Delo, Xi ne démocratisera pas le système chinois :
«Plus il y a de démocratie, moins il y a d'autorité. ... Le pouvoir absolu est lié à un fort niveau de croissance économique. ... L'Asie ressent depuis longtemps déjà la peur de l'Europe vis-à-vis de sa propre démocratie, qui s'exprime par le biais de l'arrogance, du chauvinisme et même du fascisme. Le fait que la Chine soit prête à sacrifier la liberté sur l'autel du développement est en partie imputable à l'Europe - ce qui en dit long sur nous, essentiellement. Comment avons-nous pu nous fourvoyer à ce point ?»
Pékin profite de la crise de l'Occident
Au congrès du PCC, Xi peut se poser en homme d'Etat d'envergure internationale, estime Le Figaro :
«Le président chinois peut même s'offrir le luxe d'apparaître en champion du libéralisme et du multilatéralisme. Et se montrer capable de vision longue, comme celle des routes de la soie, quand les Occidentaux naviguent à vue. Alors, l'inquiétude gagne. Les ambitions régionales et économiques de l'empire rouge alarment. Surtout, il est fâcheux de voir s'affirmer un contre-modèle chinois aussi peu démocratique. C'est pourtant bien dans le tissu de nos faiblesses que sont taillés les 'habits neufs' du président Xi. L'empêtrement de nos démocraties est pour lui pain bénit. Alors, au lieu de nous demander s'il faut avoir peur de la Chine, cessons de nous perdre en zigzags stériles et réarmons nos valeurs.»