Macédoine : fin d'une interminable querelle
Le Parlement hellénique a approuvé par 153 voix contre 146 l'accord sur le changement de nom de la Macédoine. Le pays, officiellement dénommé "ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM)", s'appellera désormais "République de Macédoine du Nord". Peut-on considérer que la question macédonienne est définitivement résolue ?
Annuler le changement de nom
Malgré l'accord de Prespes, Nova Makedonija assure que la messe n'est pas dite :
«Le peuple ne s'est pas montré particulièrement ingénieux lorsqu'il a fallu faire obstacle à des responsables politiques sournois. ... Il faut maintenant que des élections anticipées soient organisées au plus vite afin que s'exprime la volonté du peuple. Si celui-ci réélit le gouvernement, alors nous n'aurons rien mérité de mieux. ... Mais si un 'Non !' résolu se forme contre cette politique éhontée influencée par les Etats-Unis, alors le nouveau gouvernement devra faire en sorte, le plus rapidement possible, que l'Etat de droit et la légalité soient restaurés. Que ceux qui ont trahi nos droits et nos intérêts aient à répondre de leurs actes et que ces amendements indignes soient annulés. Parmi ceux-ci, la loi sur l'usage de l'albanais [comme l'une des langues officielles du pays].»
L'UE doit saisir l'opportunité au plus vite
Pour que l'engagement pacifique de Tsipras ait un sens, il faut que l'UE se tourne au plus vite vers la Macédoine du Nord, préconise l'ex-ministre danois des Affaires étrangères, Uffe Ellemann-Jensen, dans Berlingske :
«Il y a eu une forte résistance à l'accord [en Macédoine du Nord], alimentée par la prise d'influence russe sur l'opinion, de plus en plus souvent observée dans les Balkans. Mais la résistance a été encore plus forte en Grèce. Des élections auront lieu en Grèce en cours d'année et il est probable que Tsipras les perde, même s'il restera dans l'histoire des Balkans comme un négociateur de paix. Afin de préserver cette évolution positive, il est vital que l'UE agisse au plus vite et tisse des liens avec la Macédoine du Nord.»
Digne d'un prix Nobel
Les noms du Premier ministre grec Alexis Tsipras et de son homologue macédonien Zoran Zaev ont été évoqués pour le prix Nobel de la paix. A juste titre, estime le chroniqueur Kostadin Filipov dans Troud :
«L'un des mérites personnels que l'on peut attribuer aux deux dirigeants, c'est d'avoir fait autant d'efforts pour arriver à bien se connaître. Ils ont ainsi développé une confiance qui s'est répercutée sur leurs collaborateurs qui ont négocié l'accord. ... Le résultat a été qualifié d''historique'. Je pense que c'est le cas, même si, dans la courte histoire de la Macédoine indépendante (un quart de siècle), le sens de ce qualificatif a souvent été édulcoré de par son fréquent usage. »
Les effets néfastes de l'accord
La résolution de la question macédonienne a coûté de nombreux électeurs à Tsipras, mais elle a aussi eu des effets néfastes, estime le portail To Vima :
«Ceux qui suivent les évènements dans le nord de la Grèce estiment que le gouvernement a considérablement heurté la sensibilité des citoyens. Ils soulignent que le climat s'est fortement détérioré pour [le parti au pouvoir] Syriza et pour le Premier ministre. ... La question macédonienne a également été du pain bénit pour les partis antisystème d'extrême droite, Chryssi Avgi en tête. En Macédoine [grecque], les membres de Chryssi Avgi ont drapé leur abominable faciès nazi dans le drapeau grec flanqué du Soleil de Vergina [symbole de la Macédoine antique] et ont participé à des actions violentes.»
L'OTAN oui, l'UE peut-être...
