Paradise Papers : comment combattre l'évasion fiscale ?
Près de 18 mois après la publication des Panama Papers, après avoir analysé de grandes quantités de données, un consortium de journalistes dévoile de nouveaux mécanismes d'évitement fiscal auxquels ont recouru des personnalités célèbres, des élus et des multinationales. Les commentateurs se demandent pourquoi les moyens déployés pour éradiquer ces pratiques sont si faibles.
Eliminer enfin les niches fiscales
L'UE doit définir des critères de transparence plus exigeants, insistent dans Le Soir Arnaud Zacharie et Antonio Gambini, du Centre national de coopération au développement (CNCD-11.11.11) :
«L'Union européenne a avancé dans cette voie, mais de manière insuffisante : selon la première lecture du Parlement européen, non seulement seules les firmes européennes dont le chiffre d'affaires dépasse 750 millions d'euros doivent publier un rapport pays par pays, mais une dérogation est en outre octroyée pour les données 'commercialement sensibles' – un concept suffisamment vague pour permettre tous les échappatoires. … On le voit, l'évasion fiscale à grande échelle, légale ou non, n'est pas une fatalité. Au contraire, les solutions sont connues. A une époque où l'austérité budgétaire et la montée des inégalités mettent en péril nos modèles sociaux et démocratiques, il serait irresponsable de ne pas tout mettre en œuvre pour les appliquer.»
La démocratie ébranlée dans ses fondements
Les révélations des Paradise Papers anéantissent toute une série de mythes que l'on croyait être les piliers de notre système économique et politique, explique News247 :
«Le premier mythe, qui est aussi le plus important, est qu'un entrepreneuriat sain engendre la prospérité pour tous et que le marché doit être libre et peut se passer du cadre régulateur des politiques des pouvoirs publics. ... Le second mythe est celui du financement public des partis. ... Les Paradise Papers nous apportent sur ce point un éclairage intéressant sur le financement offshore des démocrates et des républicains aux Etats-Unis. ... Le troisième et dernier mythe est celui qui consiste à faire croire que la politique tient lieu de contrepoids moral à un système financier qui facilite l'évasion fiscale des élites par des moyens plus ou moins légaux, creusant ainsi les inégalités.»
Les riches fraudent en toute légalité
Le véritable scandale, c'est que les niches fiscales révélées par les Paradise Papers sont parfaitement légales, souligne Kurier :
«Les riches désireux de mettre de l'argent de côté peuvent le faire sans enfreindre la loi. Il y a longtemps que la conception de la réglementation fiscale est telle que seul le bas peuple doit partager ses revenus, tandis que les riches ont toutes les possibilités légales et les moyens d'échapper à cette obligation. Il semble devenu impossible de corriger ces égarements, le secteur de l'évasion fiscale, avec ses ramifications mondialisées, mène une vie autonome, il est devenu indomptable. Comment expliquer sinon qu'après chaque scandale, les politiques responsables des lois condamnent la fraude fiscale en déversant des torrents de vains mots, mais qu'ils ne fassent rien pour y remédier depuis des années ? C'est pourtant eux qui, par le passé, ont rendu possibles par la loi la formation de ces niches.»
Ne pas diaboliser les paradis fiscaux
On aurait tort d'occulter les aspects positifs des paradis fiscaux, écrit 24 Chasa :
«Chacun est libre de faire avec son argent ce que bon lui semble, dans la mesure où il paie ses impôts et ses cotisations sociales. Qu'il décide de le mettre sur un compte en banque, de le cacher sous son matelas ou de le virer aux îles Caïmans est laissé à son entière discrétion. Pour les personnes exposées à l'arbitraire de l'Etat dans leurs pays d'origine, les paradis fiscaux sont la possibilité de sécuriser leurs avoirs. ... Il est indéniable qu'il existe des dictateurs, des criminels et des fraudeurs fiscaux qui y ont recours pour effacer toute traçabilité. Il ne faut pas en conclure que quiconque a un compte sur les îles Caïmans est un criminel. Ce serait aussi abusif que de dire que tous les riches sont des méchants.»
