Bruxelles engage une procédure contre la Pologne
La Commission européenne a déclenché pour la première fois l'article 7 du traité de l'UE et engagé une procédure de sanction contre un Etat membre. Elle reproche à Varsovie de saper l'indépendance de la justice, ce qui constitue une violation des valeurs fondamentales de l'Union européenne. La procédure est-elle justifiée ?
Un mépris total de l'UE
L'attitude du président polonais Andrzej Duda a été très révélatrice, estime Polityka :
«L'UE a annoncé qu'elle déclencherait contre la Pologne la procédure prévue par l'article 7 du traité de l'UE. Le président Duda s'est alors empressé de déclarer qu'il signerait les lois en passant par le Conseil national de la magistrature et la Cour suprême. ... C'est précisément à cause de ces lois que l'UE s'est résolue à enclencher l'avant-dernière étape avant le retrait du droit de vote. Juste après cette annonce faite par le vice-président de la Commission européenne [Frans Timmermans], Duda a déclaré vouloir signer les deux lois. Ce qui montre bien à quel point Duda méprise la Commission, l'UE et le droit européen.»
La Pologne paye le prix de son isolement
Varsovie n'est pas visée seulement pour ses atteintes aux valeurs européennes, juge Lidové noviny :
«Car la Pologne a attisé les disputes en Europe, en rejetant par exemple la prolongation du mandat de Donald Tusk à la tête du Conseil européen, ou en réclamant des réparations de guerre à l'Allemagne. La Hongrie d'Orbán, pourtant semblable à la Pologne de Kaczyński, ne connaît pas ce genre de problèmes, car elle soigne ses relations avec l'Autriche et la Bavière. ... Les Etats de Visegrád seront-ils solidaires de la Pologne ? La Hongrie parle de veto, la Slovaquie ne bronche pas, la Tchéquie temporise. Quand il s'agit d'autre chose que de s'opposer à l'immigration et aux quotas, la forteresse Visegrád se lézarde.»
Bruxelles veut faire un exemple
Pour le journaliste Gyula Máté T., du portail progouvernemental PestiSrácok, cette procédure est un affront fait aux électeurs :
«L'unique objectif de cette procédure est de faire un exemple, afin que personne ne brave la volonté de Bruxelles et de Berlin. Les récalcitrants s'exposent à 'l'option nucléaire' ! Hongrie, Tchéquie, prenez garde ! ... Le gouvernement conservateur avait annoncé la couleur dès le départ aux Polonais. Pendant la campagne électorale de 2015, le PiS leur avait déjà présenté son programme. Et les Polonais l'avaient approuvé ! Bruxelles veut désormais passer outre la volonté des électeurs du pays. Elle veut restreindre la souveraineté d'un gouvernement démocratiquement élu ! ... Réprimander la Pologne pour que les autres comprennent, telle est la marotte de Bruxelles.»
Après la Pologne, la Roumanie
Dans Ziare, la journaliste Ioana Dogioiu Ene craint que la Roumanie ne connaisse le même sort que la Pologne, alors que Bucarest est en passe d'adopter elle aussi une réforme controversée de la justice :
«Ce serait un véritable cauchemar pour la Roumanie. ... Si l'UE voulait faire un exemple, ce n'est pas la Pologne, mais bien la Roumanie, qui serait la candidate idéale. Il s'agit d'un pays extrêmement vulnérable, d'un poids plume économique dans l'UE, qui n'est membre ni de la zone euro ni de l'espace Schengen. ... Bien sûr, les représentants de la coalition sociale-libérale PSD/ALDE ne songent pas à ce genre d'arguments. ... Nous devrions pourtant nous demander si, dans le seul but de permettre à la mafia de voler sans entraves et de passer à travers les mailles du filet, nous sommes prêts à payer le prix fort.»
Il n'y avait plus d'autre option possible
Handelsblatt estime la rigueur de Bruxelles justifiée, malgré les carences de sa procédure :
«Elle ne réussira ni à faire plier Kaczynski, ni à aller à son terme. Théoriquement, l'UE pourrait priver un gouvernement polonais impénitent de son droit de vote au Conseil de l'UE. Mais ceci exige un vote à l'unanimité de tous les Etats de l'UE. L'unanimité ne sera pas possible, car la Hongrie refuse de condamner la Pologne. ... Et pourtant, la Commission a bien agi. Le PiS est en train de détricoter la démocratie. Aucun citoyen de l'UE ne peut s'en laver les mains, et l'économie non plus. Car la sécurité juridique et la liberté sont un bien précieux pour les investisseurs aussi. En Pologne, la réforme du système judiciaire a fait descendre dans les rues des dizaines de milliers de personnes. L'UE se range clairement de leur côté.»
L'UE n'a pas intérêt de bluffer
Gazeta Wyborcza appelle l'UE à ne pas en rester aux menaces, mais à les mettre à exécution au besoin :
«Pour Jarosław Kaczyński, le moment dont il rêvait tant est arrivé, celui de la grande bataille - lui tout seul contre toute l'UE. ... Espérons seulement que l'Union européenne ne bluffe pas. Si elle n'est pas en mesure de réagir de manière rapide et appropriée aux décisions du gouvernement polonais, l'an prochain, les partisans de la démocratie polonaise perdront non seulement l'indépendance de la justice, mais aussi la confiance dans les dirigeants de l'UE, dans leur sérieux, leur autorité et leur instinct politique.»
La double morale de Bruxelles
Si la Commission européenne veut lutter contre le recul de la démocratie au sein de l'UE, elle ferait mieux de traiter tous les Etats membres de la même façon, selon L'Echo :
«La décision de la Commission Juncker isole la Pologne. Mais elle est insuffisante car ce n’est pas le seul Etat à partir en vrille en Europe. On a d’ailleurs du mal à comprendre que l’exécutif européen soit si sévère avec Varsovie, alors qu’il laisse emprisonner des élus en Espagne et félicite un parti autrichien pactisant avec des néonazis. Il ne sert à rien de faire un exemple si c’est pour laisser d’autres violer les valeurs de la Maison Europe.»
La division de l'UE est scellée
La réponse aux développements auxquels on assiste en Pologne ou en Hongrie sera une Europe à deux vitesses, écrit sur son blog, Biziday, le journaliste économique Moise Guran :
«A votre avis, combien de temps ces pays d'Europe de l'Ouest, qui contribuent au développement des pays de l'Est par le biais des subventions européennes, se laisseront-ils encore narguer par des pays comme la Pologne ou la Hongrie ? Cela durera sûrement quelques années encore, qui aboutiront tôt au tard à la division de l'UE. Une division qui engendrera une fédération d'une part (que nous pouvons nous représenter suivant les frontières de la zone euro actuelle) et un groupe oriental d'autre part, avec lequel la fédération sera unie par des accords commerciaux.»