Pourquoi les Andalous ont-ils voté pour l'extrême droite ?
Si l'Andalousie était considérée jusque-là comme un bastion des socialistes espagnols, le PSOE du Premier ministre Pedro Sanchez a essuyé des pertes considérables au scrutin régional de dimanche. Vox est même devenu le premier parti d'extrême droite depuis la fin de la dictature de Franco à faire son entrée dans un parlement régional. Les éditorialistes cherchent à expliquer comment Vox est parvenu à mobiliser les électeurs déçus par les partis traditionnels.
Les partis de gauche ont déçu
L'immigration a joué un rôle marginal dans la percée de l'extrême droite en Andalousie, souligne Der Standard :
«Beaucoup de ceux qui avaient rompu avec les socialistes sont restés chez eux ou sont passés dans le camp de Vox ; l'afflux de réfugiés n'a pas été décisif. Ce qui s'est produit en Andalousie rappelle plutôt le scénario américain, où les élites démocrates ont déçu beaucoup d'électeurs au point qu'ils se sont abstenus, voire ont voté Donald Trump. Contrairement à Vox, l'intuition a manqué à Podemos pour surfer sur cette tendance. L'alternative de gauche a vieilli vite, trop vite. Le vent de renouveau que faisait souffler le parti est désormais vicié ; suite à des querelles intestines, ceux qui ont repris les rênes de Podemos l’ont en effet figé dans l’orthodoxie en s'alliant avec les post-communistes.»
L'épouvantail des séparatistes s'est matérialisé
Martin Dahms, correspondant de Frankfurter Rundschau en Espagne, explique en quoi le succès de Vox en Andalousie est lié aux évènements catalans :
«La percée de Vox est un dommage collatéral du processus indépendantiste catalan. On pouvait pressentir cette éventualité en 2017, lorsqu'en réaction au référendum illégal du 1er octobre, les drapeaux espagnols avaient été brandis dans le reste du pays. Ce patriotisme renaissant n'a jamais reflué ; l'extrême droite n'a cessé de l'attiser, jusqu'à ce qu'un nombre suffisant d'Espagnols soient convaincus que le moment était venu pour l'Espagne d'avoir son parti d'extrême droite. C'en est fini de l'exception espagnole. Les séparatistes ont désormais véritablement face à eux les ennemis dont ils n'ont eu de cesse de dénoncer la menace.»
Contre les femmes et les étrangers
Vox doit son essor à l'exploitation de ressentiments bien connus, explique La Repubblica :
«Maintenant que l'ETA n'est plus une menace, les nouveaux ennemis sont les 'traîtres catalans'. ... Un sentiment ancestral sous de nouveaux habits : l'Espagne aux Espagnols ; vive le roi ; mort à 'los moros', les étrangers ; que les femmes retournent au foyer. Il faut toutefois relever que la participation a été très faible. Le véritable vainqueur, c'est le parti de ceux qui ne votent plus. De ceux qui se sentent déçus aussi bien par la corruption du gouvernement socialiste que par celle de la droite de Rajoy. Mais c'est la même histoire partout.»
La crise existentielle de la démocratie espagnole
Amère ironie de l'histoire, c'est juste avant le 40e anniversaire de l'adoption de la première constitution démocratique en Espagne, le 6 décembre, que le parti d'extrême droite enregistre son succès, peut-on lire dans El País :
«Le caractère antidémocratique de Vox est évident ; il promeut dans son programme la discrimination des immigrés, ainsi que la suppression des lois établissant l'égalité hommes-femmes et luttant contre les violences conjugales. ... Et pourtant, les formations de centre-droit lui ouvrent grand les portes, contribuant ce faisant à légitimer et à normaliser le parti. ... Mais le PP et Ciudadanos n'ont pas été les premiers à pactiser avec le national-populisme : le PSOE de Pedro Sánchez, qui n'a pas hésité à couvrir, normaliser et légitimer le sécessionnisme anticonstitutionnel catalan - en acceptant ses votes lors de la motion de censure - l'a fait avant eux. ... Et tout ceci se déroule la veille de la commémoration du 40e anniversaire de la Constitution ; un jubilé impossible à célébrer, la démocratie espagnole traversant une crise existentielle visiblement insoluble.»
Les carte rebattues en Espagne
Cinq partis courtisent désormais les électeurs en Espagne, constate Público :
«Le résultat de Vox en Andalousie a été une surprise pour les partis et les analystes. Si les sondages avaient prédit l'entrée de l'extrême droite au parlement andalou, personne ne s'attendait à ce qu'elle dépasse la barre symbolique des dix pour cent et à ce qu'elle bouleverse le paysage politique espagnol. Ce sont cinq partis désormais qui courtiseront les électeurs. ... Les règles du jeu ont changé. De la même manière qu'elle avait entraîné l'avènement de Podemos à l'extrême gauche, la crise des partis politiques génère aujourd'hui un tout autre populisme, à l'extrême droite. Les répercussions de ce scrutin régional n'affectent pas seulement l'Andalousie ; elles se feront également ressentir en Espagne et en Europe - aux élections de mai prochain.»
Ca y est, l'Espagne a son parti d'extrême droite
Le succès du parti d'extrême droite Vox en Andalousie n'est qu'un début, assure El País :
«Ce scrutin a montré l'essor plus que significatif du vote conservateur, qui aura des conséquences pour toute l'Espagne. L'Andalousie, et par conséquent l'Espagne, ne font plus figure d'exception en Europe. Un parti d'extrême droite au profil encore diffus accède aux institutions espagnoles. S'il reprend à son compte un nationalisme espagnol plus radical, il s'inscrit aussi dans le contexte européen et l'essor de partis comme le RN de Marine Le Pen - qui a aussitôt félicité son leader-, la Ligue de Matteo Salvini en Italie ou l'AfD en Allemagne. Vox n'est pas un parti andalou ; il nourrit des ambitions étatiques et son entrée au parlement autonome d'Andalousie conditionnera une année marquée par de multiples élections - municipales, régionales, européennes, et peut-être aussi, législatives.»
La trahison des conservateurs
Eldiario.es déplore que le parti conservateur (PP) envisage de conclure une coalition avec Vox :
«Il est désormais clair que le PP voit en l'extrême droite un partenaire de coalition idéal pour remporter les prochaines législatives. ... Foin du 'cordon sanitaire', foin de la défense des principes fondamentaux de la démocratie libérale, foin de la volonté d'endiguer ce que l'on nomme les 'populismes d'extrême droite' ! Les préceptes fixés par les cadres conservateurs de pays comme l'Allemagne et la France sont jetés par dessus bord. ... [Le chef de file du PP] Pablo Casado a opté pour la voie de l'Autriche, où la droite conservatrice gouverne de concert avec le FPÖ d'extrême droite, un parti fondé par un nazi qui était membre des SS.»