La guerre des élites contre le peuple
Face aux montages fiscaux vicieux des riches, nul ne peut s'étonner du succès rencontré par les populistes de nombreux pays dans leur chasse aux puissants, conclut The Guardian :
«Considérons le cliché qui veut que le gros des citoyens du Royaume-Uni, des Etats-Unis et d'ailleurs aient déclaré la guerre à leurs élites. Cette semaine nous apporte la preuve du contraire : ce sont les élites qui ont mené une guerre de positions contre les consommateurs lambda, en les privant des revenus nécessaires au bon fonctionnement des hôpitaux et des écoles. Cette guerre est l'une des causes de l'hostilité aux élites que l'on ressent actuellement. ... Nous devons accepter que la grande finance et le clivage grandissant entre pauvres et riches sont tout bonnement incompatibles avec une démocratie qui fonctionne et un système économique durable.»
Une perte de confiance dangereuse
Même si les comptes offshore ne sont pas foncièrement illégaux en soi, il n'en reste pas moins qu'ils minent la confiance des contribuables dans la politique, fulmine Jutarnji list :
«Si aucune amélioration ne se produit, les partis établis ayant permis une telle situation par leurs lois continueront de perdre des électeurs. ... Les crises comme la crise catalane deviendront quotidiennes et les fondements de l'UE vacilleront jusqu'à l'effondrement. Le meilleur projet qu'ait connu l'histoire de l'Europe risque de s'écrouler. Il revient à la génération politique actuelle d'empêcher que cela ne se produise. Elle doit empêcher que dans dix ans, de nouveaux Panama Papers, Paradise Papers ou autres révélations ne se fassent jour.»
Simplifier le droit fiscal
Simplifier le droit fiscal serait un moyen de circonscrire l'évasion fiscale, déclare Jean-Philippe Delsol, avocat fiscaliste et administrateur du think-tank IREF (Institut de recherches économiques et fiscales), dans Contrepoints :
«Certes, on peut trouver désagréable que les sociétés les plus prospères cherchent en sus à éviter l'impôt. Mais si elles le font de manière légale, il faut plutôt se demander pourquoi la loi fiscale est si mal rédigée qu'elle les laisse faire. Le problème est que la loi fiscale de tous les pays développés, et en particulier de la France, est devenue un maquis. Et on se cache plus facilement dans le maquis que dans le désert. La fiscalité est également devenue, particulièrement en France, abusive et spoliatrice. Le remède n'est donc pas dans la chasse aux sorcières, mais dans une refonte de la loi fiscale pour la simplifier, la clarifier et rendre les taux d'imposition plus raisonnables.»
Dénoncer les pratiques condamnables
Suite aux révélations des Paradise Papers, les Pays-Bas sont à nouveau la cible de critiques. Il est grand temps que le gouvernement prenne les mesures qui s'imposent, réclame NRC Handelsblad :
«Les Pays-Bas pourraient entrer dans le viseur des contrôles, au même titre que l'Irlande. Car jeter la pierre sur autrui est la meilleure stratégie pour ne pas devenir une cible soi-même. Tout le monde traîne des casseroles. Mais nul ne peut contester que La Haye a pas mal de cadavres dans ses placards. ... Le gouvernement de Mark Rutte devrait lui-même prendre l'initiative dans le cadre de la réforme des pratiques fiscales internationales, tout d'abord au sein de l'Europe. Il doit faire un geste important pour prouver sa bonne volonté. Par exemple en rendant publics les accords passés avec un certain nombre de multinationales.»
Une croisade contre les riches
Les contempteurs du capitalismes dévoient les révélations par pure jalousie, tonne The Daily Telegraph :
«La plus grande partie de ce qui a été dévoilé jusqu'à présent ne constitue pas une activité contraire à l'éthique, et encore moins une activité illégale. En effet, des millions de personnes ont placé leur argent dans des fonds offshore par l'intermédiaire de fonds de prévoyance retraite. ... Comme cela avait déjà été le cas pour les Panama Papers, ces nouvelles informations ont été exploitées par des militants anticapitalistes qui ont du mal à accepter que certaines personnes soient plus riches que d'autres. ... Sous couvert d'une vaste croisade moraliste, on essaie de mettre fin à des formes légitimes de placements fiscalement avantageux pour qu'à l'avenir, l'Etat décide à la place des gens où placer leur argent.»
La concurrence fiscale n'a rien de criminel
Les montages fiscaux offshore sont souvent criminalisés à tort, estime Neue Zürcher Zeitung :
«Les transactions offshore sont parfois nécessaires dans un monde globalisé et si elles sont parfois l'expression de dysfonctionnements, elles en sont rarement la cause. C'est pourquoi il est trop simple de diaboliser les tentatives de se protéger de l'arbitraire, d'une bureaucratie pléthorique, d'une imposition excessive mais aussi de préserver sa sphère privée. Criminaliser d'office la concurrence fiscale internationale en s'appuyant sur un panel d'exemples d'abus est une grave imprudence. On aurait tort de se laisser éblouir par les motivations par trop limpides, tout au mieux naïves, des apologistes autoproclamés de la transparence. La concurrence entre les sites économiques, la protection de la sphère privée et les transactions offshore restent et demeurent nécessaires.»