Le quotidien pro-Orbàn Magyar Idők estime que la Macédoine du Nord risque de patienter longtemps dans l'antichambre de l'UE :
«L'adhésion des 'nombreux petits pays avec une graphie cyrillique' des Balkans n'est pas très populaire au sein de l'UE. Le lancement rapide de négociations d'adhésion avec la Macédoine serait donc une menace pour les 'gentils', c'est-à-dire les libéraux de gauche, avant les élections européennes. Un important objectif politique - américain - a cependant été atteint : la Macédoine fait enfin partie de la zone tampon créée afin d'isoler la Russie.»
Quelle ironie !
Sur son blog Lost in Europe, Eric Bonse rappelle que la chancelière Angela Merkel et son ministre de l'économie Wolfgang Schäuble avaient tout fait jadis pour se débarrasser d'Alexis Tsipras :
«Lorsque le chef de file de Syriza avait organisé un référendum sur la politique d'austérité imposée par l'Allemagne à la Grèce, l'Europe avait tout bonnement occulté le résultat. Ce faisant, Merkel et consort avaient étouffé les prémices d'une politique économique et financière alternative et de gauche. Quelle ironie que ce soit ce même Tsipras qui offre aujourd'hui aux Européens un succès de politique étrangère ! Un succès que les conservateurs grecs, c'est-à-dire les alliés de Merkel et de leur candidat aux européennes, Manfred Weber, ont tenté de torpiller jusqu'au bout.»
La Grèce fait pour la première fois partie de la solution
La version anglophone de Kathimerini se tourne vers l'avenir et appelle la Grèce à entretenir avec le pays voisin des relations qui lui soient bénéfiques :
«Cela signifie qu'il faut approfondir notre amitié et notre coopération dans les domaines du commerce et de l'économie. Il faut se réjouir du fait que pour la première fois depuis des décennies, l'on soit parvenu à faire partie de la solution et non du problème sur le terrain diplomatique. Au-delà de la politique, il y a des répercussions sur la société. La population était profondément divisée. C'est pourquoi il faudra également s'efforcer de panser les plaies. Ce ne sera pas simple et cela prendra du temps, mais il faut s'y atteler sans tarder. Pour les politiques, les intellectuels, mais aussi et surtout nous, les médias, c'est un devoir.»
Impossible sans Etat de droit
Der Standard voit dans le processus de réconciliation un modèle applicable à d'autres Etats des Balkans :
«Un tel accord a été possible parce qu'en 2015, lorsqu'il a pu être prouvé que le parti au pouvoir à l'époque en Macédoine avait complètement sapé le travail de la police et de la justice, une commission sous la direction du juriste allemand Reinhard Priebe avait été envoyée dans le pays. Elle avait révélé l'existence de structures autocratiques et fait des propositions pour rétablir l'Etat de droit et la démocratie. L'objectif était de renforcer la séparation des pouvoirs, et donc d'endiguer l'influence des partis. Ce n'est qu'alors qu'ont pu arriver au pouvoir des partis soucieux de l'intérêt des citoyens - et non de leur propre portemonnaie. Avec des autocrates comme l'ex-Premier ministre Nikola Gruevski, qui a pris la fuite en Hongrie, l'accord sur le nom du pays n'aurait jamais vu le jour. D'autres Etats des Balkans auraient besoin d'une commission comparable.»
L'Occident s'est imposé
L'enjeu de la dispute dépasse de loin les sensibilités des deux pays, explique Troud :
«La vérité, c'est que les Américains et les Européens (Allemands en tête) ont fait pression sur la Grèce et la Macédoine pour que les deux pays s'entendent. ... Un bras de fer géopolitique se joue dans les Balkans. La région voit s'entrechoquer les intérêts de la Russie et de l'Ouest, mais aussi ceux de la Chine et de la Turquie. C'est une question de pouvoir et d'influence. L'accord sur le nom fait partie de ce petit jeu dangereux. Sa ratification à Athènes et Skopje ouvre la voie à l'adhésion de la Macédoine à l'OTAN. Moscou perd son influence et se retire presque totalement des Balkans.»