Des sanctions contre l'Iran, pour quoi faire ?
Après la résiliation unilatérale de l'accord sur le nucléaire iranien, Trump a adopté de nouvelles sanctions pour faire pression sur Téhéran. Les éditorialistes évoquent les possibles effets de la stratégie américaine sur le pays.
Les citoyens, frustrés, renverseront le régime
Le mécontentement populaire pourrait déboucher sur une révolution en Iran, juge The Times :
«La médiocrité du gouvernement, et surtout le rôle économique prépondérant des généraux des Gardiens de la révolution, qui privilégient leur enrichissement personnel, finira par entraîner la chute du régime. ... Il revient in fine aux citoyens de réclamer une gouvernance qui privilégie la responsabilité au bellicisme et à la corruption. Ceux qui s'insurgent contre cette théocratie moribonde s'exposent souvent à des procès iniques et à des peines terribles. Mais jour après jour, leurs craintes s'envolent.»
Les Gardiens de la révolution défendront leur pré carré
Un changement de régime est improbable, juge pour sa part Tages-Anzeiger :
«La pression américaine a un effet - la question est de savoir lequel. Lorsque Washington avait annulé l'accord sur le nucléaire en mai et annoncé de nouvelles sanctions, une potentielle destitution du gouvernement avait rapidement été évoquée par les médias iraniens. Pas une destitution qui serait le fait du peuple affamé se soulevant contre ses oppresseurs, mais plutôt l'hypothèse d'un coup d'Etat contre Rohani. Le système politique iranien est peut-être sclérosé, il abrite néanmoins une force, les Gardiens de la révolution, qui défendra son pouvoir bec-et-ongles ; cette institution, puissante militairement, contrôle également de larges pans de l'économie.»
L'art de la négociation selon Trump
Paolo Mastrolilli, correspondant de La Stampa aux Etats-Unis, explique en quoi consiste selon lui la "doctrine Trump" :
«Exercer une pression maximale, comprenant des menaces effroyables, pour obtenir le meilleur résultat possible à la table des négociations. Cette stratégie de politique étrangère, qualifiée de 'doctrine Trump', a été appliquée à la Corée du Nord, la Chine, la Russie, l'UE et maintenant l'Iran. ... Une ligne qui remonte au livre 'The Art of the Deal' ['Trump par Trump' dans son édition française, 1987], dans lequel Trump évoquait les secrets de sa réussite entrepreneuriale. Parmi ces règles d'or, il en est deux qu'il applique désormais aux relations internationales. Premièrement, recourir à tous les leviers disponibles ; deuxièmement, être prêt à quitter la table à tout moment pour montrer que l'on est disposé à renoncer à l'accord et que l'on ne se contentera pas du premier compromis venu.»
Les attentes erronées de Trump
Le calcul de Trump ne se vérifiera pas cette fois-ci, estime Le Figaro :
«Les Iraniens semblent être pour Trump des Coréens du Golfe. ... Alors avec eux, il va jouer le même coup. Selon le même déroulé. Menaces apocalyptiques, main tendue, sommet grand spectacle. Et deal ! Mais Téhéran n’est pas Pyongyang. Même dotée de la bombe, la Corée du Nord est un royaume ermite, isolé et exsangue économiquement. L’Iran, lui, est tout sauf replié sur lui-même. C’est une active puissance régionale, avec des alliés et des vassaux un peu partout au Moyen-Orient, du Yémen à la Syrie en passant par le Liban. Et l’on peut penser que le devenir de l’antique Perse influera plus sur le cours du monde que celui de la Corée du Nord. Trump, là, joue gros.»
Le commerce contribuerait au changement espéré
Handelsblatt ne croit pas non plus qu'une pression de l'extérieur puisse avoir beaucoup de succès :
«Le pays est trop riche, les réserves sont trop importantes, et la volonté de se rassembler autour des dirigeants en cas de menaces extérieures trop élevée. … Imposer de nouvelles sanctions et sortir de l'accord nucléaire ne sont pas la bonne approche. Nous devrions intégrer le pays dans le commerce international et le laisser récolter les fruits de son renoncement au nucléaire. S'ils vivent mieux, les Iraniens demanderont à participer davantage. Les réformateurs commençaient déjà à progresser, les sanctions les arrêteront net dans leur course. C’est le concept de changement par le commerce développé par Willy Brandt et l'économie allemande - et non des sanctions américaines unilatérales - qui avait affaibli jadis le rideau de fer.»
Les Etats-Unis font ce qu'ils veulent
L'Europe est désemparée face au cap agressif de Washington, constate pour sa part Lucio Caracciolo, expert en géopolitique, dans La Repubblica :
«On s'agrippe au droit international pour contester à Washington la légitimité de ses sanctions secondaires qui sapent nos échanges avec l'Iran. Comme si l'empire américain autoproclamé pouvait renoncer à l'application extraterritoriale de ses propres lois ou céder aux injonctions d'une quelconque 'Cour internationale'. Peut-être que la guerre sera évitée. Peut-être que non. Mais avant de jouer les commandants en chef et d'envoyer la première armée de la planète à l'assaut de l'Iran, Nétanyahou sera le seul leader 'étranger' dont Trump daignera entendre la voix.»