Ce qui est immoral n'est pas forcément illégal
Le débat sur les pratiques fiscales doit aller au-delà des considérations morales, estime Berlingske :
«Le débat sur l'évasion fiscale doit être mené sur le terrain juridique et politique, même s'il est également possible de le mener sur le plan moral. La loi a-t-elle été enfreinte ? La législation nationale et internationale a-t-elle les moyens de redresser la barre ? En fonction des convictions politiques de chacun, les conceptions morales divergent. ... On ne peut toutefois exiger que des entreprises, des organisations et des personnes se plient à des critères doubles : ceux des lois et ceux de la morale.»
L'UE à la traîne
L'UE a omis de doter ses institutions des compétences idoines pour lutter contre l'évasion fiscale, vitupère Reporter :
«Nous avons à plusieurs reprises relayé le fait qu'une commission comptant une trentaine d'eurodéputés avait examiné les révélations des Panama Papers, sans rien trouver. Dimitris Papadimoulis, 14e vice-président du Parlement européen et député Syriza, a aujourd'hui adressé une demande urgente à la Commission de l'UE, l'interrogeant sur ce qu'elle comptait faire des dernières révélations. Il est fort probable qu'elle lui réponde qu'une quelconque commission lambda, forte de 30 spécialistes, se penchera sur la question pendant cinq ans avant de reconnaître qu'elle est dans l'impasse. Et que pourrait-elle faire de plus, sachant qu'elle ne possède pas d'autres compétences, et que l'histoire nous enseigne que les fraudeurs ont toujours une décennie d'avance sur une réglementation européenne criblée de lacunes ?»
Il devient de plus en plus difficile de frauder
L'Echo se veut plus positif, estimant que s'il reste fort à faire en matière de lutte contre l'évasion fiscale, des progrès considérables ont néanmoins été effectués ces dernières années :
«Depuis la crise financière de 2008, un mouvement mondial, sous l'égide de l'OCDE, s'est mis en place pour contrer la fraude fiscale. Depuis, c'est sur le terrain de l'échange d'informations que les choses ont le plus progressé. Depuis septembre 2017, 50 pays se sont engagés dans cette voie. Et une cinquantaine d'autres pays ont promis d'être prêts d'ici septembre 2018. Parmi eux, l'Autriche mais aussi la Suisse, chantre du secret bancaire, et d'importantes places financières comme les Bahamas. L'échange automatique est en passe de devenir le standard mondial, chose impensable en 2008.»
Le paradis ? Seulement pour les riches
Il est scandaleux que les entreprises se soustraient massivement à leurs responsabilités envers la société, critique Süddeutsche Zeitung :
«Cela fait longtemps que les paradis fiscaux ne sont plus des lieux mal-famés - ce sont aujourd'hui les points de rencontre collectifs de l'élite économique. ... Pour des entreprises qui se targuent de s'acquitter d'un taux d'impôt de 15 pour cent, la mondialisation est paradisiaque : on peut s'assurer des avantages, contourner les obligations. C'est impudent, scandaleux, et ceci n'existait même pas dans le Jardin d'Eden. ... Ce n'est pas avec le modèle des paradis fiscaux que l'on créera le paradis sur terre. Leur raison d'être est justement de ne pas être accessible à tous, d'être inabordables. Leur isolement envoie un message à ceux qui sont à l'extérieur, ici-bas, dans notre monde fiscalisé, aux côtés de l'Etat-providence, des règles et du processus démocratique : l'enfer, c'est vous.»
L'indignation est restée sans lendemain
Dans le journal De Volkskrant, la chroniqueuse Sheila Sitalsing évoque un sentiment de déjà-vu :
«De nouveau, les noms de personnes célèbres et allergiques à l'impôt surgissent dans les journaux. De nouveau, l'indignation. ... De nouveau, on voit clairement qu'un groupe de privilégiés se croit au-dessus des lois. Les siècles derniers, le peuple investissait encore le palais pour réclamer la tête du monarque. Nous, les petites gens, sommes trop civilisés aujourd'hui pour couper des têtes. La seule chose qu'il reste à faire, c'est de civiliser les fraudeurs fiscaux.»