Défense commune : quels avantages pour l'Europe ?
Les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de 23 Etats membres de l'UE ont fait un pas vers une union européenne de la défense, par le biais d'une déclaration commune. Sont tout d'abord envisagés des projets d'armement, la constitution d'unités plurinationales et un quartier général commun. La chef de la diplomatie de l'UE, Federica Mogherini, a évoqué une étape charnière dans l'histoire de l'Europe. Une euphorie qui ne fait pas l'unanimité parmi les éditorialistes.
Avec la CSP, l'Europe emprunte une nouvelle voie
La CSP sera déterminante pour l'avenir de l'intégration européenne, commente Adelina Marini sur son blog euinside :
«C'est une structure hors du commun. D'une certaine manière, elle ressemble à la coopération renforcée - le socle sur lequel peuvent s'entendre au moins neuf Etats membres pour approfondir leur intégration commune. Elle ressemble également à un traité gouvernemental multilatéral, tout en s'inscrivant entièrement dans le cadre de la législation européenne. ... Le CSP pave la voie à un type de coopération flexible et inédite. Elle est ouverte aux ralliements et aux désaffections, et les Etats membres ne sont pas contraints de participer à tous les projets. Dans le même temps, ils ne peuvent se tenir à l'écart de tous les projets ; un engagement minimal est requis. Cette flexibilité est par ailleurs consolidée par le fait que les décisions devront être prises à la majorité qualifiée. »
Des espoirs enfin exaucés
Ce n'est qu'aujourd'hui que l'UE répond aux espoirs que la Finlande nourrissait avant son adhésion, constate Karjalainen :
«Quand, dans la première moitié des années 1990, les Finlandais soupesaient les avantages et les inconvénients d'une éventuelle adhésion à l'UE, la politique de sécurité était leur grande priorité, devant les questions de commerce ou de liberté de déplacement. C'était également le premier argument de la politique, même si elle ne le disait pas aussi ouvertement que les citoyens. Sans la frontière russe et les expériences de la Seconde Guerre mondiale, la Finlande serait peut-être restée en dehors de l'UE, à l'instar de la Norvège. Dans les années 1990, il était un peu naïf de la part des Finlandais de croire que l'UE serait un garant de sécurité. Car ce n'est que lundi dernier que la coopération pour la défense a franchi un cap décisif.»
De nouveaux problèmes en perspective
Dans une tribune à Dialogos, le politique Giorgos Koukouma souligne que l'union pour la défense soulève de nouvelles questions quant aux rapports avec la Turquie :
«Jens Stoltenberg [secrétaire général de l'OTAN] a salué la CSP, qu'il a jugée être 'positive pour l'OTAN', avant d'ajouter que 'nous devions avoir l'assurance que les forces et les compétences qui se développeront au sein de la CSP seront au service de l'OTAN et que nous aurons besoin dans ce contexte du soutien maximal des Etats membres de l'OTAN et non membres de l'UE'. ... Il est évident que le secrétaire général de l'OTAN parlait de la Turquie, ou notamment de la Turquie - pays dont la CSP est pourtant censée nous protéger.»
L'Europe montre ce dont elle est capable
Enfin un pas concret dans la bonne direction, se réjouit La Stampa :
«Après tant de paroles en l'air sur 'plus ou moins d'Europe', la décision prise hier acte un passage aux choses concrètes en disant ce que l'UE peut et doit offrir aux Etats membres et aux citoyens : bénéficier de davantage de sécurité et être (un peu) moins tributaire du bon vouloir d'autrui. Ce ne sont encore que de bonnes intentions, mais une Europe qui veut se doter d'une structure militaire pour pouvoir mieux assurer sa défense est une bonne nouvelle pour tout le monde. Y compris pour ses partenaires de l'OTAN américain et canadien, qui, depuis trois quarts de siècle, assurent la sécurité de l'Europe. »
L'UE n'en est pas à sa première promesse
Les espoirs placés dans ce projet pourraient être un feu de paille, pointe de son côté Tages-Anzeiger :
«Cette initiative fait naître des attentes qui, comme celles suscitées par la libre circulation des personnes dans le cadre de Schengen ou par la monnaie unique, risquent une nouvelle fois d'être déçues. Dès le premier lancement, les Etats membres ont presque tous répondu à l'appel. Mais les engagements à intensifier la coopération pourraient rapidement s'avérer être des déclarations faites du bout des lèvres. Dès que l'on entrera dans le concret, il se peut que beaucoup de capitales se mettent à revendiquer haut et fort leur souveraineté nationale. Et l'union de la défense tant évoquée n'aura été guère plus qu'un tigre de papier.»
Un projet modeste, une annonce grandiloquente
Jerzy Haszczyński, chef du service international de Rzeczpospolita, ne fonde lui non plus pas d'espoirs démesurés sur la CSP :
«C'est une bonne chose que la Pologne fasse partie de cette nouvelle initiative. Notamment parce qu'il sera plus facile de veiller de l'intérieur à ce que le projet ne compromette pas l'unité de l'OTAN à l'avenir. Car l'OTAN - ou les Etats-Unis - est le garant de notre sécurité et le restera pendant longtemps encore. ... Les soldats des différents Etats de l'UE continueront de porter des uniformes différents et de tirer des munitions différentes. ... Ce sera déjà un premier succès que de petites unités soient envoyées dans le désert africain pour y combattre le terrorisme. L'UE ne sera pas une super-puissance nucléaire capable de tenir tête à la puissante Russie. ... La CSP est un projet modeste qu'on essaie de nous faire passer pour une immense réussite.»
On peut toujours quitter le navire
Les Etats de l'UE prennent bien à la légère la politique de défense commune, comme en témoigne l'exemple de l'Autriche, écrit Kurier :
«Participer au projet qui porte le doux nom de 'Coopération structurée permanente' (CSP) n'expose pas l'Autriche à un grand risque : elle pourra profiter des compétences et des prestations des autres, en apportant sans danger sa propre contribution dans les domaines où on excelle, comprendre la formation de chasseurs alpins. Dans un premier temps. Car l'objectif à long terme est une véritable union de défense au sein de l'UE. Et si cela ne tenait qu'à la France, on commencerait dès aujourd'hui à former des unités de combat communes. C'est pourquoi Vienne ne se mouille pas trop en suivant la logique : il est bon d'être dans le coup dès le début. Il n'est jamais trop tard pour quitter le navire par la suite s'il le faut - au nom du principe de neutralité. »