Le nouveau budget italien, une menace ?
Le gouvernement italien entend accroître le déficit budgétaire à 2,4 pour cent du PIB afin de renforcer l'Etat providence. Il prévoit notamment la création d'un "revenu de citoyenneté" pour les plus pauvres et l'abaissement de l'âge de départ à la retraite. Le déficit, selon Rome, devrait ensuite être revu à la baisse en 2020 et 2021. De l'avis des éditorialistes, l'UE aura du mal à relever le défi que lui pose l'Italie.
L'UE forcément perdante
L'UE est impuissante face au populisme du gouvernement italien, juge Newsweek Polska :
«Les principaux problèmes de l'économie italienne sont connus depuis longtemps : un marché du travail insuffisamment flexible, des régulations excessives, une fiscalité trop élevée pour les entreprises. L'Etat, inefficace, vient d'augmenter les dépenses ; cela ne remplacera pas les réformes nécessaires et ne mettra pas fin à la stagnation. Il ne s'agit de la dernière bataille entre Bruxelles et Rome autour du budget. ... Mais Bruxelles a déjà perdu la première manche. Si la Commission riposte, les populistes italiens affirmeront être les victimes de la bureaucratie bruxelloise - une tactique qui a fonctionné jusque-là. ... Mais si la Commission choisit de ne rien faire, Rome l'emporte également.»
Une décision stratégique
Avec son budget, Rome veut mettre à exécution un plan perfide, analyse Jutarnji list :
«L'Italie dépasse la limite autorisée afin de financer les promesses électorales des partis au pouvoir. ... Les deux vice-Premiers ministres, Matteo Salvini et Luigi Di Maio, ont annoncé qu'ils maintiendraient le cap, quoi que l'Europe puisse dire ou faire. ... Il faut s'attendre à une période de querelle, dans laquelle le gouvernement italien cherchera probablement à dissimuler le fait que le projet de budget n'est pas viable, le déficit revu à la hausse étant lui-même insuffisant. Il accusera alors les bureaucrates bruxellois de l'empêcher de tenir ses promesses, dans le but de marquer le plus de points possibles auprès de l'électorat souverainiste aux européennes.»
Le revenu citoyen devient un instrument de contrôle
Le vice-Premier ministre Luigi Di Maio a déclaré mercredi que le "revenu de citoyenneté" envisagé par le gouvernement serait octroyé par le biais d'une carte électronique et que seules des dépenses "moralement justifiables" seraient autorisées. La Stampa examine cette disposition de plus près :
«Pour qu'un pauvre se permette un verre de vin avec son revenu citoyen, faudra-t-il qu'il sollicite l'autorisation du gouvernement ? ... La complexité d'un dispositif qui devra vérifier les ressources primaires de millions de personnes et contrôler leur comportement de consommation n'augure rien de bon pour les libertés individuelles. Sans oublier qu'un tel système ne pourra pas être mis sur pied d'un coup de baguette magique. Il faudra des mois pour commencer à en voir l'impact, et bien plus pour qu'il ne devienne pleinement opérationnel.»
Rome veut provoquer un exIT
Rome se sert de la dette pour faire sortir l'Italie de la zone euro, estime Neue Zürcher Zeitung :
«Les notes attribuées à la dette souveraine italienne se trouvent actuellement dans la partie inférieure de la catégorie investissement. Une nouvelle dégradation de cette notation pourrait entraîner de nouveaux troubles sur les marchés financiers. Un analyste du fonds de gestion allemand Feri estime déjà que le véritable objectif du gouvernement pourrait être de provoquer à dessein une aggravation de la crise de l'euro, pour 'vendre' ensuite une sortie de l'euro jugée inévitable. Le but réel des populistes de la Lega et du M5S serait alors atteint. Quoi qu'il en soit, l'Italie, de par sa taille, représente un risque de contagion considérable, notamment pour les autres pays méridionaux de l'UEM.»
La réaction des marchés en dit long
Le budget italien est l'illustration d'une mauvaise gestion des finances publiques, estime Le Figaro :
«L'économie et la démagogie font rarement bon ménage. Au lendemain de ses premières décisions budgétaires, il n'a pas fallu attendre longtemps pour mesurer la crédibilité de l'attelage entre la Lega et le M5S au pouvoir en Italie. Flambée des taux d'intérêt, dégringolade de la Bourse, plongeon des banques… La défiance des marchés financiers - et donc de ses créanciers - à l'égard de Rome est totale. ... La mésaventure italienne rappelle utilement où mènent le laxisme budgétaire et l'endettement à tous crins : une dangereuse perte de souveraineté économique au profit des marchés.»
Le président, ultime espoir
Sergio Mattarella peut rejeter le budget, mais une telle décision serait problématique, estime La Stampa :
«La non-validation du projet budgétaire par le président engagerait un bras de fer inédit. Le problème, c'est que toute objection formelle ne fait que renforcer l'argumentation chère aux deux vice-Premiers ministres : à savoir qu'ils sont les héros du peuple et les pourfendeurs de l'establishment. Or le seul moyen de garantie les finances publiques, c'est d'opposer au consensus favorable à des dépenses irraisonnées un autre consensus. ... Sur ce point, le président a un avantage. ... Il est le politique le plus estimé du pays. Pour que les gens soient conscients des problèmes et des risques liés à des choses complexes, il faut que quelqu'un les leur explique. Quelqu'un en qui ils aient confiance.»
Pourquoi l'UE ne bronche pas
Bruxelles se montre bien plus clémente avec l'Italie qu'avec d'autres Etats membres, juge Rzeczpospolita :
«La Commission a adopté vis-à-vis du nouveau gouvernement italien une approche différente de celle privilégiée face à la Pologne ou la Hongrie. Elle se comporte comme si les projets de Rome n'étaient pas en contradiction avec la politique migratoire officielle de l'UE et ne posaient pas de menace grave à la stabilité de la zone euro. Des sources diplomatiques à Bruxelles ont une explication à cette tendance : l'Italie est en mesure d'exercer une plus grande pression sur l'UE que ne le peuvent Varsovie ou Budapest. Car si le gouvernement italien devait respecter toutes ses promesses électorales - lesquelles pourraient mener à la faillite du pays - même l'Allemagne ne serait pas à même de la sauver. Ce qui pourrait marquer la fin de l'UE.»